oeuvre 4


par Cyril Thomas

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Si l’identité s’écrivait ou se décrivait non pas au singulier mais au pluriel ?  Au travers de l’œuvre qui suis-je ?, Annie Abrahams aborde la question de la fragmentation identitaire. Quelques traits de son propre caractère sont exacerbés, mais elle invente des alter ego, des personnages qui viendront comme autant d’identités parcellaires, de caractères fictifs morcelés, de dialogues avec une autre Annie Abrahams : Annie Abrahams artiste 1. Les mots, les pages de dialogues comme les fenêtres de multiples tailles se chevauchent, s’ouvrent, se dissimulent et se découvrent durant un court instant. Autant de textes, de liens, qui signalent la démultiplication ou le dédoublement des personnalités, des humeurs et des sentiments, mais qui, d’autres parts, les ancrent dans une représentation textuelle associée à une présentation sur le réseau :  « interface est le traducteur de vos gestes, il peut être plus ou moins bon, plus ou moins compréhensible ». Au cœur de cette pièce, la transparence des relations laisse place au brouillon et au bouillonnement quitte à ce que le spectateur perde le fil.

Cette œuvre ne singe ni le collectif 2, ni les discussions sur les listes. Elle ne les parodie pas non plus. Elle s’appréhende comme une expérimentation d’un « je » démultiplié qui s’inscrit dans une série de réalisations plus larges, notamment avec Je suis une œuvre d’art oui, non, peut être. Pourquoi?, réalisation active de 2002 à 2008 3 dans laquelle Annie Abrahams, cette pionnière de l’art sur Internet, ne se dévoile pas, mais scrute le réseau. Bien plus existentialiste que ses dernières productions, qui prennent parfois le prétexte d’un jeu de cartes 4 pour mieux interroger les relations sociales, les relations à l’autre et surtout pour explorer l’écriture d’un texte à plusieurs mains, cette pièce qui date d’avant le millénaire s’appréhende comme un geste programmatique. À partir de ce moment, elle va développer les premiers essais à écritures multiples (tel que Wishes / Vœux  en 1999) 5, collectives et mettre en place une série d’œuvres (protocoles) pour composer avec et par les autres. Autant d’essais, de performances, de tentatives qui l’amèneront pas à pas vers sa nouvelle série Huis Clos.

Son oeuvre est un manifeste qui ne peut porter son nom, car Annie Abrahams joue sur le mode mineur – notez, par exemple, l’absence de la majuscule dans le titre : qui suis-je ? En effet, ses réalisations ne flirtent jamais avec le spectaculaire ; au contraire, elles prolongent toujours une réflexion entamée ailleurs, combinant lectures et observations assidues des évolutions, des comportements qui prennent forme sur et par le réseau. Ses problématiques rebondissent de pièce en pièce, l’artiste égrène les interrogations et les réponses. À cette question-titre, elle a répondu plus tard, lorsqu’elle s’est définie par la métaphore de la fourmi errante 6 lors d’une conférence à Paris au Centre Georges Pompidou en 2008 :  « Je n'ai que mon nom, en dehors de mon nom, je ne suis rien !"[…] La fourmilière est un modèle de société qui me parle.  Dans une fourmilière, il y a cinquante pour cent des fourmis qui ne font rien, […] des fourmis qui ne suivent pas le chemin tracé, qui errent.  La survie de la fourmilière dépend de ces fourmis errantes ... »

Lorsqu’elle évoque le dispositif de qui suis-je ?, ou celui de I only have my name? (1999) 7, Annie Abrahams parle de perdition, elle dit avoir eu la sensation de ne plus se reconnaître parmi les identités qu’elle a elle-même créées. Elle se transformait, elle devenait presque prisonnière de sa propre œuvre. L’enjeu ne se situe pas tant dans la résolution ou dans la définition que l’œuvre apporte, mais dans le vide, l’absence de réponse définitive. Ainsi, l’écran de l’ordinateur devient la surface sur laquelle s’imprime un « corps - passages de pensées », où le réseau devient opératoire, presque vital, car il transforme, modifie et transporte un temps, avant son obsolescence, les interrogations d’une artiste qui cherche toujours l’autre dimension de l’autre et du soi.

 

1 Se reporter à WJ-Spots#1, 15 ans de création artistique sur internet, Hors Série n°3, MCD, Paris, éd. MCD, 2009, p. 22-23. 

2 Pour tous les procédés d’écritures participatives dans les œuvres d’Annie Abrahams, se reporter à son site Internet, et à l’interview disponible à cette adresse : http://www.youtube.com/watch?v=qLFWTWDDRhI, consulté le 15 juillet 2010.

3 http://www.bram.org/jesuisuneoeuvredart/index.htm, consulté le 15 juillet 2010.

4 http://aabrahams.wordpress.com/2009/07/03/if-you-not-me/, consulté le 15 juillet 2010.

5  Evelin Stermitz « Artistic Textual and Performative Paths in New Media Correlations: An Interview with Annie Abrahams », Hz-journal.org, n°14 ; disponible à cette adresse http://www.hz-journal.org/n14/stermitz.html, et se reporter pour l’oeuvre à http://www.bram.org/wishes/, consulté le 15 juillet, 2010.

6 http://www.bram.org/info/presentation/IMA.htm, consulté le 15 juillet, 2010.

7 http://www.bram.org/ident/irc.htm, consulté le 15 juillet, 2010.

 




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