ENTREVUE AVEC KATHERINE LIBEROVSKAYA


 
Studio XX

Rossitza Daskalova: Comment la transition s'est-elle faite pour vous depuis votre travail artistique en vidéo jusqu'à votre poste actuel de présidente du conseil de direction de Studio XX et votre travail de théoricienne des nouveaux médias, plus spécifiquement de l'art Web? Comment vos activités professionnelles ont-elles évolué?

Katherine Liberovskaya: J'ai commencé à m'intéresser au Web au moment de son émergence en 1993-1994. Mon premier contact marquant avec lui a eu lieu durant la première rencontre d'ISEA à Montréal en 1995. À cette époque, il y avait beaucoup de curiosité, de mythes et de rumeurs à son sujet au sein de la "scène" des nouveaux médias. Je travaillais dans le domaine de l'art vidéo depuis les années 80 et depuis le début des années 90, un mouvement d'activités multimédiatiques existait déjà dans les clubs: on y organisait des pré-raves et des raves avec des projections vidéo agrémentées de musique, et des projets variés avec de l'audiovisuel généré par ordinateur, entre autres chez PRIM Vidéo. Ce groupe organisait des événements multimédias et techno. Internet est apparu au même moment que le multimédia numérique, qui lui-même était passé d'Hyper Card à Director. Tout cela nous apparaissait comme un monde numérique nouveau et excitant et nous étions impatients de le découvrir. Je réalisais alors des œuvres en vidéo qui intégraient des graphiques générés par ordinateur. Même si j'avais appris à créer de tels graphiques à la fin des années quatre-vingts, je n'avais jamais aimé la programmation. C'est pourquoi j'avais collaboré avec des artistes à qui cela plaisait et qui étaient habiles dans ce domaine. Le HTML voulait dire davantage de programmation, alors je ne m'y suis pas vraiment mise non plus. Au milieu des années 90 je me suis inscrite à un programme d'une année en multimédia où j'ai appris à me servir de logiciels tels que Photoshop, Director, 3D studio, Illustrator. Mais malgré tout je suis demeurée attachée au médium du vidéo en raison de son immédiateté, de sa nature intuitive et de sa spontanéité, des caractéristiques rarement présentes dans les formats conçus pour le Web et l'ordinateur.

R. D.: Certains de vos premiers projets en vidéo produits au début des années 90 présentent des affinités avec l'art Web. Vous travaillez en vidéo d'un côté et écrivez sur l'art Web de l'autre. Il est assez surprenant que vous n'ayez pas fait le saut dans l'art Web. Où se situe pour vous la frontière entre les deux?

K. L.: Même si je suis intellectuellement fascinée et stimulée par le multimédia et l'art Web, pour ce qui est de la création je trouve frustrant l'art assisté par ordinateur. Au cours de ma vie professionnelle, j'ai déjà opéré une transition significative en passant des arts visuels (peinture, assemblage, installation) à la vidéo. Ma première œuvre vidéo a été conçue comme un élément parmi d'autres dans le cadre d'une installation à laquelle je travaillais en 1987. Le format Hi-8 n'existait pas encore et nous utilisions ces énormes et coûteuses caméras U-Matic. Le Vidéographe m'avait accordé son soutien pour ce projet. Mon but était de créer une expérience multisensorielle. Jusque-là, je changeais constamment de média, mais, quand j'ai découvert la vidéo, j'ai immédiatement abandonné tous les autres formats car elle semblait en tant que médium incorporer toutes les dimensions que je cherchais à exprimer : image, forme, son, mouvement, durée. Pour moi, la vidéo englobait tout cela. Pour ce qui est du numérique, je trouve la programmation et le code frustrants. Les artistes qui s'y adonnent décrivent l'entreprise en tant que telle comme une sculpture dont la matière première serait le code. Je vois le code comme un ensemble de lettres et de chiffres ennuyeux. J'aime utiliser la vidéo parce que je peux capturer une image immédiatement et la voir tout de suite. Cependant, je fais mon montage de manière numérique depuis l'avènement des premiers systèmes nonlinéaires. Mais même si le montage assisté par ordinateur est basé sur un code, celui-ci demeure caché sous des applications intuitives qui donnent l'impression de travailler en temps réel.

R. D.: Qu'est-ce donc dès lors qui vous intéresse dans l'art Web?

K. L.: Mon véritable intérêt concerne les possibilités de connectivité et d'animation du Web. J'aime beaucoup l'idée qu'il soit désormais possible de se brancher sur un réseau accueillant des gens du monde entier. J'ai organisé plusieurs conférences sur le Net au Studio XX avec C-U-SeeMe et I-Visit: entre autres le Russian Forum durant la deuxième édition de Maid in Cyberspace, en même temps qu'un party Web pour les femmes via I-Visit pour la Journée internationale des femmes de cette année. Au stade présent du développement technologique, quelqu'un peut facilement intégrer la vidéo dans des projets pour le Web mais l'image demeure toujours de la taille d'un timbre-poste. Cela ne me semble pas vraiment intéressant pour l'instant. Mais bientôt des possibilités excitantes pour la vidéo sur le Web devraient voir le jour: le "jamming" live, l'interactivité, la connectivité. J'attends donc.

R. D.: Quels sont les aspects des nouveaux médias sur lesquels vous vous êtes plus particulièrement penchée dans le cadre de vos recherches théoriques ces dernières années?

K. L.: Je m'intéresse aux histoires possibles du multimédia, aux histoires possibles de l'art Web en mettant l'accent sur les pratiques en nouveaux médias dans les cultures non occidentales. Pour mon doctorat, par exemple, j'ai entrepris d'examiner l'art Web en Russie. Je m'interroge à savoir si une technologie qui a été développée surtout aux États-Unis peut avoir un effet colonisateur sur la culture non occidentale, entre autres sur la Russie et l'Europe de l'Est. Est-ce que la technologie numérique entraîne obligatoirement certaines formes de créativité? En tant qu'artiste, d'une certaine manière je trouve regrettable de ne pas m'être davantage consacrée à l'art Web parce que j'aime son côté complètement sauvage qui n'existe pas beaucoup dans les autres formes d'art en ce moment en Occident. La vidéo a été complètement récupérée par le marché de l'art. Mais le Net continue d'une manière étonnante et rafraîchissante à préserver un espace de liberté, au sens où n'importe qui dans le monde peut afficher une intervention sur le Net et, avec un minimum de connaissances, peut programmer son URL de façon à ce qu'elle apparaisse en tête de liste sur les moteurs de recherche. J'aime beaucoup la manière dont le Net permet aux jeunes artistes ou aux représentants des minorités de montrer leur travail, de le diffuser et de créer leurs propres réseaux sans avoir à en passer par la hiérarchie usuelle du monde de l'art.

R. D.: Ne trouvez-vous pas cependant que le monde de l'art Web est en train de devenir de plus en plus structuré?

K. L.: Il est en train de devenir très structuré, mais cette structuration est avant tout philosophique et idéologique. On y organise des activités, au contraire d'un art qui aurait comme support un objet, par exemple une cassette vidéo. Il est très difficile de montrer une vidéo si personne ne veut diffuser votre travail. Même les CD-Rom ont besoin d'être, d'une manière ou d'une autre, distribués. Mais sur le Net vous pouvez toujours mettre un site en ligne, même si vous habitez un lieu très éloigné, et rejoindre en vous branchant sur le Net le reste du monde. Oui, maintenant que Nettime existe, ainsi que Rhizome, le Walker Center, le Whitney, le MOMA, ZKM, Documenta et la Biennale de Venise, plusieurs artistes du Net optent pour ces endroits de diffusion accessibles pour eux en même temps que prestigieux. Néanmoins, vous pouvez continuer de vivre au Zimbabwe, et apprendre la programmation Web par vous-même, pour ensuite mettre en ligne un site en dehors de tous ces lieux prestigieux. Si vous possédez les connaissances requises, vous pouvez vous brancher et faire connaître votre site avec beaucoup plus de facilité que pour d'autres formes d'art. C'est ce qui s'est produit par exemple pour plusieurs artistes d'Europe de l'Est, ce qui aurait été difficile sinon impossible avant l'avènement du Net. Le Net se révèle également une invention merveilleuse pour les cultures minoritaires. Ces dernières peuvent encore une fois facilement créer leurs propres espaces à leur propre image. Le Net peut se permettre en tant que médium de ne pas se conformer aux structures du pouvoir et aux hiérarchies.

R. D.: Quand avez-vous commencé à travailler au sein du Studio XX et que pouvez-vous nous dire sur son évolution?

K. L.: J'ai commencé à travailler au sein du Studio XX dès ses tous débuts. Ce dernier a été fondé par Kathy Kennedy, Kim Sawchuk, Patricia Kearns et Sheryl Hamilton aux alentours de 1995, tout de suite après ISEA à Montréal. Je crois que l'exemple des Guerilla Girls en Australie ainsi que toute la publicité faite autour d'Internet et des nouvelles formes d'art numérique tellement à la mode à cette époque ont été des éléments déterminants dans la création du Studio. À l'époque, comme il est typique avec la technologie, c'étaient plutôt des mecs férus de techno qui prenaient toute la place, avec très peu de femmes. L'idée était alors avant tout de créer un forum pour les femmes leur permettant de s'informer, d'apprendre et d'échanger au sujet de ces nouveaux médias et de ces nouvelles formes, un forum leur offrant la possibilité d'une prise de contrôle. Sheryl et Kim sont toutes les deux des universitaires, Patricia est cinéaste et Kathy artiste du son, et toutes entretiennent des liens importants avec le féminisme. Le premier événement organisé par le Studio a été la projection à la Cinémathèque d'un documentaire sur les femmes et Internet, suivi d'une discussion informelle. On pourrait dire qu'il s'agissait du premier événement Femmes Branchées. Si mes souvenirs sont bons, le documentaire s'intitulait "Wired Women". J'avais été invitée à cette première rencontre et cela m'avait immédiatement intéressée de m'engager à leurs côtés. Le Studio était alors très petit. Kathy avait déniché un PowerMac qui était fort perfectionné pour l'époque et elle avait décidé de le mettre à la disposition de la communauté des femmes (XX). C'est Kathy qui a trouvé cet espace minuscule sur Berri, dans l'immeuble abritant Oboro. Nous le partagions avec une autre organisation à but non lucatif et cela ne nous coûtait que 50$ ou 60$ par mois (une somme qui était souvent difficile à rassembler). À côté se trouvait un large espace appartenant à la QDF (Quebec Drama Federation) que nous louions une soirée par mois pour nos salons des Femmes Branchées.

L'objectif des Femmes Branchées était de favoriser l'apprentissage par l'exemple et la discussion. Nous invitions plusieurs femmes très ferrées sur le plan technique à venir nous expliquer la nature d'Internet et ce nous que pouvions en faire. Les femmes venaient montrer leurs œuvres en médias numériques, présentaient leurs œuvres en chantier, partageaient des idées, des théories, des perspectives critiques, de l'information. À l'époque, j'étais l'une des coordinatrices des Femmes Branchées. C'était une période plaisante. Tout était nouveau et les gens étaient enthousiastes. La plupart des gens n'étaient pas branchés à Internet, ils n'y connaissaient pas grand-chose, alors celui-ci se trouvait enveloppé de toute une aura mythique. Les Femmes Branchées étaient beaucoup plus flexibles à cette époque que maintenant. Les membres de notre communauté savaient qu'elles pouvaient arriver quelques minutes avant un salon des Femmes Branchées et demander cinq ou dix minutes pour faire une annonce, partager une idée, ou faire passer une information. C'était chaotique mais dynamique. Tout cela était géré par des bénévoles. Aujourd'hui nos salons des Femmes Branchées demeurent encore pas mal flexibles comparés à d'autres événements existants dans le domaine des nouveaux médias. Mais avec tout le monde, jusqu'à votre grand-mère, en train de se brancher à Internet partout au Canada depuis deux ou trois ans, l'excitation des débuts est un peu retombée et le Studio a dû préciser son orientation. Maintenant que chacun a un site personnel et peut créer des présentations multimédias à la maison avec Microsoft Office et I-Movie, il n'est désormais plus suffisant de demeurer simplement une organisation centrée sur les femmes et les nouveaux médias et sur les femmes et Internet. Il est devenu plus important que jamais de nous souvenir de nos racines féministes, de nos aspirations et de notre prise de position critique eu égard aux nouveaux médias. Les Femmes Branchées ont continué à exister selon une formule plus ou moins semblable: une fois par mois, d'habitude le dernier vendredi de chaque mois, de 17 h 30 à 19 h 30. Il s'agit toujours de favoriser l'apprentissage par l'exemple et la discussion, avec seulement un peu plus de sophistication maintenant que les coordinatrices reçoivent un salaire et que nous avons un budget pour la location d'équipement tel que des projecteurs LCD.

En 1997, dès que nous avons commencé à recevoir du financement, nous avons troqué le bureau miniature de la rue Berri pour un espace beaucoup plus grand sur la rue Mont-Royal avec une vue époustouflante sur la montagne. Depuis, nous avons pu emménager dans nos super locaux actuels sur Saint-Denis. Le financement que nous recevons est devenu plus stable. Au début, nous recevions seulement du financement pour différents projets, mais nous avons finalement pu obtenir un financement de base régulier de la part des paliers provincial et national. D'année en année, nous avons ainsi pu embaucher de plus en plus de personnes: d'une seule en 1997-1998 nous sommes passées à une équipe d'environ dix personnes aujourd'hui. Notre festival annuel d'art Web pour les femmes, Maid in Cyberspace, mieux connu maintenant sous l'appellation des HTMlles, s'est aussi énormément élargi.

Sa première édition spontanée s'est tenue en 1997 durant un seul week-end, dans un espace loué (ou emprunté, je ne m'en souviens pas) à l'Association du théâtre. Toutes celles qui avaient fait une demande cette année-là ont été acceptées; environ trente projets seulement ont été présentés et personne n'a été payé. Pour la seconde édition, nous avons obtenu un financement et avons pu louer un espace pour un mois dans l'édifice Belgo. Nous avions un budget pour payer un nombre limité de cachets aux artistes et nous avons pu sélectionner une quantité spécifique de projets parmi un choix beaucoup vaste de propositions que l'année précédente. Depuis l'an 2000, les HTMlles ont lieu à la Cinémathèque québécoise, qui nous prête aimablement ses locaux durant la première semaine de février. C'est un plaisir de voir que le Studio, qui a connu des débuts si modestes, est bien vivant, se porte bien et continue à aller de mieux en mieux.

R. D.: En plus des Femmes Branchées et du Festival des HTMlles, quelles sont les autres activités organisées par le Studio XX?

K. L.: Depuis le début nous offrons des ateliers variés axés sur Internet et les ordinateurs, pour les femmes, par les femmes. La communauté que nous desservons apprécie l'atmosphère différente de ces ateliers. Nous offrons également des ateliers thématiques spéciaux s'adressant à différents artistes une fois par année. L'année dernière, nous en avons eu un sur l'hyper-littérature en français, destiné aux écrivains. Nous en avons eu un autre qui portait sur le son numérique, destiné aux compositeurs. Nous offrons également des séjours en résidences aux artistes. Nous tenons à garder la porte ouverte pour accueillir également des projets en médias non numériques comme la radio, le film, la vidéo, parce qu'eux aussi constituent des médias encore relativement nouveaux et non moins technologiques que le Net. Le Studio XX est aussi une véritable organisation communautaire, ce qui le distingue des autres centres d'art pour femmes. Nous nous sommes toujours efforcées d'incorporer l'activisme social dans nos activités. Par exemple, Slavka Antonova, qui est membre du conseil d'administration, a fait une recherche sur les femmes immigrantes et Internet. Nous sommes convaincues qu'il est important de desservir tous les types de communautés de femmes, ce qui n'est pas simple comme objectif. Ce dont nous nous rendons compte, c'est que, plutôt que d'essayer de les amener à nous, la meilleure solution est probablement d'aller vers elles. Un important projet communautaire activiste a été pour nous depuis 1997 Down to Earth in Cyberspace, qui s'est donné comme objectif la promotion de l'usage de la technologie auprès des femmes et des groupes de femmes. Les Femmes Branchées ne se sont jamais uniquement limitées à l'art et à la technologie numérique. La saison dernière, par exemple, une de nos soirées a été entièrement consacrée à la Marche internationale des femmes à New York qui s'est déroulée l'automne dernier; nous avons également organisé une soirée spéciale pour souligner la Journée internationale des femmes au mois de mars, avec comme invitées surtout des activistes. Souvent nos Femmes Branchées accueillent des personnes issues de milieux divers: des artistes à peu près toujours, mais aussi des théoriciennes, des activistes, des féministes... ce qui a toujours été notre concept de départ, à savoir la juxtaposition de pratiques variées et de points de vue concernant les femmes et la technologie, pas seulement l'art fait par des femmes.

R. D.: Quel est le rôle du Studio XX dans le contexte des nouveaux médias au Québec, au Canada et sur la scène internationale? Quelles sont les perspectives à court et à long terme et les stratégies envisagées par le Studio XX pour la suite de son développement?

K. L.: Il se passe beaucoup de choses au Québec et au Canada. Une des raisons en est que nous vivons dans l'un des pays les plus branchés au monde et que se brancher y est abordable. Le Studio XX est peut-être la première, ou du moins l'une des premières organisations uniquement numériques depuis ses débuts. La plupart des autres centres consacrés aux nouveaux médias sont issus d'autres médias, entre autres de la vidéo, et ont ajouté l'art Web à leurs activités seulement récemment. On peut mentionner ici comme exemples Oboro, GIV, Prim, parmi d'autres. Peut-être la SAT à Montréal et Avatar à Québec sont-ils davantage proches de nous, ayant eux aussi œuvré dès leurs débuts dans le domaine du numérique. Je pense que la place du Studio XX sur la scène québécoise des nouveaux médias était et demeure fort significative, ne serait-ce que parce que le Festival des HTMlles a été le premier lieu pour l'art Web international à être créé ici. Le FCMM et le CIAC sont venus plus tard. Et de plus en plus d'organisations en nouveaux médias produisent et exposent des projets conçus pour le Web: GIV, Vidéographe, PRIM et Diamon à Hull, entre autres. Le Studio XX a permis à cette nouvelle forme d'art d'obtenir le respect qui lui est dû, en même temps qu'il contribuait à faire reconnaître le rôle joué par les femmes dans ce domaine. Le Studio XX est devenu de plus en plus francophone depuis ses débuts presque entièrement anglophones. Sur le plan international en tant que tel, la langue française sur Internet est un phénomène important. Nous comptons organiser des activités conjointement avec la France, avec le cybermagazine français Synesthesie par exemple. De plus, le Festival des HTMlles a encouragé des femmes dans le monde à produire des œuvres pour le Web.

Sur la scène internationale, nous faisons partie de tout un réseau cyberféministe qui comprend entre autres the Faces Lists, The Oldboys Network, Cyber Femmes en France, le CyberFeminClub à Saint-Pétersbourg, le Herland Festival dans l'Ouest canadien et les Guerilla Girls en Australie. Ce réseau est actif à tous les niveaux dans le monde entier. Par exemple, les femmes de Faces ont pris d'assaut les événements internationaux les plus importants en nouveaux médias afin d'assurer la représentation des femmes. En ce sens, je pense que nous pourrions être plus radicales au sein du Studio XX; nous sommes en train de devenir un peu trop polies et institutionnelles, bien que cette institutionnalisation soit en partie due aux exigences des structures de financement au Québec et au Canada. Nous suivons, après tout, les directives et les règles que toutes les organisations artistiques doivent suivre. À mesure que la scène internationale devient plus structurée dans le domaine de l'art Web, le Studio XX assure aux femmes et au talent des femmes une place de premier plan, ce qui demeure encore selon moi une véritable nécessité, même s'il se trouvera des gens pour dire que cela n'a plus beaucoup de raisons d'être aujourd'hui. Si vous entreprenez de dénombrer les femmes qui participent aux festivals et aux événements internationaux, vous verrez que vous obtiendrez un nombre toujours supérieur de participants masculins. Pourtant si vous examinez les statistiques démographiques, vous pourrez vous rendre compte que les hommes ne sont pas plus nombreux; si vous visitez les écoles d'art, vous verrez que ces dernières sont loin d'accueillir plus d'hommes que de femmes, au contraire. On nous demande souvent pourquoi nous continuons à n'accueillir que des femmes, au lieu d'ouvrir nos portes aussi aux hommes: la réponse est qu'il existe une centaine d'autres organisations qui sont ouvertes à tous et que, dans le monde encore très masculin de la nouvelle technologie, des espaces où les femmes se sentent à l'aise et en contrôle demeurent nécessaires.

R. D.: D'un côté, c'est très bien qu'un lieu tel que le Studio XX existe, parce qu'il constitue un important forum pour les femmes, mais, d'un autre côté, le fait qu'il soit réservé aux femmes seulement l'apparente à une forme de ghetto. Quelles stratégies privilégiez-vous pour surmonter ce dilemme?

K. L.: Nous travaillons par exemple beaucoup en collaboration. Nous participons à beaucoup d'échanges et le Studio XX ne demeure pas isolé. Les gens entendent parler de nous et ils assistent en grand nombre à nos événements. Quand d'autres organisations se montrent intéressées par des projets créés par des femmes à la fine pointe de la technologie, c'est nous qu'elles contactent. De ce point de vue, le Studio XX est devenu une importante ressource. Mon souhait personnel serait que nous poursuivions toutes ces activités excitantes qui nous aident à grandir et à nous améliorer, tout en sauvegardant en même temps une place pour un activisme plus radical, pour ne pas trop nous institutionnaliser... De plus, beaucoup de jeunes qui fréquentent le Studio XX ont déjà une imagination "cyberspatiale". Ces jeunes sont sur une autre planète. C'est une toute nouvelle génération qui pense en HTML, alors qu'auparavant, nous ne faisions que transposer un autre média sur le Net.



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