LA NUIT AMÉRICAINE : Le Média Lounge du FCMM 1999

En 1997, le premier Média Lounge a vu le jour sur une note modeste et underground, avec les moyens du bord. Avec des moyens minimes et un maximum d'effort, les organisateurs ont mis en place les fondations pour les éditions suivantes. Ce premier événement a débuté en plein jour et par un temps de grande chaleur. L'année suivante, Le Média Lounge a joué le rôle qui lui était alloué d'une zone autonome temporaire en combinant la lumière éclatante du jour avec les ombres mystérieuses de la nuit - une explosion du numérique en clair-obscur. L'édition tout aussi réussie de cette année a pris une avenue différente en choisissant de se dérouler sous le couvert de la nuit. Un choix qui a à la fois contribué à son originalité, tout en réduisant légèrement son attrait pour le public de jour.

Dans leur ensemble, les cinquante oeuvres (installations, CD-ROM, performances, sites Web) ont fourni un échantillonnage stimulant des possibilités créatives des nouveaux médias. Deux fils conducteurs couraient à travers la large sélection des oeuvres montrées. Le premier avait trait au dialogue renouvelé entre image et son, tandis que le second examinait la variété des expériences en interface, à la fois passées et présentes. Parmi les oeuvres questionnant de manière la plus intéressante le dialogue son et image, on pouvait noter: Berlin Atmosphere, Sound Polaroid 2, Soundpicture III.

Dans Atmosphere from Berlin, les DJ's, issus du label berlinois Chain Reaction, ont livré une véritable sculpture sonore hautement texturée, minimaliste et superbement construite. Ici, la musique, visuellement évocatrice, parlait clairement plus haut que les projections vidéos qui ne faisaient que l'accompagner. Une autre performance où le son dominait l'image a été la très attendue Sound Polaroids, de Scanner et Tonne. Cette pièce s'est cependant révélée moins évocatrice et prenante qu'on aurait pu s'y attendre en lisant la description du catalogue. Les explorations sonores de Scanner étaient intéressantes et bien structurées, mais elles ont échouées à établir un lien cohérent avec les images concoctées par son partenaire Tonne. Supposément un échantillon d'images du paysage montréalais, les instantanés polaroid retouchés manquaient d'imagination et demeuraient statiques. Le dialogue entre le son et l'image a pris une forme plus équilibrée dans Soundpicture III de Locust. Cette performance vidéo échantillonnée combinait les sons et les images de manière éloquente et innovatrice. Utilisant une palette d'images de figures familières et de sons empruntés au fonds commun de la musique pop, cette performance jouait intelligemment son contre image et image contre son, sans que l'un ou l'autre devienne dominant. Malgré son aspect très léché, cette oeuvre constituait l'une des pièces les plus attachantes et les plus cohérentes qui ont été présentées dans la section nouveau média du festival.

Parmi les oeuvres basées sur l'interface, on pouvait dégager deux approches: l'une traitant le sujet comme artefact et apparatus et l'autre l'explorant comme un procédé dynamique. L'installation intitulée Vinyl Video, de Gebhard Sengmüller, est un procédé d'archéologie médiatique remarquablement ingénieux, dans lequel un vidéo est joué sur une table tournante transmettant l'information sonore et visuelle à un poste de télévision en noir et blanc. Ironiquement, cette installation rétro-futuriste est tombé en panne durant les derniers jours du festival. Deux autres oeuvres mettant également en question la relation du spectateur aux interfaces étaient Drive de Jordan Crandall - une installation vidéo dans laquelle une application informatique retraçant le mouvement s'attachait à un acteur et aux espaces urbains, produisant une dissonance visuelle inusitée - et Remember When We Thought Television was Flat and the Center of the Universe, de Franklin Joyce et Gerald Tsutakawa - une installation multipliant et exposant les conventions derrrière notre acceptation quotidienne des appareils de projection et des écrans.

Pour ce qui est des oeuvres portant sur le fonctionnement comme tel des interfaces, trois d'entre elles ont retenu mon attention: OSS****, Farmers Manual et Reality Dub. OSS**** de JODI, est une installation interface dynamique, schizophrénique et déroutante pour l'esprit qui interroge notre relation à un code "transparent" ou à quoi que ce soit portant la mention "facile d'usage". Ce type de travail constitue toujours un réveil rafraîchissant du type indéchiffrable... Dans le cours de leur performance, Farmers Manual, extraordinairement non-communicatifs, ont conduit leurs tracteurs digitaux à travers un terrain similaire. Seulement équipés de leurs ordinateurs portatifs, ces fils de fermiers post-millénaristes et distants nous ont servi pour l'occasion une récolte bizarre. Plongeant au coeur du sous-terrain informatique de l'internet, la pièce consistait en un entrelac inextricable de sons manipulés numériquement, d'images, de texte et de n'importe quelle autre créature numérique rencontrée en chemin. Sans répit et sans la moindre considération pour le public présent (à moins qu'eux aussi osent planter quelques graines numériques...) la performance s'est étirée pour solliciter l'attention au-delà de l'endurable - une véritable folie de la interface. Une autre révélation du festival a été Reality Dub, de Cecile Babiole et Fred Bigot. Cette performance/installation simulait en fait une sorte d'expérience en réalité virtuelle avec des moyens technologiques limités. Les spectateurs entraient à l'intérieur d'une mini-van et se faisaient conduire à travers les rues de Montréal. Leur perception du monde extérieur se trouvait filtrée au moyen d'un périscope audio-visuel (une caméra vidéo montée sur le toit de la voiture avec deux moniteurs à l'intérieur). Les images et les sons traitées par les artistes en temps réel contrastaient avec le sens du mouvement et de l'orientation des spectateurs, résultant en véritable "dérangement systématique de tous les sens" (Rimbaud) - une véritable synesthésie!

L'atmosphère du Média Lounge de cette année était délibérément minimaliste et dépouillée. Les objets industriels rétros et recyclés qui décoraient à la fois le bar et la salle principale /taient particulièrement intéressants. Mais aussi fascinante qu'ait été cette atmosphère, il faut rappeler que le public s'était vu promis "un décor évoluant quotidiennement". En tant qu'habitué de l'endroit, de jour comme de nuit, j'ai gardé les yeux grand ouverts pour ce décor changeant, m'attendant à voir le minimalisme du début faire l'objet d'une élaboration de plus en plus dramatique. Hélas, rien n'est venu s'ajouter excepté quelques modifications subtiles dans l'éclairage. De plus, l'ambiance de fête nocturne n'a pas toujours propice aux échanges entre les artistes invités et le public local. Cela étant dit, l'atmosphère a su se montrer suffisamment échauffée durant les performances très populaires et les événements nocturnes. Même si neuf soirées consécutives de ce genre d'événement constituent peut-être une légère exagération - quelques soirées de moins auraient certainement permis de les apprécier davantage.

Malgré ces quelques problèmes mineurs, la section des nouveaux médias a su démontrer cette année que cet événement a trouvé son aire d'aller et est devenu incontournable. Cette troisième année a été aussi le moment de faire le point sur l'évolution de l'événement et sur son futur. On espère que le FCMM pourra fournir un espace pour voir et entendre des oeuvres en nouveaux médias une fois les dix jours du festival terminés. Cette requête concerne plus particulièrement les oeuvres exigeant un temps de visionnement plus long, comme celles sur format CD-ROM et DVD, des oeuvres que je n'ai pas commenté ici, n'ayant pas eu le temps de les visionner avec toute l'attention qu'elles méritent...

Bernard Schütze

Traduction: Anne-Marie Boisvert

 

 



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