TRANSARCHITECTURES 02+03 CENTRE DE DESIGN DE L'UQÀM
Le Centre de design de l'UQÀM présentait, dans le cadre de La Biennale de Montréal 1998, une exposition sur l’architecture liée aux nouvelles technologies numériques. CYBER-ESPACES et THÉORIES ÉMERGENTES désirait faire connaître une pratique quasi méconnue du grand public qui est l'apanage récent de plusieurs architectes ayant leur pratique principalement aux États-Unis et en Europe.[1] Malheureusement, on ne pouvait que constater l'absence remarquée des architectes Québécois et Canadiens. Néanmoins, ce fût une véritable chance d'appréhender une nouvelle école de l'architecture contemporaine et d'apprécier, à cette occasion, le Pavillon de Design lui-même, un bâtiment fort intéressant conçu par l'architecte montréalais Dan S. Hanganou. Michel Vienne, directeur de Architecture et prospective en Belgique, et Odile Fillion, journaliste et réalisatrice en France, ont agi comme commissaires de cette exposition itinérante d'envergure internationale et sont à remercier pour cette initiative. LANGUE INFORMATIQUE - LANGAGE ANALOGUE - LANGUE FRANÇAISE - LANGAGE ÉLECTRONIQUE
Imaginez d'abord l'entrée du pavillon de Design et l'espace intérieur du centre: à l'entrée, deux portes monumentales de couleur noir accueillaient les visiteurs. Ouvertes de l'extérieur, celles-ci dévoilaient, grâce à leur mécanisme, l'espace de la salle d'exposition. Volume cubique au plafond haut, plancher de béton et pénombre assurée, l'espace changeait de caractère, encore une fois, afin de recevoir les projets de ces architectes internautes.
À l'intérieur de la salle, chacun des participants étalait son projet à la verticale et proposait des copies digitales sous la forme de longues banderoles suspendues en système de balançoire. La structure métallique des supports évoquait l'esprit d'une architecture en équilibre. Un exercice de trapèze qui supporte le danger, comme la performance de l'équilibriste au cirque; déambulant l'espace sur un mince câble qui est aussi tendu que la pôle horizontale qu'il manipule, soutenant le poids de sa vie contre celle du magnétisme du vide, un acte de courage contre un danger éminent qui le guette, la mort.
Rencontre jusque-là inévitable entre une culture du bâti, vieille de l'âge de l'homme, et un outil technique qui, par sa puissance mnésique et sa très grande flexibilité d'utilisation, révolutionne le rapport qu'ont les êtres humains avec leur environnement naturel et artificiel. La culture de masse des médias répandait il y a peu de temps un «NO FUTURE», cri d'anxiété qu'on imprimait au jet laser dans les magazines d'actualité en référence au «NO FUTURE» vociféré par les SEX PISTOLS en 1977. Mode, économie, design, musique, médecine, graphisme, science appliquée... ont tous permis le passage de cette technologie dans leur mode de création et de production. Aujourd'hui l'architecture, dans sa création digitale, se fait attendre. La pratique cinématographique venant de Hollywood, les maisons de productions de jeux vidéo, la nouvelle pratique du multimédia et tant d'autres activités créatrices attachées au monde digital, sont en mesure de fabriquer des éléments et des territoires qui sont qualitativement architecturés.
Conséquemment à tout ceci, les modèles architecturaux commencent à se déplacer d'un espace à l'autre. Existant d'une structure concrète et solide, elle, la production de l'architecture au sens large, se déplace maintenant vers l'abstraction du language informatique, sujet, verbe, et complément de la mathématique. Nous tous manipulons cette nouvelle frontière sur nos ordinateurs, jeux vidéo, échantillonneur et tout le bric-à-brac électronique envahissant nos vies respectives. L'interactivité qu'ont les êtres avec ces récentes prothèses électroniques[2] offre une occasion de réfléchir au rôle que l'architecture doit jouer à l'aube dun nouveau millénaire, sur cette terre que nous habitons, enveloppée d'une toile invisible que nous tissons quotidiennement par la communion de nos pc(s).
La révolution devrait faire pour le peuple ce que le cubisme a fait pour le couteau, la fourchette et la cuillère. Cette phrase est l'arrière-plan d'une sérigraphie produite en 1998 par l'artiste écossais Ian Hamilton Finlay.[3] Celui-ci ajoute: «L'art de jardiner n'est pas différent de l'art d'écrire, de peindre et de sculpter; c'est l'art de composer et d'harmoniser des éléments disparates».[4] Forcé par le texte de cet oeuvre de crier: 100 ans derrière! et même par derrière. L'art de jardiner, celle qui touche à l'essence de la nature, la rassurante Eden culturel du XIXe et XXe siècle s'efface depuis déjà 80 ans. Art moderne, guerre, progrès scientifiques et techniques, combats sociaux, philosophie moderne et post-moderne, révolution des valeurs morales, attaquèrent et molestèrent cette culture visuelle auquel Finlay fait référence. Le naturel se dégrade toujours aujourd'hui, en terme de support moral, sa qualité baisse de façon incroyable devant un autre art qui permet l'exercice de jardiner avec le «super-réel»; L'extension naturel des pixels de couleurs.
Le cubisme, un des nombreux courants de l'art moderne, a fait du bon travail. Pendant la vingtaine d'années d'existence durant lesquelles il a agi sur le monde, il a initié et raffiné l'art de la décomposition picturale de la troisième dimension. L'informatique fait beaucoup mieux à l'instant; elle démonte en pièces détachées la réalité de notre environnement sensoriel. Bienvenue, vous êtes maintenant à la «n»e dimension.[5]
Paul Virilio, architecte français et véritable gourou de la recherche sur la vitesse, s'intéresse à la vélocité des nouvelles technologies électroniques et numériques tant dans leurs conceptions et leurs fabrications que par leurs utilisations et leurs effets respectifs sur les êtres humains. Penseur, philosophe, essayiste, invité lors du premier symposium sur les TRANSARCHITECTURES à Paris en juin 1997, il annonce que «l'espace est en transe». De quoi s'agit-il au juste? L'adjectil qu'ilpropose est celui de la stéréo-réalité. Un espace second d'écoute à l'espace et au temps, liaison quasiment extra-sensorielle des machines qu'on manipule. C'est un espace reformaté, dédoublé à celui du réel et qui remet en question simultanément la réalité.
La chanson pop endisquait en 1977, avec la maison d'édition Capitol, un album produit par un groupe de musique électronique allemande, KRAFTWERK. Ce groupe venait d'enregistrer une chanson thème pour son plus récent album. TRANS-EUROPE EXPRESS devint un tube très populaire à l'époque. Encadré par un rythme monotonal et des voler synthétiques, la trame musicale de ce morceau dictait une séquence de tableaux où se manifestait l'interaction qu'avait les citoyens européens avec les technologies du transport ferroviaire[6] et la vie que l'on pouvait expérimenter en constante transition. Histoire de déplacement et d'échange en rotation périodique. Les paroles vont comme suit: TRANS-EUROPE EXPRESS (répéter plusieurs fois)/ RENDEZ-VOUS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES, LEAVE PARIS IN THE MORNING/TRANS-EUROPE EXPRESS (répéter plusieurs fois)/ IN VIENNA WE SIT IN A LATE NIGHT CAFÉ, STRAIGHT CONNECTION VIA DDT/ TRANS-EUROPE EXPRESS (répéter plusieurs fois)/ FROM STATION TO STATION, MEET IGGY POP AND DAVID BOWIE/ TRANS-EUROPE EXPRESS (répéter plusieurs fois)... Cette musique est éloquente, elle parvient à représenter une culture de notre monde actuel qui se déplace plus que jamais en vol physique par les technologies de transport dites analogues; train, voiture, avions, vélo, ...et nouveauté, cette culture se déplace et communique de plus en plus en vol numérique par la structure du World Wide Web. L'échelle planétaire est réduite à la dimension de votre écran d'ordinateur. Musique d'ingénieur pour une communauté en transit.
Chacun de nous peut prétendre à l'existence du Web, l’ont utilisé, ont lu des articles dans les journaux et les magazines spécialisés, ont regardé tout simplement la télévision ou écouté les nouvelles radiophoniques, la toile est devenue bien familière. Nous sommes tous transitaires lorsque nous manipulons nos ordinateurs et nous voyageons sur le Web. C'est un domaine artificiel qui se dévoile à nous; -- Imaginez d'abord l'entrée du pavillon de Design et l'espace intérieur du centre: à l'entrée, deux portes monumentales de couleur noir accueillaient les visiteurs. Ouvertes de l'extérieur, celles-ci dévoilaient, grâce à leur mécanisme, l'espace de la salle d'exposition.
René-Luc Desjardins,
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