Bien que ces oeuvres sont en général simples au niveau technique, certaines
oeuvres en QTVR gagnent maintenant des prix pour leur usage inventif du
médium. Zoe Beloff a été parmi les premiers artistes à utiliser le QTVR dans une oeuvre intitulée Beyond qui marie la compréhension de la rationalisation de la vision du dix-neuvième siècle à celle du vingtième.
Au cours des vingt années que l'artiste d'origine écossaise Zoe Beloff a
passé à New York, elle a établi une solide carrière fondée sur l'excentricité et son intérêt pour le détail. Ce qui ne veut pas dire que son travail se situe totalement
dans les marges, au contraire, ses oeuvres ont été montrées tant au Whitney
Museum qu'au Museum of Modern Art à New York, au Centre Georges Pompidou à
Paris, au Festival de cinéma de Rotterdam, bref, dans les lieux les plus
prisés et souhaités par un artiste contemporain. C'est la qualité ludique 14
de son travail, son choix de média, son intérêt pour les appareils obsolètes
comme les vieilles caméras stéréoscopiques, en même temps que sa fascination
pour l'insolite qui l'ont poussée dans les marges des courants dominants en
art. Elle se considère elle-même comme "une héritière des médiums du
dix-neuvième siècle dont les séances de matérialisation conjuraient des
désirs inconscients d'une manière aussi théâtrale que possible." 15 Et en
fait, dans une oeuvre en collaboration avec l'artiste du son Ken Montgomery
intitulée A Mechanical Medium, elle est allée jusqu'à déterrer un appareil
que Thomas Edison avait tenté de développer avant de mourir avec pour seul
but la communication avec l'au-delà. Le site Web de Beloff, Zoe's World, se
concentre de manière fort marquée sur un sentiment de lieu, ou il serait
peut-être plus approprié de dire, de non lieu. À l'entrée, le visiteur se
voit offrir un choix de boutons: Home, Beyond et Where Where There There
Where, ces deux derniers renvoyant à des oeuvres précédentes. 16 Avec justesse, la définition du médium constitue un pont entre deux univers.
Beloff exploite le sujet du paranormal dans plusieurs de ses oeuvres; voici
les éléments qu'elle assemble: médiums, mécaniques ou humains; "des images
fantômes qui "ne sont pas là"; et des citations des pages les plus sombres
de Baudelaire telles qu'"une ville remplie de rêves où les fantômes
accostent les passants en plein jour." Dans son oeuvre Beyond, elle crée un
monde virtuel consacré à la question de la technologie et des phénomènes
psychiques. Dans la description qu'elle fait elle-même de son oeuvre, elle
réfère à ces sujets au sein des limites temporelles prescrites par
"l'avènement de la reproduction mécanique." Cette expression en tant que telle
situe son discours sur cette question dans un cadre de discussion emprunté à
Walter Benjamin. 17 Également importante dans son travail est la place accordée à la
psychanalyse, et dans certains cas de la "parapsychanalyse". Avec Beyond,
Beloff fait de la technologie l'analysant, elle décrit cette oeuvre comme
une "investigation de la vie rêvée de la technologie de 1890 à 1940." Elle
infuse ces merveilles des débuts de la technologie d'un sentiment de
mystère, le sentiment même qui a dû entourer ces appareils peu après leur
invention. "Le phonographe séparant la voix du corps, la photographie
capturant l'âme, et le cinéma ressuscitant les morts."
L'observateur est conduit à se demander vers quel autre domaine l'artiste
nous emmène. La réponse pencherait davantage du côté de l'histoire, sous
l'aspect d'un musée technologique sans mur, que du côté du monde des
esprits. Mais Zoe Beloff fait clairement état de son désir de tirer de ces
appareils technologiques plus que la somme de leurs parties, d'aller au-delà
des six degrés de liberté, des contraintes kinétiques et géométriques, utilisant des
outils numériques, l'essence même de la quantification, pour exprimer ce qui
est intangible. Elle le fait en permettant à l'observateur de pénétrer dans
sa vive imagination et en engageant le spectateur dans son récit. Si comme
le conclut Katherine Hayles "inscription et incorporation viennent se confondre aux niveaux les plus élémentaires" et comme l'affirme Catherine Bateson " nous ne
pouvons jamais percevoir le monde de manière directe", mais seulement le
comprendre à travers la construction métaphorique que nous érigeons de nous-mêmes, alors peut-être nos cerveaux sont-ils supposés se glisser
confortablement entre le monde primaire et le monde virtuel, et oui,
peut-être même au-delà.
traduction: Anne-Marie Boisvert
Notes

1. Michael Heim, Virtual Realism, New York/Oxford, Oxford University
Press, 1998, p.129-130.
2. Qui permet la vision à relief grâce à des lunettes stéréoscopiques optoélectroniques à transducteur.
3. Cette nouvelle méthode à laquelle il est référé comme Système de
planification de caractérisation analytique (Characterization Analysis
Planning
System ou CAPS) pour la création d'environnements virtuels est encore trop
dispendieuse pour être répandue, et est utilisée essentiellement pour des
applications militaires ou gouvernementales. Au fur et à mesure que le procédé dans son entier
deviendra automatisé, les coûts de cette technologie
deviendront moins prohibitifs et nous commencerons à voir des artistes
l'utiliser.
4. Le CAVE ou caverne se caractérise par sa capacité d'immersion totale. Il s'agit d'une grande salle à multiples projections. Les simulateurs de vol utilisent un système d'affichage à immersion spatiale ou SID (Spatial Immersive Display) dont le champ de vision est accru, généralement un peu de 180 degrés. Le casque de vision tridimensionnelle est plus limité, il est plus encombrant, il n'offre pas la possibilité d'expériences collectives et la résolution de l'image n'est pas aussi fine que pour les environnements CAVE.
5. J'ai examiné les origines de la RV et l'histoire de la simulation de vol
dans mon essai
"Synthetic Magic/Virtual Reality" qui a paru dans l'anthologie Theory Rules
sous la direction de Jody Berland, Will Straw et David Tomas et publié par
YYZ Books et University of Toronto Press.
6. Katherine Hayles, How We Became Posthuman, Chicago & London, The
University of Chicago Press, 1999, p. 275.
7. Ibid., p. 276.
8. Ibid., p. 279.
9. Stephanie Moser, "Visual Representation in Archaelogy" in Brian S.
Baigrie, ed., Picturing Knowledge, Toronto & London, University of
Toronto Press, 1996, p. 188.
10. Jonathan Crary, Techniques of the Observer, Cambridge & London, MIT
Press, 1990, pp. 112-113
11. Il existe un nouveau livre sur le sujet qui documente l'histoire du
panorama et ses usages en tant que propagande, publicité, et "simulacre du vécu." Dans cet ouvrage, l'auteur donne un compte-rendu de son
"contexte historique, social et culturel." Voir: See: Bernard Comment, The
Painted
Panorama, Abrams Press, 2000.
12. Ibid., p. 112
13. Ibidem.
14. Les références au paysage de l'enfance abondent, des images illustrant
les livres pour enfants choisies par elle, à la maison de poupée qui tient
une place importante dans l'auto-portrait qu'elle a sélectionné pour son
site web. Elle réfère elle-même à ses "oeuvres comme à des jouets
philosophiques."
15. Voir le texte d'accompagnement sur son site Web pour plus d'information
sur le sujet.
16. Le thème du lieu semble surgir encore dans trois autres oeuvres, Life
Underwater, Shadowland or Light from the Other Side and Lost.
17. Il existe plusieurs nouvelles publications intéressantes sur Benjamin
qui sont parues dans les dernières années suscitant un débat entièrement
nouveau autour de ses écrits.
Francine Dagenais

Essayiste, théoricienne, critique et historienne de l'art, Francine Dagenais œuvre dans le milieu des arts visuels depuis plus de dix ans.Ses essais, articles et commentaires ont paru dans de nombreuses revues spécialisées dont Artforum, Canadian Art, C Magazine, CV Photo et Parachute. Elle a, de plus, travaillé comme chroniqueuse à Radio-Canada et CBC. En tant que commissaire, elle a organisé plusieurs colloques, événements et expositions sur les nouveaux médias dont, en 1999, Ordinatrices (La Centrale) et Cartographies (ISEA). Participante aux HTMlles 2000 (Studio XX) elle y présenta une communication sur la performance, la réponse somatique et l'art réseautique. Étudiante au doctorat à l'Université McGill, elle est récipiendaire de la Bram Garber Fellowship en Histoire de l'art.