ISEA2000: RÉVÉLATION, 7-10 décembre 2000 à Paris
(in French only)

par Sylvie Parent

INTRODUCTION

ISEA2000
Du 7 au 10 décembre 2000 se déroulait le Symposium
ISEA2000 à Paris, un événement fort attendu par la communauté artistique concernée par les nouveaux médias, tout particulièrement par le milieu francophone. L'événement comprenait un ensemble impressionnant de conférences, présentations individuelles et institutionnelles, tables rondes et séminaires prenant place simultanément dans plusieurs salles du Forum des Images de même que dans d'autres lieux, notamment l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts et l'Université Paris 8. À ces présentations s'ajoutaient de nombreuses expositions, concerts, performances, projections vidéos et la possibilité de consulter des sites Web et des CD-ROMs sur place, sélectionnés pour l'événement. D'autres manifestations importantes dans le domaine des nouveaux médias se produisaient avant et après le Symposium à Paris et en France, tels que le Festival international d'Arts Multimédia Urbains Interférences à Belfort organisé par le CICV. Devant le vaste choix proposé par les organisateurs, chacun se voyait devant la nécessité de créer son programme individuel sur mesure selon ses intérêts particuliers. Toutes les disciplines artistiques liées aux nouvelles technologies étaient représentées, aussi bien les arts visuels, que la littérature, la danse, la création sonore, les arts de la scène. Le lecteur ne pourra que me suivre ici dans un parcours forcément personnel défini par mes intérêts que sont l'art Web, les arts visuels et plus généralement, l'Internet comme moyen de création et de communication.

 

JOUR 1

 

Ouverture

La conférence d'ouverture présentée par Derrick de Kerkhove portait sur le concept de révélation, celui qu’avait adopté l'équipe d'ISEA2000 pour désigner cette édition. Après avoir donné quelques exemples de révélations qui ont été rendues possibles grâce aux technologies actuelles dans le domaine de la science, notamment en archéologie et en climatologie, Derrick de Kerkhove a poursuivi en affirmant que l'art est lui aussi un système révélateur parce qu’il détient un potentiel de découverte et de surprise. Le théoricien a illustré son propos à l’aide d’exemples dans le secteur des arts technologiques, en identifiant plusieurs œuvres importantes, telles que Hole in Space (1980) de Kit Galloway et Sherrie Rabinovitch, Very nervous System (1986-1990) de David Rokeby et Tunnel sous l'Atlantique (1997) de Maurice Benayoun, parmi plusieurs autres. De Kerkhove a également admis son parti pris pour les réalisations impliquant des dispositifs de vidéoconférence. Après avoir mis en contexte ces œuvres avec ses propres travaux dans le domaine des théories des médias, l’auteur a affirmé que la révélation qui se produit dans le domaine de la science se réalise tout autant en art procurant, elle aussi, une satisfaction d’ordre cognitive. De plus, la révélation dans le domaine artistique offrirait une satisfaction accrue parce qu'elle rejoint les zones plus profondes de l'être.

 

Esthétique du virtuel

En guise d’introduction à ce panel, Anne-Marie Duguet (directeur du Centre de Recherche d’Esthétique du Cinéma et des Arts Audiovisuels, Université de Paris 1) a évoqué le problème de constituer une théorie sur les nouveaux médias alors qu’ils sont en train de se développer. Les trois théoriciens invités ont répondu à cette tâche difficile à travers leurs recherches des dernières années en examinant un ou plusieurs aspects des nouveaux médias.

Roy Ascott, un des acteurs les plus réputés dans le domaine des nouveaux médias, que ce soit par ses créations artistiques, ses recherches, son enseignement et ses conférences, et ce, depuis plus de vingt ans, a présenté ses travaux dans le champ de la «télématique», de la «technoéthique», des rapports entre le monde naturel (humain, biologique) et celui des technologies de la communication. En tant que directeur du CaiiA-STAR, il est entouré d’une équipe de chercheurs à laquelle participent de nombreux artistes et théoriciens importants (Peter Anders, Char Davies, Eduardo Kac, Laurent Mignonneau, Joseph Nechvatal, Marcos Novak, Christian Sommerer, Victoria Vesna, pour n’en nommer que quelques-uns). L’angle de recherche spécifique et commun à toutes les études s’y déroulant concerne les transformations de la conscience, la conscience augmentée dans le contexte des nouvelles technologies. Depuis 1997, Roy Ascott est aussi responsable des conférences internationales Consciousness Reframed se tenant annuellement. Son groupe de recherche se réunissait également à l’occasion d’ISEA2000 pour présenter les travaux et créations des participants lors de la rencontre L’art à l’ère post-biologique qui se tenait à la Médiathèque de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (ENSBA), les 12 et 13 décembre.

Lors de sa présentation intitulée Moismedia technoetics and the Three VRs Roy Ascott proposait une convergence entre l’univers sec (dry) de l’ordinateur et l’univers mouillé (wet) du biologique qui viendrait à bout de leurs oppositions et différences et résulterait en un monde humide (moist). Ses travaux des dernières années établissent un parallèle entre la conscience augmentée obtenue par la consommation de l’ayuasca (plante utilisée par les shamans lors de rituels au Brésil) et la redéfinition de la conscience par le moyen d’une utilisation des médias interactifs et du réseau.

Le monde «humide» que suggère Roy Ascott soulève quelques problèmes parce qu’il fait intervenir l’idée utopique d’une fusion souhaitable (conscience augmentée) entre la nature et la technologie, à l’heure où de nombreuses questions délicates d’ordre éthique en biotechnologie, par exemple, doivent être étudiées avec beaucoup de prudence. De plus, la correspondance entre les consciences augmentées, dues à l’absorption de l’ayuasca d’un côté et l’utilisation des nouveaux médias de l’autre, bien que fascinante, me laisse perplexe. Ceci dit, un des apports indéniables de ce théoricien est d’avoir élaboré des concepts fort éclairants pour penser la création dans le champ des nouveaux médias. De plus, il manipule ces concepts avec une finesse remarquable, en particulier dans le domaine de la téléprésence et des télécommunications, quitte parfois à inventer des mots pour définir de nouveaux phénomènes.

Pour sa part, Lucia Leao, artiste interdisciplinaire travaillant dans le domaine des nouveaux médias, chercheure et auteure du livre Hypermedia and the Metaphor of the Labyrinth, architecture and navigation on the cyberspace, s’est consacrée à l’étude des labyrinthes à travers l’histoire et a établi des rapports entre différents types de labyrinthes et la représentation spatiale du cyberespace. Lucia Leao a élaboré une typologie des labyrinthes, à travers une vaste étude historique et a constaté que ces modèles spatiaux complexes ont persisté dans l’histoire de l’humanité et ont répondu à un besoin persistant de visualisation de l’espace. Durant son exposé, elle a présenté des cartes du cyberespace conçues par des groupes de recherche scientifique et des projets d’artistes tel que le fureteur Webstalker du collectif britannique I/O/D (Matthew Fuller, Simon Pope et Colin Green) et le programme Web Hopper développé avec la technologie JAVA par le collectif japonais Sensorium.

Enfin, Mario Costa, professeur d’Esthétique à l’Université de Salerne et de Méthodologie de la critique à l’Université de Naples, auteur du livre Le sublime technologique (voir un commentaire d'Annick Bureaud sur le livre), propose une analyse de nature philosophique au sujet de la création à l’heure des nouvelles technologies. Selon le théoricien, il faut renoncer aux termes d’"art", d’"artiste" et d’"œuvre" parce que ceux-ci ne correspondent plus à la recherche esthétique actuelle en rapport avec les technologies. Une nouvelle esthétique, divergeant complètement de la tradition de l’art, oblige à revoir ces concepts. L’artiste devient un chercheur esthétique et la notion de sujet s’amenuise jusqu’à disparaître. L’extraversion du sujet, technologiquement transféré vers l’extérieur, transforme totalement le rôle du concepteur et du récepteur. L’art ne consiste plus en la production de signifiés mais l’activation des signifiants. Malgré tout, l’intentionnalité esthétique est en mesure de donner lieu à de nouvelles expressions de sublimité.

 

Création sur le Web

La session de l’après-midi concernant la création sur le Web s’est déroulée de manière chaotique due à l’absence d’Andreas Broeckman (très attendu mais retenu à Berlin pour l’organisation du festival Transmediale) devant animer cette rencontre. Des problèmes techniques sont également venus compliquer sérieusement les présentations (la connexion Internet faisait défaut la plupart du temps…). Cette session souffrait également d’un manque de cohésion, de thème unificateur. La plupart des invités étaient liés, de près ou de loin, aux activités du Syndicate mais les présentations individuelles concernaient les réalisations des uns et des autres sans qu’un fil conducteur les réunissent véritablement entre eux. Ceci dit, les artistes invités méritaient tous l’attention, parmi ceux-ci on comptait Annie Gentes et Carol-Ann Braun (Formes Inconscientes de la Ville), Chris Speed , Machiko Kusahara (Renga), Frédéric Madre (Pleine-Peau), Manthos Santorineos (Medi@terra), Nina Czegledy et Ilyiana Nedkova (Crossing Over), Darko Fritz, Jennifer de Felice (Cafe9), Dieter Wieczorek, le groupe d’Actions Réseaux Numériques, Ervgenija Demnievska (Gambit d’Eurynome, Chaos in action), Guy van Belle, Jean-Philippe Halgand et Clément Thomas (Pavu).

Toutefois, cette session, toute désinvolte fut-elle, comportait quelques moments forts. La présentation de Chris Speed, un artiste et chercheur qui s’intéresse aux différentes manières de mesurer le temps, à la relativité temporelle, au caractère multi-temporel de l’expérience en était certainement un. Lors de sa présentation, il a offert au public une métaphore «analogue» de cette expérience multi-temporelle - un acrobate faisait tourner des assiettes de l’autre côté de la salle tandis que le conférencier parlait - qui avait de quoi convaincre et distraire.

Sur un autre ton, mais là aussi avec beaucoup d’humour, le duo de Pavu, en continuité avec leurs pseudo-activités corporatives, s’est livré à une performance bilingue (!) au cours de laquelle les auditeurs étaient invités à participer au projet Gnou Foundlands. Le tout s’est terminé par une chanson sur l’air de Yesterday des Beatles qui a diverti considérablement la salle et l'a fait sortir d'un certain état apathique...

 

JOUR 2

 

Internet et société

Les deux conférencières invitées, Rejane Spitz et Birgit Richard ont, chacune à leur manière, fait ressortir certains aspects pernicieux de l'Internet sur le plan social. Leurs présentations apportaient des éléments critiques, fort " révélateurs ", face à l'accessibilité (Spitz) et à l'environnement corporatif du cyberespace (Richard).

Rejane Spitz, artiste multimédia et professeure au Département des arts à l'Université PUC de Rio de Janeiro a réalisé des projets à caractère social impliquant les communautés exclues du réseau, les individus habitant dans les zones défavorisées au Brésil. Dans sa conférence, elle rappelle que quatre individus sur cinq n'ont pas le téléphone sur la planète et que seulement 7% de la population mondiale a un accès à Internet. Ces informations déconcertantes ont pour effet de relativiser grandement les discours utopiques sur l'interconnectivité générale et contribuent fortement à nous sortir de notre tour d'ivoire...

Quant à Birgit Richard, elle a fait le récit et l'analyse de Toywar, le combat mené par le collectif Etoy pour préserver son nom de domaine face aux poursuites de la corporation Etoys. (voir également le commentaire d'Alex Galloway dans la conférence donnée durant La Biennale de Montréal 2000). La conférencière a mis en évidence le fait que l'aspect corporatif du travail du collectif Etoy s'apparente beaucoup trop aux stratégies développées par les corporations elles-mêmes et que cette ressemblance n'est pas tolérée par ce milieu des affaires parce que les artistes empiètent sur un terrain qui n'est pas le leur. Leur fausse image corporative crée une confusion inacceptable pour ceux qu'ils imitent trop parfaitement. Etoy paraît occuper ainsi un territoire commercial qui n'est pas le leur et ouvre l'espace de l'art à d'autres zones qui leur sont refusées. En ne se contentant pas de la pas la niche - le terrain de jeu (playground) disait Birgit Richard - qui leur est réservée, le collectif Etoy introduit de nouvelles stratégies de l'art.

 

Global et Local

La table ronde sur la question de la globalisation et de l'identité culturelle s'est avérée une des plus vivantes et intéressantes du Symposium. Elle a donné lieu à un débat animé au cours duquel le public a eu l'occasion d'assister à des échanges riches, denses et diversifiés. Cette table ronde apportait un éclairage particulier sur l'intégration de l'Internet en France.

André Santini, maire d'Issy-les-Moulineaux, une ville numérique dont 57% des emplois sont liés aux technologies, est un homme de vision qui a cru au potentiel d'Internet dans un pays où cette prise de position était encore, il n'y a pas si longtemps, marginale. Il a rappelé que le Québec produit, à lui seul, autant de sites Internet que la France… De plus, l'homme politique, qui a aussi exercé la profession de juge, a discuté de questions éthiques et juridiques, des problèmes nouveaux liés à l'utilisation de l'Internet (confidentialité, droit à l'oubli, etc.).

Pour sa part, Louis Bec, (voir une entrevue) zoosystémicien et responsable d'événements et de projets ayant trait aux nouvelles technologies à Avignon, tels que la plate-forme AVIGNONumérique, a témoigné d'une résistance politique face aux nouvelles technologies dans son milieu. À Avignon, une ville reconnue pour son célèbre festival, un espace traditionnel et patrimonial, il a rencontré beaucoup d'opposition par rapport au développement et la mise en valeur de projets concernant les nouvelles technologies.

Étienne Krieger, gourou de la netéconomie, a apporté un point de vue sur la création d'entreprises sur Internet, sur les Start-Up (entreprise lancée avec du capital-risque). Il a fait état d'un enthousiasme hâtif et des limites de ce modèle, de l'improvisation de certaines entreprises et d'un mini-crack boursier survenu il y a quelques mois.(voir le dossier dans Libération) Il en est arrivé à la conclusion qu'une entreprise innovatrice ne peut s'affranchir de principes de bonne gestion et qu'il lui faut considérer certaines barrières physiques et culturelles, bref il constate que de nombreuses initiatives de commerce électronique se sont construites trop rapidement.

Une des interventions les plus passionnantes fut celle de Philippe Quéau, responsable de l'événement Imagina, auteur de plusieurs ouvrages importants sur les nouvelles technologies (Éloge de la simulation - de la vie des langages à la synthèse et Le virtuel - Vertus et vertiges, notamment) et aujourd'hui Directeur de la division Société de l'information à L'UNESCO. Il a d'abord rappelé, lui aussi, que l'accessibilité à l'Internet est une fiction à dégonfler et que l'Internet est un lieu hautement politique. Selon Quéau, la délocalisation résultant de l'Internet ne favorise pas le partage des biens et des ressources, bien au contraire. L'Internet est, lui aussi, un autre outil de pouvoir culturel, politique et économique. À ce sujet, il rappelle que la géo-morphologie du réseau Internet est dominée par les Américains, la plupart de l'infrastructure de l'Internet commutant par les États-Unis. L'absence de régularisation concernant l'Internet, la " liberté qui y règne " signifie aussi un laissez-faire généralisé. En ce sens, Quéau constate une absence de responsabilité générale, un égoïsme des états : " il n'y a pas de pilote dans l'avion mondial" et qu'il est temps de secouer l'indifférence.

 

FACES

À l'École Nationale Supérieure des Beaux-arts (ENSBA) se déroulait FACES in Paris une rencontre organisée par la co-fondatrice de la liste de discussion FACES, Kathy Rae Huffman et des partenaires françaises, telles que Nathalie Magnan, artiste et professeure à l'École des Beaux-arts de Dijon et l'association féministe Les Pénélopes qui diffuse un site Web très actif.

En compagnie d'Eva Wohlgemuth avec qui elle a créé le projet FACES Settings (présenté à l'événement Documenta X), et de Diana McCarthy (une des responsable de la liste de discussion faces), Kathy Rae Huffman a rappelé l'histoire de cette liste de discussions destinée aux femmes oeuvrant dans le milieu de l'art et des nouvelles technologies. L'objectif de la rencontre FACES à Paris était de présenter le travail de ces femmes, dans un contexte " parallèle " à celui d'ISEA2000, les activités de plusieurs d'entre elles ne figurant pas au programme du Symposium…

L'après-midi s'est avéré fort chargé puisque plus d'une vingtaine d'intervenantes ont présenté leur travail… La courte durée des interventions (5 minutes !) laissait parfois place à une certaine frustration, mais elle était motivée par le très grand nombre d'invitées et la volonté d'accorder une attention égale à chacune. L'atmosphère conviviale qui régnait dans la salle facilitait aussi le déroulement des présentations. Bien que prenant la forme d'un marathon, cette rencontre a véritablement mis en évidence l'importance et la variété des travaux des cyberfemmes, une " révélation " qui semblait nécessaire dans le contexte de cet événement et au sein du milieu français… Elle a eu pour effet de susciter la curiosité, de faire naître l'envie de poursuivre les échanges et le désir d'approfondir la connaissance envers les travaux de celles-ci.

Pour ma part, j'ai été particulièrement impressionnée par l'engagement social de Marion Baruch (site de soutien et de documentation des " sans papiers "), et des activités cyberféministes de Virginia Eurbanks (site Brillo) et Laurence Rassel (textes de référence sur le cyberféminisme ) et Natalie Müller (de la Axis foundation for Gender and the Arts, Amsterdam). Il a également été possible de rencontrer de nombreuses artistes importantes ayant réalisé des oeuvres sur le Web, telles que Shu Lea Chang (Brandon), Jenny Marketou (Smellbytes), Eva Wohlgemuth (Bodyscan) et Olga Kisseleva (How are you?), notamment. Du côté des organisatrices, productrices et directrices d'institutions, Anne-Marie Morrice, une pionnière d'Internet en France est venue parler de Synesthésie , la revue d'art diffusée sur le réseau qu'elle dirige depuis 1995 et de ses projets de Centre d'Art Virtuel (voir jour 5). Sarah Cook et Trudy Lane, associées aux activités du département des nouveaux médias du Walker Art Center étaient aussi présentes. Sarah Cook a informé le public de la mise sur pied d'un site remarquable sur la conservation des nouveaux médias qu'elle a conçu avec des collègues Curatorial resource for upstart media bliss De plus, l'incontournable Sara Diamond accompagnée de Susan Kennard du Banff Center for the Arts sont venues présenter les projets Code Zebra et Radio90.

 

Jour 3

 

Paris en 3D

Une des expositions de grand intérêt, associée à ISEA2000, Paris en 3D - De la stéréoscopie à la réalité virtuelle, de 1850 à nos jours, était présentée au Musée Carnavalet, le musée d'Histoire de Paris. Il s'agissait, avant tout, d'une exposition didactique sur les procédés techniques liés à la réalisation d'images en relief, des vues stéréoscopiques sur daguerréotypes, en passant par les hologrammes jusqu'à l'image virtuelle 3D. Paris en 3D mettait en évidence la volonté de spatialisation de l'image qui a accompagnée toutes les étapes de développement de ces techniques. Cette exposition avait le mérite d'inclure les travaux de nombreux artistes notamment ceux d'Alain Paiement (une photosculpture inédite, créée spécialement pour cet événement) et de Michael Snow (hologrammes) pour ne nommer que les québécois et canadiens.

 

Fred Forest

Une des présentations individuelles les plus captivantes fut celle de Fred Forest, un artiste pionnier dans les arts technologiques en France, qui a réalisé de très nombreuses actions " artistiques " au cours des 30 dernières années intégrant les moyens de communication et de télécommunication les plus variés. Plusieurs de ses projets étaient fondés sur la participation du public, sollicité par les moyens de communication divers, que ce soit le journal, le télétel et le minitel, la radio, le téléphone, la télévision et sa pratique s'est naturellement prolongée sur le Web. Ses œuvres portent sur les notions de territoire, de possession et de valeur, sur le rapport entre l'individu et la société, sur le droit à la communication, sur le partage, des thèmes très présents dans l'art Web. Cette présentation avait le mérite de situer la création sur le Web au sein d'un ensemble de procédés apparentés et donnait une perspective historique à des concepts liés à la création sur Internet : interactivité, connectivité, processus, ubiquité, des notions déjà explorées dans les travaux de certains artistes à l'aide d'autres moyens dans le passé.

 

Jour 4

 

Histoire des nouveaux médias

Stephen Jones, artiste dans le domaine de la vidéo et de la création sonore a effectué un parcours dans l'histoire des nouveaux medias à travers les œuvres d'artistes australiens. Son propos faisait ressortir les intersections entre les systèmes analogue et numérique dans le développement des technologies audio-visuelles des quarante dernières années. Pour sa part, Lucy Petrovich, artiste multimédia et professeure à l'Université d'Arizona, a jeté un regard historique sur la création en arts électroniques en relevant une transformation fondamentale, c'est-à-dire le passage d'une attitude contemplative à un comportement actif dans l'appréhension des œuvres. Elle a également proposé un ensemble d'œuvres pour appuyer cette observation telles que Bar Code Hotel de Perry Hoberman, Very Nervous System de David Rokeby, Composition on the Table de Toshio Iwai et World Skin de Maurice Benayoun. Ces deux interventions ont surtout permis au public de connaître de grandes réalisations artistiques dans le secteur des nouveaux médias.

Anne-Marie Duguet, professeure au Centre de Recherches d'Esthétique du Cinéma et des Arts Audiovisuels de l'Université de Paris 1 (CRECA), a présenté le projet Anarchive qu'elle dirige, une collection de CD-ROMs monographiques sur des artistes importants dans le champ des nouveaux médias. Le premier numéro sur l'artiste Antoni Muntadas vient d'être publié (voir une présentation dans OLATS) par le Centre Georges Pompidou.

Professeure, critique et théoricienne dans les domaines de la vidéo et des nouveaux médias, Anne-marie Duguet a établi des correspondances entre ces deux champs de la création. Elle constate une frénésie archiviste, encouragée par l'ordinateur, comme cela avait été le cas pour la vidéo. Ces techniques favorisent une conscience de l'histoire alors qu'elles se trouvent aux débuts même de leur développement. La théoricienne a fait état du défi que constitue le fait d'avoir du recul alors que l'objet de recherche se produit dans la simultanéité. Elle a affirmé qu'il faut à présent repenser l'archive, éviter l'exhaustivité, la totalisation et effectuer des choix pour éviter l'indifférenciation et la perte de sens.

 

L'art numérique est-il contemporain?

Cette dernière table ronde du Symposium a réuni des acteurs provenant des arts visuels contemporains, et d'autres liés plus étroitement à la création dans le champ des nouveaux médias. Elle avait pour objectif de confronter ces deux univers. Manuela El Barros a ouvert la session en faisant état de la situation actuelle, en évoquant la persistence de l'art numérique et en signalant les déplacement de la créativité qu'il signifie. Elle a également soulevé le reproche souvent émis par le milieu de l'art contemporain envers les nouveaux médias, à savoir qu'ils sont trop souvent orientés vers la technicité et qu'il s'agit d'un monde fermé sur lui-même. Daniel Soutif s'est penché sur la question elle-même et l'a qualifiée de maladroite parce qu'elle prend l'art par le bout du médium, une approche très moderniste finalement et dépassée en art actuel. Soutif a également questionné une telle spécificité et critiqué l'isolement dans lequel se situe l'art numérique au sein de l'art contemporain. Marc Partouche, du Ministère de la Culture, s'est dit peu convaincu des œuvres réalisées dans le champ des nouveaux médias jusqu'à présent, qu'il n'existe pas d'œuvres majeures dans ce domaine. Il affirme que cet art se situe dans une phase d'affirmation et d'autonomie des outils, une phase qu'il dit volontariste. Selon lui, il y aura un art numérique lorsque ces distinctions entre l'art contemporain et l'art numérique auront disparu… Quant à Emmanuel Perottin, galeriste représentant des artistes des nouveaux médias, il a fait part des problèmes de présenter et préserver cet art.

À son tour, Maurice Benayoun, un des artistes français les plus importants dans le milieu des nouveaux médias, a affirmé que cette question était une provocation, qu'elle semblait masquer une revendication et l'artiste remettait en question, lui aussi, cette distinction des outils. Lors de son intervention, Benayoun a identifié trois temps de développement de l'art (numérique) :
1. L'apparition de l'outil et ses répercussions sur les pratiques, les thèmes et les rapports avec le public
2: L' outil est absorbé par milieu, par le champ artistique et il n'est plus question de sa spécificité.
3: L'outil est oublié.
Le fait de mettre de l'avant l'outil constituerait donc une " maladie de jeunesse ". Selon lui, il ne faut pas s'arrêter à la porte des outils. L'artiste a aussi affirmé que sans faire l'apologie des outils, il ne faut pas non plus diaboliser les technologies, qu'elles constituent des outils parmi d'autres. Selon Benayoun, il faut arrêter de regarder le doigt et essayer de voir ce qu'il montre.

 

Jour 5

 

Synesthésie: Centre d'Art Contemporain Virtuel (CAC-V)

Le jour suivant la fin du Symposium ISEA2000, Anne-Marie Morrice, de Synesthésie, organisait une table ronde au sujet du projet de Centre d'Art Contemporain Virtuel qu'elle veut réaliser. Il s'agit d'un centre, d'un lieu physique, muni d'équipements spécialisés et coordonné par des spécialistes des nouveaux médias, qui permettrait la production d'œuvres conçues pour l'Internet et qui offrirait un support aux artistes intéressés par ce médium. Le CAC-V donnerait également l'occasion au public de se familiariser avec l'art Web et les œuvres multimédias.

La rencontre se tenait au CREDAC et faisait suite à un débat en ligne , auquel participaient Pierre Robert, Grégory Chatonsky et Olga Kisseleva, entre autres, et qui portait sur l'art Web et sur la nécessité d'un tel projet. La table ronde comportait deux parties : "l'exposition en question" et "l'art et le net". Elle visait à interroger les artistes au sujet des possibilités de création que représente l'Internet pour eux et de mesurer les besoins de la communauté. La première partie de la table ronde réunissait des artistes français qui ont témoigné de leur pratique et sont venus partager leur vision de l'art actuel. La deuxième partie était davantage consacrée à l'art sur le Web. Antoine Moreau, Éric Maillet, Carole Boulbès, Katherine Liberovskaya et moi avons présenté notre travail dans ce domaine et fait part de notre conception de l'art qui se développe sur le Web depuis quelques années.

Il m'a semblé que les artistes français s'intéressent au Web, mais qu'ils ne s'identifient pas avec les oeuvres spécifiquement conçues pour ce médium. Pour plusieurs d'entre eux, le Web demeure un véhicule et/ou un outil parmi d'autres. Par ailleurs, la création du Centre d'Art Contemporain - Virtuel est bien accueillie par ceux-ci. L'aide technique, l'accès à l'équipement et la possibilité de consulter des oeuvres multimédias semblaient rejoindre des préoccupations bien "réelles" pour les artistes dans la salle.

 

Conclusion

Il est indéniable que la tenue du Symposium ISEA2000 à Paris constituait une occasion unique pour entendre des chercheurs et théoriciens réputés exposer leur recherche et connaître les réalisations dans le domaine des nouveaux médias. Sans aucun doute, cet événement a été d'une grande stimulation pour le milieu français et de nombreuses initiatives devraient voir le jour suite au symposium. Certains secteurs de la création ont paru être particulièrement bien représentés lors de cette édition, comme la création sonore et la danse, par exemple.

Pour ma part, il m'a semblé que la confiance n'était pas encore gagnée du côté des autorités françaises malgré le travail remarquable de certains artistes (Fred Forest, Maurice Benayoun, etc). En ce qui concerne l'Internet, la perception qu'en ont les artistes et l'adhésion à ce moyen de création et de communication, il m'a paru qu'un certain décalage existe toujours. L'Internet a fait son entrée en France timidement à ses débuts. Les artistes français, d'une manière générale, ont mis un peu plus de temps à intégrer ce médium. Les artistes français se sentent peu concernés par un art spécifique et ont été peu à s'engager dans cette phase d' "exploration des outils" (ou du net.art?) pour plusieurs raisons telles que la langue, les coûts d'accès, une certaine tradition artistique et culturelle, d'autres technologies de la communication comme le minitel, pour ne nommer que quelques-unes. Plusieurs d'entre eux considèrent le Web comme un outil parmi beaucoup d'autres convenant à la réalisation de certains projets.

 

 

 

 

Sylvie Parent remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des Arts du Canada pour leur aide.

 


 

 



Courriel / email: courrier@ciac.ca
Tél.: (514) 288-0811
Fax: (514) 288-5021