En 1997, le premier Média Lounge a vu le jour sur une note modeste et
underground, avec les moyens du bord. Avec des moyens minimes et un maximum
d'effort, les organisateurs ont mis en place les fondations pour les
éditions suivantes. Ce premier événement a débuté en plein jour et par un
temps de grande chaleur. L'année suivante, Le Média Lounge a joué le rôle
qui lui était alloué d'une zone autonome temporaire en combinant la lumière
éclatante du jour avec les ombres mystérieuses de la nuit - une explosion du
numérique en clair-obscur. L'édition tout aussi réussie de cette année a
pris une avenue différente en choisissant de se dérouler sous le couvert de
la nuit. Un choix qui a à la fois contribué à son originalité, tout en
réduisant légèrement son attrait pour le public de jour.
Dans leur ensemble, les cinquante oeuvres (installations, CD-ROM,
performances, sites Web) ont fourni un échantillonnage stimulant des
possibilités créatives des nouveaux médias. Deux fils conducteurs couraient
à travers la large sélection des oeuvres montrées. Le premier avait trait au
dialogue renouvelé entre image et son, tandis que le second examinait la
variété des expériences en interface, à la fois passées et présentes. Parmi
les oeuvres questionnant de manière la plus intéressante le dialogue son et
image, on pouvait noter: Berlin Atmosphere, Sound Polaroid 2, Soundpicture
III.
Dans Atmosphere from Berlin, les DJ's, issus du label berlinois Chain
Reaction, ont livré une véritable sculpture sonore hautement texturée,
minimaliste et superbement construite. Ici, la musique, visuellement
évocatrice, parlait clairement plus haut que les projections vidéos qui ne
faisaient que l'accompagner. Une autre performance où le son dominait
l'image a été la très attendue Sound Polaroids, de Scanner et Tonne. Cette
pièce s'est cependant révélée moins évocatrice et prenante qu'on aurait pu
s'y attendre en lisant la description du catalogue. Les explorations sonores
de Scanner étaient intéressantes et bien structurées, mais elles ont
échouées à établir un lien cohérent avec les images concoctées par son
partenaire Tonne. Supposément un échantillon d'images du paysage
montréalais, les instantanés polaroid retouchés manquaient d'imagination et
demeuraient statiques. Le dialogue entre le son et l'image a pris une forme
plus équilibrée dans Soundpicture III de Locust. Cette performance vidéo
échantillonnée combinait les sons et les images de manière éloquente et
innovatrice. Utilisant une palette d'images de figures familières et de sons
empruntés au fonds commun de la musique pop, cette performance jouait
intelligemment son contre image et image contre son, sans que l'un ou
l'autre devienne dominant. Malgré son aspect très léché, cette oeuvre
constituait l'une des pièces les plus attachantes et les plus cohérentes qui
ont été présentées dans la section nouveau média du festival.
Parmi les oeuvres basées sur l'interface, on pouvait dégager deux approches:
l'une traitant le sujet comme artefact et apparatus et l'autre l'explorant
comme un procédé dynamique. L'installation intitulée Vinyl Video, de Gebhard
Sengmüller, est un procédé d'archéologie médiatique remarquablement
ingénieux, dans lequel un vidéo est joué sur une table tournante
transmettant l'information sonore et visuelle à un poste de télévision en
noir et blanc. Ironiquement, cette installation rétro-futuriste est tombé en
panne durant les derniers jours du festival. Deux autres oeuvres mettant
également en question la relation du spectateur aux interfaces étaient Drive
de Jordan Crandall - une installation vidéo dans laquelle une application
informatique retraçant le mouvement s'attachait à un acteur et aux espaces
urbains, produisant une dissonance visuelle inusitée - et Remember When We
Thought Television was Flat and the Center of the Universe, de Franklin
Joyce et Gerald Tsutakawa - une installation multipliant et exposant les
conventions derrrière notre acceptation quotidienne des appareils de
projection et des écrans.
Pour ce qui est des oeuvres portant sur le fonctionnement comme tel des
interfaces, trois d'entre elles ont retenu mon attention: OSS****, Farmers
Manual et Reality Dub. OSS**** de JODI, est une installation interface
dynamique, schizophrénique et déroutante pour l'esprit qui interroge notre
relation à un code "transparent" ou à quoi que ce soit portant la mention
"facile d'usage". Ce type de travail constitue toujours un réveil
rafraîchissant du type indéchiffrable... Dans le cours de leur performance,
Farmers Manual, extraordinairement non-communicatifs, ont conduit leurs
tracteurs digitaux à travers un terrain similaire. Seulement équipés de
leurs ordinateurs portatifs, ces fils de fermiers post-millénaristes et
distants nous ont servi pour l'occasion une récolte bizarre. Plongeant au
coeur du sous-terrain informatique de l'internet, la pièce consistait en un
entrelac inextricable de sons manipulés numériquement, d'images, de texte et
de n'importe quelle autre créature numérique rencontrée en chemin. Sans
répit et sans la moindre considération pour le public présent (à moins
qu'eux aussi osent planter quelques graines numériques...) la performance
s'est étirée pour solliciter l'attention au-delà de l'endurable - une
véritable folie de la interface. Une autre révélation du festival a été
Reality Dub, de Cecile Babiole et Fred Bigot. Cette performance/installation
simulait en fait une sorte d'expérience en réalité virtuelle avec des moyens
technologiques limités. Les spectateurs entraient à l'intérieur d'une
mini-van et se faisaient conduire à travers les rues de Montréal. Leur
perception du monde extérieur se trouvait filtrée au moyen d'un périscope
audio-visuel (une caméra vidéo montée sur le toit de la voiture avec deux
moniteurs à l'intérieur). Les images et les sons traitées par les artistes
en temps réel contrastaient avec le sens du mouvement et de l'orientation
des spectateurs, résultant en véritable "dérangement systématique de tous
les sens" (Rimbaud) - une véritable synesthésie!
L'atmosphère du Média Lounge de cette année était délibérément minimaliste
et dépouillée. Les objets industriels rétros et recyclés qui décoraient à la
fois le bar et la salle principale /taient particulièrement intéressants.
Mais aussi fascinante qu'ait été cette atmosphère, il faut rappeler que le
public s'était vu promis "un décor évoluant quotidiennement". En tant
qu'habitué de l'endroit, de jour comme de nuit, j'ai gardé les yeux grand
ouverts pour ce décor changeant, m'attendant à voir le minimalisme du début
faire l'objet d'une élaboration de plus en plus dramatique. Hélas, rien
n'est venu s'ajouter excepté quelques modifications subtiles dans
l'éclairage. De plus, l'ambiance de fête nocturne n'a pas toujours propice
aux échanges entre les artistes invités et le public local. Cela étant dit,
l'atmosphère a su se montrer suffisamment échauffée durant les performances
très populaires et les événements nocturnes. Même si neuf soirées
consécutives de ce genre d'événement constituent peut-être une légère
exagération - quelques soirées de moins auraient certainement permis de les
apprécier davantage.
Malgré ces quelques problèmes mineurs, la section des nouveaux médias a su
démontrer cette année que cet événement a trouvé son aire d'aller et est
devenu incontournable. Cette troisième année a été aussi le moment de faire
le point sur l'évolution de l'événement et sur son futur. On espère que le
FCMM pourra fournir un espace pour voir et entendre des oeuvres en nouveaux
médias une fois les dix jours du festival terminés. Cette requête concerne
plus particulièrement les oeuvres exigeant un temps de visionnement plus
long, comme celles sur format CD-ROM et DVD, des oeuvres que je n'ai pas
commenté ici, n'ayant pas eu le temps de les visionner avec toute
l'attention qu'elles méritent...
Bernard Schütze
Traduction: Anne-Marie Boisvert