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Self-Portrait version 2.0, 2001 (USA) (USA)


STATEMENT:
Self-Portrait v2.0 explore comment nous nous construisons et, en retour, comment nous sommes perçus à travers les données disponibles en ligne. Certaines de ces données dans le cyberspace sont créées par nous consciemment afin de nous représenter (les courriels et les sites Web, par exemple). D'autres s'accumulent sans effort de notre part - et souvent même sans que nous le sachions - et gardent la trace de certaines de nos interactions à la fois dans le monde physique et dans le monde virtuel. En raison de ces données que nous ne diffusons pas volontairement, notre cyber-image n'est pas toujours sous notre contrôle et ne nous est jamais entièrement connaissable. Self-Portrait v2.0 explore la façon dont nous pouvons nous retrouver en ligne et l'aspect que nous sommes susceptibles de revêtir après notre passage à travers les données numériques.
(Brooke Singer)

L'identité d'un sujet est souvent plus fragile qu'on cherche à le croire. Elle est le fruit d'un travail de synthèse continu de la part du sujet, qui se reconnaît comme tel dans ses actions et ses jugements, et peut ainsi les rassembler dans un tout (idéalement) cohérent à chaque moment de son histoire. L'identité tient donc beaucoup à la «persistance de la mémoire» (pour emprunter le titre d'une œuvre de Dali). Mais nous avons tous deux mémoires : l'une consciente, l'autre inconsciente, et souvent le moi que se construit le sujet de manière consciente ignore beaucoup ou tout de la part de mémoire inconsciente inscrite en lui à son insu.

Dans un autoportrait, visuel ou littéraire, le sujet s'interroge traditionnellement sur ce moi auquel il est supposé s'identifier, soit en cherchant à se représenter pour un moment du dehors ce corps trop souvent méconnu ou étranger qui lui sert pourtant d'interface dans le monde, soit en tentant de retracer dans un récit aussi cohérent que possible une histoire qui serait son histoire, telle que sa mémoire la lui rappelle. Mais trop souvent justement cet autoportrait surprend, ou trahit le sujet lui-même - car il s'agit dans tous les cas d'une reconstruction, et d'une représentation, plus ou moins cohérente, plus ou moins fidèle. La psychanalyse s'est ainsi attachée, avec Freud au tournant de l'avant-dernier siècle, à tenter de connaître, et en même temps de faire reconnaître et de faire accepter au sujet cet autre soi qu'est le ça, c'est-à-dire l'inconscient. Mais qu'en est-il de notre inconscient «extérieur» pourrait-on dire, c'est-à-dire des traces que nous laissons dans le monde par nos actions et nos échanges avec les autres et qui elles aussi servent à construire notre identité? N'aurions-nous pas une troisième mémoire?

Depuis la prolifération dans nos vies des ordinateurs personnels, notre mémoire physique et psychologique s'est vue assistée, et parfois relayée par une mémoire virtuelle qui accumule à notre place, et souvent à notre insu, les données nous concernant et résultant de nos actions et de nos échanges, pour finir par constituer l'imaginaire d'un autre moi et le réel d'un autre inconscient et d'une autre histoire personnelle qui sont pourtant également les nôtres, et constitue par là aussi un portrait de qui nous sommes. Cette mémoire laisse ses traces non plus dans le corps mais dans un ailleurs, un non-lieu à la fois tangible (dans le circuit du hardware) mais aussi virtuel (sous forme de données numériques), au point où la notion que nous avons non seulement du cerveau et de la mémoire, mais aussi du corps et de l'identité, emprunte désormais ses métaphores au monde informatique. C'est que l'ordinateur vient jouer ici le rôle d'un troisième terme, interface en même temps que filtre, entre nous et le monde, à la fois comme substitut du corps (avec les avatars par exemple) et comme substitut de la mémoire. De plus, avec l'avènement d'Internet, et l'interconnexion de toutes ces mémoires virtuelles, quelque chose comme un inconscient collectif se dessine de plus en plus, comme une sorte de non-lieu dont le centre est partout et nulle part, et où les données concernant chacun se retrouvent accessibles à tous sans que nous sachions toujours à quel point. Il devient ainsi possible à un tiers de se faire un portrait de nous, en dehors de nous, un portrait non plus seulement extérieur, comme avec le portrait peint ou photographique par exemple, mais un portrait souvent très intime et privé qui nous échappe.

C'est cette image paradoxale de nous-mêmes, à la fois intime et publique, que Brooke Singer tente en quelque sorte de réclamer et de se réapproprier, d'une part en rendant elle-même volontairement et consciemment publiques une grande partie des données qui la concerne, comme ses courriels, sa situation géographique et économique et… atmosphérique!, une webcam qui la montre au travail, les sites internet parcourus, etc., et d'autre part en allant à la recherche sur le Net des informations accumulées à son sujet plus ou moins à son insu par des tiers (comme le FBI, par exemple, ou les compagnies de sondage), et qu'elle rend également accessible dans son œuvre. Le visiteur fait son choix parmi les rubriques offertes et l'«auto-portrait» se compose de lui-même, acculant les strates, les fragments de phrases, les images, pour représenter visuellement l'image toujours complexe, mais à chaque fois unique et momentanée d'une identité en ligne, mouvante, changeante, non-permanente - débarrassée, en fait, de cette illusion de permanence et d'unité typique de la conception classique du sujet (Descartes et Kant) que la psychanalyse a été la première à remettre en question. Cet «auto-portrait» certes nous parle de Brooke Singer et nous la représente, mais jamais entièrement. Ce qu'on retient en fait d'une telle expérience est qu'un portrait ne saurait jamais être complet, et que l'identité est bel et bien une construction intersubjective.


 

Anne-Marie Boisvert

 


 

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