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La 3ième Biennale de Montréal est placée sous le signe du dessin. En art visuel, certains artistes nous parlent de leur vie, de la vie, et le dessin a traditionnellement constitué pour ce faire un médium privilégié, où l'expression est mise à nu par la simplicité du trait. Pour le volet d'art électronique, une œuvre adapte cette pratique : Re-Move de Lia.

Cependant, aborder le dessin dans le domaine de l'art Web n'est pas chose aisée. Le déplacement du médium et des outils, du papier vers l'écran et du crayon vers la souris bouleverse notre conception de ce que peut, ou doit être le dessin. Est-il encore possible de nommer « dessin» un espace multimédia construit sur la base d'objets virtuels, qu'ils soient en deux ou trois dimensions? N'est-ce pas là une mauvaise extension du langage ? Ou cette modification des médiums et des outils marque-t-elle simplement un nouveau moment dans l'évolution des techniques ?

De plus, le dessin est par essence un mode d'expression personnelle très intime, favorisant, par la simplicité même de ses outils, l'expression et la sensibilité du geste, laissant transparaître l'émotion dans le trait. Or, la machine laisse-t-elle la possibilité aux artistes d'exprimer leurs émotions de manière aussi sensible ?

Pour répondre à ces questions, il paraît nécessaire de dresser un premier constat des pratiques actuelles en art Web en observant la manière dont les artistes détournent ou adaptent habilement les outils technologiques dans leur mode de création. Nous serons ainsi amenée à distinguer trois types d'approches ou de tendances dans l'art Web, que l'on associera de près ou de loin à une pratique du dessin : la transposition, l'outil interactif et l'adaptation.

La transposition consiste en l'appropriation par l'artiste d'images pré-existantes numérisées et intégrées dans un espace virtuel.

C'est le cas du projet de Myron Turner Animal Locomotion qui reprend le principe des images de Muybridge sur l'étude du mouvement animal et humain sur la base non plus de photographies mais de dessins. L'interface propose plusieurs dessins d'animaux en mouvement que l'utilisateur peut manipuler. Animal Locomotion reste un exemple flagrant de transposition : l'artiste dessine puis scanne les images qui sont ensuite intégrées dans l'interface interactive. Le processus est ici simple. Il peut être plus complexe en comportant en plus de la numérisation une transformation digitale de l'image originale. Arturo Herrera a construit Almost Home sur le principe d'un espace bipartite dans lequel il utilise des dessins et des illustrations de contes pour enfants qui ont préalablement été numérisés. Les diptyques sont composés d'associations d'images tronquées, coloriées, gribouillées, transformées autant à la main que numériquement. Les dessins qui résultent alors de ce traitement n'ont plus rien de commun avec les illustrations originales tout en restant cependant identifiables.

Ce n'est pourtant pas toujours le cas, car à force de traitements, d'apposition de filtres, d'agrandissements, de recadrages, d'ajouts d'éléments graphiques, nous finissons parfois par ne plus pouvoir distinguer la nature de l'image originale. C'est pourquoi d'autres artistes utilisent non plus directement des dessins scannés mais des photographies qui perdent leur identité pour prendre l'aspect du dessin. Ainsi se compose l'univers de You are late de Barbara Lattanzi dont les images appauvries et simplifiées ne conservent l'intelligibilité des volumes et des formes que par l'espacement et la densité des points noirs et blancs. N'étant pas des dessins à la base, ces images n'en deviennent pas véritablement grâce aux transformations qui leurs sont appliquées mais en prennent seulement l'aspect. Du dessin sans en être vraiment. L'utilisation des outils numériques produit une nouvelle sorte d'image qui n'appartient plus à l'original ni à aucun autre mode de représentation traditionnel, mais qui ne porte aucun nom particulier…

Ce que nous avons appelé «l'outil interactif» est quant à lui issu intégralement de la technologie et est une approche inversée du dessin. Issu de la technologie puisqu'il s'agit désormais d'expérimenter la création de nouveaux outils de dessin, et approche inversée puisque ce ne sont plus les artistes qui dessinent, mais ce sont eux qui créent ces outils pour les mettent à la disposition des utilisateurs. Ces d'applications, petits bijoux de programmation, offrent à l'internaute la possibilité d'expérimenter à son tour le médium via l'interface créée par l'artiste. L'œuvre qui en résulte n'est donc plus un produit fini, déterminé.

Plusieurs projets de ce type existent parmi lesquelles nous citerons Computational expressionism de Joanna Berzowska et D_Raw de Mario Hergueta qui fonctionnent tous deux sur le même principe. Computational expressionism se compose de plusieurs modules que l'utilisateur est invité à expérimenter de manière à comprendre les outils et à se familiariser avec ce nouveau mode de dessin, lesquels conduisent au module final qui compile les différents paramètres exploités précédemment. D_Raw est également composé de différentes petites applications dans lesquelles de nombreux paramètres sont prédéterminés, calculés et appliqués à la trajectoire de la souris imitant alors le crayon : la dureté du trait, par exemple, est fonction de la vitesse de déplacement, des éléments graphiques viennent appuyer ou enrichir le trait, ainsi, différents modes ou systèmes créent autant de styles. L'utilisateur peut donc à loisir composer, gribouiller, effacer, colorier, et même enregistrer son dessin dans la galerie prévue à cet effet.

D'autres applications de ce type intègrent également l'aspect communautaire du réseau en proposant en ligne des interfaces de création d'images collaboratives. C'est le cas de Glyphiti de Andy Deck qui offre à l'internaute la possibilité de réaliser des graffitis dans un espace commun de création. La page est divisée en deux carrés identiques : le premier permet de visualiser l'image-échiquier dans son intégralité ; le second affiche un détail agrandi choisi par l'utilisateur et lui offre la possibilité d'intervenir sur cette partie de l'image et de créer son graffiti. L'utilisateur est libre de dessiner dans une case vierge ou d'agir sur la création de quelqu'un d'autre. Cette œuvre fonctionne sur un principe binaire : un clic sur un pixel blanc produit un pixel noir et vice versa. À la différence des projets que nous avons mentionnés, Glyphiti est un «work in progress» puisqu'il s'agit d'une seule et même image composée de l'association des différents dessins qui évolue en fonction de l'intervention des internautes.

L'adaptation est certainement le mode le plus évident et pourtant le plus ambigu. C'est ici que nous situerons les artistes qui dessinent avec les outils numériques, en opérant un simple déplacement de médium et de moyens. Mais jusqu'où peut-on encore parler dans ce cas de dessin proprement dit ? En effet, partant du principe que le dessin peut-être défini comme un ensemble de formes graphiques composant une surface, nombre d'œuvres du Web peuvent alors être considérées comme appartenant au dessin. Or, il n'en est rien, le dessin reste une technique particulière à laquelle seules quelques œuvres électroniques peuvent être rattachées. Ainsi le dessin sur Internet est principalement associé à un mode de narration. Instant Future, par exemple, réalisé par Juliet Ann Martin, est un projet hyperlien dont la navigation se construit autour de dessins auxquels sont associées des bribes de textes manuscrits. D'autres projets tels que Always Suspect de Haik Hoisington et Six gun : Tales from an unfolded earth de Daniel Merlin Goodbrey se concentrent également sur la narration. Always Suspect est un film d'animation réalisé en dessin vectoriel avec Flash. Quant à l'œuvre de Daniel Merlin Goodbrey, il s'agit d'une bande dessinée interactive, elle aussi réalisée en dessin vectoriel. Ces œuvres adaptent donc des techniques traditionnelles aux outils numériques, ajoutant ou non des éléments propres à ces outils tels que l'interactivité ou l'arborescence.

L'aspect narratif peut cependant être moins évident de prime abord comme avec les HistoiresSansFin de Yan Breuleux. Ce projet utilise des dessins produits par la machine, des pictogrammes qui construisent une animation interactive. L'utilisateur peut modifier la trajectoire des pictogrammes ainsi que les pictogrammes eux-mêmes et finir par construire un lien sémantique entre ces derniers.

D'autres projets, enfin, adapte également le dessin en s'attardant davantage sur certains aspects propres à la machine. Ainsi la mise à contribution des codes et langages informatiques et la manipulation qu'ils permettent de faire subir aux images ou aux pages Web peuvent donner naissance à une forme nouvelle de dessin. Les désormais célèbres adaptations d'images en ASCII de Vuk Cosic en sont un bon exemple. De manière encore plus radicale, Form de Alexei Shulgin présente une conception certes très éloignée du dessin traditionnel mais qui adapte cette technique au langage HTML. En effet, la page, réduite à sa plus simple expression, est composée d'éléments tels que des boutons, des cases à cocher, des champs de textes ou des ascenseurs. Assemblés de différentes manières, ces éléments recréent des formes et composent des figures dont il résulte ce que nous pourrions appeler du dessin HTML.

Il ressort de ce tour d'horizon bref mais représentatif un constat évident : les artistes du Web, loin de se satisfaire de la seule application des techniques traditionnelles comme le dessin sur un nouveau support, ont su détourner ces pratiques pour qu'elles prennent tout leur sens dans le contexte de ce nouveau médium qu'est Internet. Ils ont ainsi entrepris de produire une imagerie nouvelle et contemporaine, pour la création d'un art nouveau qui n'a de cesse de questionner sa propre pratique eu égard à la spécificité de ses modes de production pour et par le Web, certes, mais qui se reconnaît aussi le droit de revendiquer de plus en plus la place qui lui revient dans l'art contemporain en général et dans les débats qui l'agitent.

 



 

Cécile Petit

 

 

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