œuvre 1


1 Year Performance Video (aka samHsiehUpdate), de MTAA (M. River & T. Whid) (États-Unis), 2004

par Sylvie Parent




Du 30 septembre 1978 au 29 septembre 1979, Tehching Hsieh a séjourné dans une cage construite dans son atelier. Outre le fait de rester confiné dans cet espace exigu pendant un an, l'artiste s'était imposé un ensemble de restrictions (ne parler à personne, ne pas lire ni écrire, etc.) qui contribuait à faire de cette expérience une lourde épreuve à plus d'un égard. Un tel retrait volontaire du monde, avec tout ce qu'il sous-entend de solitude, de dépouillement et d'endurance, frappe l'esprit par son austérité. Cette performance, comparable à un séjour en prison, s'apparente aussi aux pratiques de certains ascètes visant une forme d'épuration de nature spirituelle. Elle fait partie de ces projets qui conjuguent art et existence en poussant les conditions de vie à l'extrême. Comme certaines performances de cette époque - les autres projets de Hsieh 1 ou ceux de Linda Montano et Marina Abramovic, par exemple - , elle mise sur la contrainte, la résistance et la durée en ayant recours à des moyens radicaux pour faire correspondre l'art et la vie d'une manière fondamentale.

Dans le cadre de ses Updates, une série d'œuvres inspirées de performances des années 60 et 70, le duo MTAA s'est donné comme objectif d'actualiser le projet de Hsieh en prenant en considération les moyens technologiques d'aujourd'hui. Ces artistes ne cherchent pas tant à recréer la célèbre performance, à en faire un remake, qu'à en proposer une version actuelle, conçue pour le Web, en utilisant des outils du réseau pour revisiter le projet initial et susciter une réflexion sur notre rapport au temps et à la technologie.

Ainsi, le projet de MTAA se démarque-t-il fondamentalement de celui de Hsieh par le recours à la vidéo. En effet, il s'agit de 1 Year Performance Video, et non simplement de 1 Year Performance. La différence est significative puisque la vidéo introduit une technologie qui transforme l'expérience temporelle en offrant un ensemble de possibilités. L'enregistrement, le différé, la répétition et le montage contribuent à nier la flèche du temps naturelle au profit d'une nouvelle linéarité temporelle fabriquée. Il est donc proposé d'assister à la vidéo d'une performance se déroulant sur une année.

Le site montre un diptyque vidéo dans lequel chacun des deux artistes paraît se soumettre à l'isolement, ainsi qu'à des restrictions d'espace, de biens matériels et d'activités. Dans les faits, le spectateur attentif et patient discernera des coupures dans les vidéos et verra les mêmes clips de temps à autre. Il s'agit donc, en réalité, d'une suite de performances enregistrées et enchaînées les unes aux autres afin de produire une continuité vraisemblable. Bien que l'environnement soit minimal et que les protagonistes s'adonnent à des occupations banales, ces performances n'affichent pas la rigueur à laquelle s'était soumis Hsieh. Nos deux artistes lisent le journal, pianotent sur leur ordinateur portable, etc. Ils font leur temps. Ils fabriquent du temps. En réalité, ces performances sont des mises en scène destinées à être enregistrées. D'ailleurs, le décor dans lequel ils évoluent n'est-il pas le même ?

La performance et la vidéo ont fait bon ménage dans l'histoire des arts contemporains (comme en témoignent plusieurs œuvres de Bruce Nauman, Jochen Gerz, Joan Jonas et bien d'autres). Leur association encourage une construction spatiotemporelle alternative par rapport au déroulement naturel de la performance. La scénarisation et le montage contribuent à redéfinir la performance destinée à être vue en différé, à plusieurs reprises et dans des contextes différents. La vidéo libère la performance du temps et du lieu, lui permettant de façonner un autre temps dans autant de lieux qu'il y a de diffusions. Mais il y a un coût à cette libération. La coïncidence entre le temps de la performance et celui de la vie est abolie de même que la coprésence du performeur et du spectateur. L'effet de vie si percutant dans l'action live s'en trouve amoindri.

Dans 1 Year Performance Video, les technologies du Web ajoutent une nouvelle médiation, une distanciation supplémentaire de la performance. Conçu pour le Web, le projet utilise des outils qui donnent l'impression d'une diffusion live, tentant ainsi, si on peut dire, de restaurer l'effet de vie. Les clips sont extraits de bases de données en tenant compte du moment où le spectateur les verra. Les performeurs dorment pendant la nuit, se lèvent le matin, se nourrissent aux heures de repas, etc. Le montage en temps réel qu'effectue le programme informatique a remplacé le déroulement de l'action en temps réel afin de créer l'illusion de la présence et de la temporalité naturelle d'une performance. Mais la simulation n'a pas valeur égale et la restauration de cet effet de vie ne parvient pas à s'accomplir.

L'épreuve d'endurance requise pour compléter cette année de performance est déléguée aux spectateurs à qui on demande : please watch for 1 year. La requête est excessive, mais nul n'est tenu de rester rivé à son ordinateur pendant un an. Il s'agit de laisser rouler le projet sur son appareil sans même le regarder pour que le temps de visionnement soit enregistré par le système mis en place. Ainsi les technologies employées pour cet update permettent-elles d'offrir une simulation de la performance, d'en donner l'apparence, sans engager les artistes - ni les spectateurs - d'une manière comparable à ce qu'avait accompli Hsieh. La technologie, pour ainsi dire, se charge du gros du travail.

Le projet de MTAA amène à réfléchir aux gains et pertes engendrés par les technologies qui s'interposent et introduisent une médiation entre nous et le monde. Ces technologies libèrent de certaines contraintes du réel et procurent des moyens de réinventer celui-ci, mais elles ont également comme effet de nous priver d'un engagement véritable à son égard. Les possibilités de fabrication et de simulation qu'elles offrent entraînent l'individu dans la virtualité, la création de réalités factices.

Le travail en duo apporte ici un effet comique au projet. Cette dualité ne crée pas une valeur accrue, ni un engagement plus grand. Elle contribue à semer le doute (espaces identiques), et invite le spectateur à comparer les performances, à exercer doublement l'activité de voyeurisme avec un certain amusement. Le terme update utilisé par MTAA, si familier dans notre monde informatisé, signifie une mise à jour, mais suppose aussi un état d'obsolescence que la technologie s'évertue à encourager. Certainement la performance de Hsieh est datée, c'est-à-dire qu'elle s'inscrit dans une époque, mais elle n'a pas perdu son pouvoir de fascination. L'update du projet One Year Performance de Hsieh en fait ressortir tous les aspects les plus percutants et agit plutôt comme un hommage réalisé avec beaucoup d'ingéniosité en recourant aux moyens techniques d'aujourd'hui. Il faut donc voir, avec la complicité de MTAA, cet update et sa promesse d'amélioration avec un regard critique et un sourire en coin.





Notes
1 : Voir le site de l'artiste : www.one-year-performance.com.  




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