Grammatron
1997 La visite de l’oeuvre commence par une succession de plusieurs pages qui se remplacent les unes après les autres sans qu’il soit possible d’interagir, confrontant le visiteur à ses attentes et à ses habitudes d’internaute, main inerte sur la souris. Les énoncés qui défilent ainsi ont trait précisément à l’expérience elle-même, celle de l’écriture, du cyberespace, du passage du réel au virtuel. Puis brusquement, un parcours labyrinthique s’offre au visiteur, tout aussi déroutant dans ses contenus et sa forme. Lorsque celui-ci croit s’engager dans une voie et pense mesurer l’ampleur du parcours et la teneur du texte, l’artiste lui propose autre chose, si bien que cette expérience finit par contrecarrer toute conception préétablie, et continuellement réétablie, et mène graduellement à une forme de conscience aiguë de son comportement et de la situation. Une trame narrative se voit entrecoupée par une autre, ainsi que par des réflexions de toute nature sur l’expérience qui se produit. Des portions d’histoires s’enchevêtrent et les individus, le désir, l’identité, l’action sont modelés par ce territoire insaisissable. Dans cette oeuvre démesurée, il est question du passage dans le monde numérique, de la dépersonnalisation, de la construction de soi, de la place du monde subjectif dans l’univers de la machine.
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S.P.
Richard Barbeau Perec
1998
Dans cette oeuvre, Richard Barbeau invite le participant à se livrer à un exercice ludique inspiré du célèbre roman de Georges Perec, La disparition. Chacun des 25 tableaux que l’artiste propose offre une phrase à reconstituer, selon un parcours toujours différent, à l’intérieur d’une grille de 25 cases dans lesquelles des lettres prennent place individuellement. Cette activité n’est pas sans rappeler certains jeux fondés sur le langage, tels que les mots croisés ou le scrabble, misant sur le positionnement des lettres dans l’espace pour construire le sens. Liés entre eux par autant de fois qu’apparaît la lettre A, ces tableaux finissent par former une structure labyrinthique aussi bien sur chaque page que d’une page à l’autre, faisant ainsi un juste emploi du potentiel de l’hypertexte comme de cet autre espace du texte qu’est l’écran de l’ordinateur. Ce projet rencontre l’oeuvre de Georges Perec, non seulement parce qu’il remanie le concept au coeur de La disparition, mais bien aussi parce qu’il mise sur la défamiliarisation, sur une confusion temporaire, qui a pour effet d’aiguiser l’attention envers le langage, comme le fait la littérature expérimentale de l’écrivain. Dans le même esprit, il propose de reconquérir le langage en réinventant notre rapport à celui-ci par le biais de ce nouveau médium et moyen de communication qu’est l’Internet. Comme d’autres projets de Richard Barbeau, les caractères visuel et sonore de l’écriture sont mis à profit et servent d’ingrédients essentiels à un travail sur la révélation progressive. L’artiste communique ainsi le plaisir de l’aventure du langage, de la découverte et de l’exploration de ses nouvelles formes, telles qu’elles sont rendues possibles, maintenant, par le Web.
S.P.
Vera Frenkel Body Missing
1995 Le projet intitulé Body Missing a été développé à partir d'une installation
présentée originellement à Documenta IX, à Kassel en Allemagne. Consacré à
l'architecture d'un bar virtuel, ce projet présenté sur le Web est construit
autour de l'histoire de la découverte de plans nazis pour un Führermuseum à
Linz. Ce musée aurait accueilli un certain nombre de trésors artistiques
(peintures, sculptures, estampes et dessins) portés disparus durant la
deuxième guerre mondiale. Ces oeuvres d'art, "acquises" par des moyens
douteux et entreposées dans les mines de sel de la région de Alt Aussee dans
un environnement parfaitement contrôlé, ont été retrouvées par les Alliés
seulement la guerre finie. Le site est divisé en six sections majeures:
artistes, Barmen, Au-delà, Joueurs de piano, Sources et Vidéo où les
"barmen" et les "clients" peuvent se rencontrer. Frenkel a en outre invité
plusieurs artistes en leur demandant de participer à la discussion sur la
relation entre art et politique avec l'inclusion de leurs propres projets
sur le Web. Dans leurs contributions respectives, les artistes se sont
penchés sur les thèmes de la perte et de la mémoire, tout en nous permettant
d'explorer plus avant d'autres réalités, d'autres fictions et d'autres
lieux. En incorporant la collaboration de ces artistes, Body Missing entache
la réalité de fantaisie et de mémoire. Le projet fait également usage des
possibilités de recherche et de documentation du Web en mettant le public à
contribution, lui demandant de fournir des informations nouvelles
additionnelles susceptibles d'éclairer davantage les faits entourant ce
scandaleux vol artistique.
V.L.
Isabelle Hayeur Si/jamais
1998 Si/jamais propose un ensemble d’images de source photographique qui se transforment au « toucher », par un glissement de la souris (mouse over). Par un simple geste de la main, tout bascule soudainement, un lac s’assèche ou un chantier devient une mer houleuse. L’horizon, la séparation, la limite floue invisible dans chacune de ces images s’ouvre chaque fois, comme une fente cachée, sur une contreproposition insoupçonnée. Ces retournements confrontent le visiteur de plusieurs manières. Ils manifestent l’aspect construit du paysage dans le domaine de la représentation et mettent en évidence les nombreuses manipulations possibles aujourd’hui grâce à la technologie numérique. Ils mettent également en relief l’attitude ambivalente de l’individu envers le monde naturel, le désir de le dominer comme celui de s’y laisser submerger. L’eau, omniprésente dans toutes les images, établit une continuité entre elles, et symbolise tour à tour, l’immersion, le mouvement et la vie, grâce aux nombreuses métaphores qu’elle peut produire. L’oeuvre invite à se positionner du côté du si, des possibles, ou du jamais, du définitif, dans notre rapport avec la nature.
(utilise java)
S.P.
1997
Par le moyen d’un programme générateur d’énoncés, l’oeuvre invite à constituer des phrases en choisissant d’y intégrer aucun, un ou deux adjectifs, ou alors de laisser ce choix au hasard. Cette activité, aux fondements simples, donne naissance à un examen fort instructif sur le langage et sa structure. Les énoncés sans adjectif paraissent nettement plus directifs et autoritaires tandis que ceux qui incluent des épithètes nuancent les propos. L’intégration de deux adjectifs entraînent rapidement l’énoncé dans des formes, ou maniérées ou nébuleuses. Toutes ces différences sont accentuées lorsque le visiteur laisse le choix à la machine de produire les phrases au hasard, elles se succèdent ainsi en se confrontant. L’exercice réalise, à l’occasion, de jolis amalgames, dignes de la poésie. Les propositions concernent l’art, le langage, la technologie comme elles apportent des points de vue divers sur le monde. Graduellement, le caractère artificiel des phrases finit par s’imposer et révéler l’insuffisance de cette littérature automatisée. Non sans humour, l’oeuvre se moque ainsi de la croyance naïve qui veut que la machine puisse remplacer l’esprit humain. De plus, elle jette un regard amusé sur les considérations théoriques, philosophiques ou communes faites sur le ton de l’autorité qui nous assaillent chaque jour.
S.P.
Juliet Ann Martin xxxoooxxx
1995
Cette oeuvre s’inscrit dans la tradition des calligrammes, ces poésies qui épousent une figure visuelle dans l’espace se rapportant à un élément de leur contenu. Elle regroupe un ensemble de ces textes, liés les uns aux autres par hyperliens, qui s’enchaînent et se répondent. Non seulement ces calligrammes forment des silhouettes, rappelant vaguement des objets du réel, mais ils construisent également des trajectoires qui forcent les limites de l’espace. En effet, ils excèdent souvent les frontières de l’écran, introduisant des éléments de surprise et d’attente, produisant des extensions au propos initial. Dans cette oeuvre, il est question du rapport intime établi avec l’ordinateur, du type d’attente que cet état génère, de la projection du désir que ce support peut susciter. Chaque tableau décrit visuellement un état d’esprit, une émotion, une situation correspondant au texte, faisant état du passage ardu entre le monde organique et l’univers technologique et mêlant ces deux réalités de façon inattendue. Par exemple, le code binaire est encore présent dans le xxxoooxxx du titre, bien qu’il réfère à ces « câlins et bisous » pareils à ceux exprimés dans les cartes de voeux. De même, la pomme ou le soleil, des éléments apparaissant dans les textes appartiennent tout aussi bien à la nature qu’au contexte de l’ordinateur (Apple, Sun). L’intimité sollicitée ne peut s’accomplir, la machine s’interpose et s’impose, créant une tension ne pouvant se résoudre. L’oeuvre se définit ainsi continuellement par ses significations doubles et ses ruptures de sens, qui contribuent à réaliser un environnement poétique que les configurations visuelles et les trajectoires spatiales viennent appuyer.
S.P.
Melinda Rackham a.land
1998
L’invitation au voyage que propose a.land prend la forme d’une odyssée dans laquelle s’engage le visiteur. Aux commandes de son appareil, il accède à un ensemble de vues à travers un cercle ressemblant à un hublot. Cette surface s’ouvre sur des images, qui réfèrent à des paysages de plus en plus étranges, insaisissables. Le visiteur s’enfonce ainsi dans des mondes où le corps rencontre le cosmos, où le spectacle rejoint la mémoire. Tandis que l’horizon disparaît et les allusions au paysage réel avec lui, le visiteur plonge dans un univers onirique dans lequel les références sont transformées par une vision intérieure. Des images et des textes d’auteurs et d’artistes se mêlent à cet environnement qui évoque tour à tour l’espace sous-marin, lunaire ou utérin. Par delà l’iris qui épouse les contours de la fenêtre, le visiteur pénètre dans des zones de plus en plus profondes dans lesquelles l’extérieur et l’intérieur, l’intime et l’immense, le réel et le virtuel, le passé et le futur, se rencontrent dans un monde indifférencié. L’oeuvre s’intéresse ainsi à l’expérience d’immersion et de transformation de soi que le cyberespace peut engendrer.
(utilise java et javascript)
S.P.
Julia Scher Securityland
1995 Securityland explore de manière ludique les mécanismes de
sécurité et de surveillance à l'oeuvre dans notre société. Ce projet
présenté sur le Web traite du voyeurisme et du pouvoir présents dans notre
société avec l'usage des technologies de surveillance. Inspiré du Pop art,
le site est spécifiquement féminin tout en étant également influencé par
l'architecture institutionnelle. Lors de notre visite, nous sommes amenés à
traverser des environnements cliniques et aseptisés variés, contenant des
messages parlés pré-enregistrés nous commandant de continuer notre chemin et
dirigeant tous nos échanges et nos interactions avec les différents lieux.
Des interactions ont été mises en place dans des environnements, qui visent
à rappeler au spectateur et à la spectatrice la surveillance systématique
dont il et elle sont l'objet, telles que: The Konsent Klinic, Intrusion
Detection et CCTV Control. Le site constitue un terrain de jeu
fin-de-millénaire, évoquant le poid du regard de tous les siècles passés qui
se pose sur nous, revu et corrigé afin de pouvoir convenir à notre époque
paranoïaque. Il y est fait constamment allusion à la possibilité qu'un
parti extérieur soit témoin de chacun de nos mouvements et de nos actions.
Des services d'aide variés, visant à guérir nos maux psychologiques et
physiques, y sont offerts (comme Individual Insecurity Complex Retraining
Code), mais ont pour seul résultat d'accentuer encore davantage une approche
de style "Big Brother", visant à former des masses humaines obéissantes et
passives. Convenant bien au Web, Securityland est en effet présenté dans le
médium parfait pour notre époque paranoïaque, l'Internet, un lieu reconnu
pour ses pédophiles, ses vols de cartes de crédit et sa surveillance
gouvernementale. Le travail de Scher réussit ainsi à développer plus avant
les thèmes d'intimité et de contrôle déjà familiers aux usagers du Web,
d'une manière ludique et auto-référentielle.
V.L.
Teo Spiller Hommage to Mondrian
1999
Ce projet met le visiteur devant le défi de créer sa propre version d’un "tableau" de Mondrian sur Internet à l’aide du vocabulaire réduit utilisé par l’artiste moderne. À l’intérieur de l’espace de l’écran, le visiteur peut donc disposer à sa guise les lignes noires et les rectangles rouges, bleus, jaunes ou blancs. Ce qui se présente comme un jeu sympathique a priori, se révélera un exercice analogue à l’apprentissage de nouveaux outils sur Internet, comme cela se fait souvent en autodidacte, avec sa part de combat, d’essais et erreurs et ses résultats mitigés. La construction de l’image paraîtra facile au début (comme le veut la croyance commune en ce qui concerne l’art abstrait...) mais s’avérera plus ardue que supposée, et la réussite de cet exploit loin d’être assurée. L’oeuvre réfère aux possibilités de création et à l’accessibilité aux outils sur Internet donnant l’illusion qu’enfin « chaque homme est un artiste » (Beuys). Elle rend manifeste le phénomène de démocratisation de la création comme les résultats parfois douteux auxquels il donne lieu. Ce projet fait également allusion à la tradition des arts visuels à laquelle se mesure l’art Web, une comparaison souvent inadéquate puisqu’il ne dispose pas des mêmes outils, des mêmes possibilités de sophistication visuelle, de la même tradition que les arts plastiques et que le support échappe toujours à un contrôle total de la part de l’auteur. Cette comparaison ne tient pas compte des caractéristiques particulières au Web. Cette oeuvre fait partie de celles, nombreuses dans le secteur des nouveaux médias et plus particulièrement dans celui de l’art sur le réseau, qui font de l’artiste un initiateur, un idéateur et qui laissent le soin aux participants de définir le contenu. Cette conception de l’art, à laquelle adhèrent les artistes de plus en plus, est davantage appropriée à l’art Web parce qu’elle tient compte de ses possibilités et des avenues nouvelles qu’il offre.
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S.P.
Joseph Squier Life with Father
1994
Avec Life with Father, Joseph Squier nous entraîne dans un récit autobiographique dont le pivot est le rapport à son père, et plus précisément au corps de celui-ci. Tous les épisodes relatés, de la petite enfance jusqu’à la mort, relatent des souvenirs ayant trait à la présence corporelle de la figure paternelle. L’oeuvre témoigne d’une histoire faite de moments difficiles, d’affection inexprimée, de violence et de perte. Le traitement de l’oeuvre s’ajuste toujours à la forte tension émotive créée par le récit. En effet, le texte, rédigé dans une langue simple et directe, fait penser à une confession, effectuée dans la plus grande intimité, et interpelle le visiteur d’une manière immédiate. Les images, lentes à télécharger, accentuent l’état d’expectative, mêlé de crainte et de révolte. L’altération de ces images intensifie le drame, tout en faisant allusion aux événements passés qui revêtent une autre forme, avec le temps. Chaque épisode, une page d’histoire que le visiteur ferme pour accéder à l’autre, se termine par un moment de suspension troublant. L’oeuvre nous offre un regard bouleversant et unique sur l’univers symbolique des hommes en rapport avec leur corps. En cela, elle s’accorde avec la nature intime du médium, à l’exploration de l’identité à laquelle il donne lieu, à la mémoire sollicitée par ce support et fait allusion, en ses propres termes, à la perte sensorielle qui découle de l’expérience du Web.
S.P.
Commentaires rédigés par Valérie Lamontagne et Sylvie Parent