IIIe ETATS GENERAUX DE L'ECRITURE INTERACTIVE : tactiles et précis.
Paris, 1999 : Le gouvernement a décidé d'investir massivement les
sphères de la société française avec "les Nouvelles Technologies". Au
Forum des Images, anciennement nommé La Vidéothèque de Paris, situé aux
Halles, en plein centre de la vieille ville Lumière, avait lieu une
exposition d'art interactif, jumelée aux troisièmes états généraux de
l'écriture Interactive.
Dates : un colloque les 16 et 17 novembre, des installations au nombre
de seize qui se prêtaient à la manipulation jusqu'à la toute fin du même
mois.
Les travaux présentés étaient pour la plupart des cédérom, quelques
tableaux d'images numériques, sonores et mouvantes, et des
environnements questionnant le rapport identitaire du lecteur à l'oeuvre
virtuelle l'interpellant, ainsi que les limites de résonances d'un objet
mis en scène dans l'espace, au-delà de sa présence et de sa matérialité.
Les organisateurs : Art 3000, association qui depuis une bonne décennie
réfléchit avec des bouts de ficelles sur les nouveaux outils du
multimédia et les impacts du numérique dans la recherche et les
structures de nouvelles formes d'expression. 2 frères sont à la tête de
ce collectif : Florent Aziosmanoff, le philosophe-créateur, et Nils
Aziosmanoff, le politique-musicien. Art 3000 est l'organisateur officiel
de l'édition ISEA 2000, prestigieuse manifestation mondiale qui aura
lieu en France en décembre 2000. C'est donc dans un esprit de mise au
point sur des préceptes sémantiques et dans un désir d' affirmation de
nouvelles formes du "penser la création" avec les nouveaux médias que
des conférenciers ont partagé les fruits de leurs questionnements sur
les axes structurant l'écriture numérique.
Des concepts majeurs furent abordés, illustrés par la présentation sur
grand écran de certains cédérom, commentés par Florent Aziosmanoff en
présence des différents auteurs, très pertinemment questionnés par
Karine Douplitzky, une autre tête pensante de ART 3000. Le colloque
débuta donc par la présentation d'un jeu interactif, afin d' énoncer
clairement les nouvelles zones de sens telles que côtoyées et consommées
par le plus grand nombre, et montrer des espaces d'infusion sémantiques
abordés pour ce qu'ils sont et non tels que nous aimerions les
percevoir, stigmatisés dans leurs possibles disséminations culturelles.
Le jeu en ligne Mankind, fourni avec un cédérom
d'installation, était un faramineux exemple de ce que les prouesses
techniques et la logique de mise en réseau au service du ludique peuvent
générer comme collectivités partageant le plaisir de communiquer autour
de stratégies guerrières. Le but du jeu, une fois que l'on est choisi
arbitrairement comme membre d'un camp, soit l'empire de l'intérieur ou
celui de l'extérieur, est de susciter des rencontres et des partenariats
entre joueurs-vaisseaux du même camp, qui entre différentes attaques
s'inventent de nouvelles formes d'échanges. Des clubs de rencontre,
au-delà du simple jeu dans l'ordinateur, se sont créés, et les
participants discutent dans le réel du devenir de leurs entités
virtuelles. Ce jeu connaît un grand succès et sera bientôt mis en vente
aux Etats-Unis. Il génère des emplois substantiels car il exige des
surveillants, véritables meneurs qui doivent déterminer qui est décent
ou pas face aux règles du jeu. Par exemple, ont été exclus des
corpuscules qui utilisaient cet espace pour promouvoir les classiques
idéologies nazies et/ou pédophiles.
Les questions fusant de la salle ne
se firent pas attendre et la profonde différence entre l'Europe et
l'Amérique en ce qui a trait au Politically Correct fût mis en évidence
: Pourquoi des échanges charnels et pornographiques ne seraient-ils pas
plutôt envisageables? La survie de l'espèce ne passe-t-elle pas plus
par la réinvention du pornographique que par l'obsession de la guerre
telle que véhiculée par l'industrie du jeu-vidéo? Pourquoi est-il mieux
vu d'être vendeur d'armes que proxénète? Ce que les organisateurs
voulaient mettre d'emblée en évidence, en présentant ce jeu dès le
départ du colloque , c'est que outre le message, conscience il y avait
du fait générationnel de l'accès à la Play-station comme outil d'accès à
la lecture interactive d'espaces virtuels. Cela sous-entend au passage
l'exclusion de tout une partie de la population aux nouvelles
technologies. L'observation de l'écriture interactive passe
obligatoirement par l'expérience psychosensorielle du "cliqué". Et il ne
faut surtout pas dédaigner l'expérience tactile de la "play-station" qui
met en interaction les deux mains en même temps dans le champs du
dialogue. Toutes et tous ceux qui ont plus de 25 ans cette année, au
travail.
"Isabelle", un cédérom signé Thomas Cheysson, met en avant un
auteur issu du cinéma qui aborde l'élaboration d'un produit multimédia
comme on bâtit une équipe de production dans le 7ème art. Ce jeu, qui
nécessite aussi l'apprentissage de la play-station, illustre l'univers
d'une mine dans un village. Le héros est devenu aveugle , suite à une
agression, et recherche son petit frère qui enquête sur un complot d'une
secte. Le joueur doit se déplacer (et réfléchir ) en négatif dans
différents espaces et points de vue d'une même situation pour retrouver
la mémoire des faits cachés. La clé de l'énigme n'est dévoilée qu'au
terme d'une succession d'épreuves.
Les autres cédérom se dévoilaient au fur et à mesure de la manipulation
par la souris du lecteur, chacun définissant son style par le genre de
relation établie avec le visiteur de l'oeuvre, ainsi que par les
mécanismes générant un nombre X de systèmes de perception répondant à
l'action interrogative, le "cliqué"" du regardant.
L'installation P.M.E
(père-mère-enfant) de Armand Béhard soulignait une magnifique donnée
dans l'écriture interactive : le hors-champ dans le grain de l'oeuvre.
Le hors-champ, c'est l'humilité de l'auteur. C'est la catharsis muée en
résonances de sens. Le démiurge qui se met en sourdine pour plutôt
donner à ressentir dans l'ailleurs d'autrui, le pathos relié à la
lecture de son propos. L'auteur-ping, laissant le pong comme trouvaille
lors de l'immersion, suite à l'interaction.
La deuxième journée était dédiée au son, à la musique et ses
problématiques propres lorsque générée par les nouveaux outils
informatique. Il y a d'abord les correspondances images-son , auxquelles
les "raves" nous ont habitué avec le VG, ajoutant au mix du DG la
syncope visuelle. La musique trouvant traditionnellement l'interactivité
dans l'écoute de son abstraction qui se déroule dans un espace-temps
réel, c'est la notion de générativité par de nouveaux outils
informatiques de cet art qui occupe les chercheurs... Comment des
intelligences artificielles peuvent générer des phrasés musicaux au
contact d'une écoute, quelles soit elle-même synthétique ou pas ?
L'ordinateur-artiste participant à la causalité du son sur l'instrument,
en harmonie avec la présence manifestée d'une écoute, au-delà des
déclinaisons possibles que sont les différentes interprétations d'une
musique écrite d'avance.
La conclusion de ces IIIe Etats généraux de l'écriture interactive, qui
avaient accepté d'accueillir des dissidents de l'interactivité comme
entre autres le philosophe Bernard Stiegler, est que les outils du
numérique nous permettent indubitablement de réaliser des systèmes
capables de prendre des initiatives inter-reliées avec les donnes de la
présence des regardants. C'est une palette de plus incontournable pour
les auteurs habitués à faire se côtoyer en hypertexte, des images 3D, du
sens et des sons.
Pascale Malaterre