Textarc
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œuvre 4


TEXTARC,
de W. Bradford Paley, 2002



Textarc Si la technologie numérique permet d'expérimenter de nouvelles formes de création littéraire, elle permet également d'explorer de manière tout à fait inédite des textes pré-existants.

C'est le cas de l'œuvre de W. Bradford Paley.

TextArc est un outil disponible en ligne qui offre à l'utilisateur la possibilité de porter un regard neuf sur des ouvrages de littérature que nous connaissons tous, une manière inédite de réviser nos classiques ou plus exactement de les revisiter. Le fonctionnement en est simple : l'utilisateur peut choisir un texte parmi une bibliothèque d'œuvres internationales, allant de Shakespeare à Zola en passant par la Bible et la Constitution des États-Unis d'Amérique. Une fois le texte sélectionné, celui-ci passe dans le broyeur-TextArc. L'application démantèle le texte, le décompose et le fractionne pour n'en conserver que l'unique particule qui le compose : le mot. Les mots sont inventoriés, comptés et certaines statistiques en sont extraites. Jusqu'ici, TextArc ressemble à de nombreux autres programmes l'analyse linguistique. Mais celui-ci va plus loin.

Visuellement, l'œuvre est formée par chacune des phrases contenues dans le texte original, affichées en corps 1 et disposées en arc de cercle. Puis, des mots commencent à apparaître, encore et encore, jusqu'à former une masse presque compacte et illisible. Chaque mot, même s'il est répété dans le texte, n'apparaît qu'une fois, sa fréquence d'utilisation étant révélée par sa teinte. Plus il sera utilisé, plus il apparaîtra clairement. Son positionnement à l'intérieur de l'arc, alors qu'il semble de prime abord aléatoire, est en fait calculé par rapport à sa position initiale dans le texte original. Ainsi, les mots répartis de manière constante dans l'œuvre littéraire seront centraux. Au survol de chaque mot, des lignes de couleur rejoignent son emplacement sur l'arc, et les phrases qui le contiennent s'allument en vert. De fait, les mots les plus centraux sont généralement les noms ou prénoms des personnages principaux. Pour citer les deux exemples mis en évidence par W. Bradford Paley sur son site, c'est Hamlet qui est au centre du cercle dans l'œuvre de Shakespeare, et Alice dans Alice in Wonderland.

Un autre outil permet de visualiser les occurrences. Il s'agit de l'option « Show concordance » qui, lorsqu'elle est activée, fait apparaître un tableau reprenant le décompte des mots. Bien évidemment, les mots les plus couramment utilisés dans chacun des textes seront les particules grammaticales (prépositions, articles, pronoms, verbes et adverbes), et ces statistiques-là n'aideront pas à l'analyse. Ces mots, qui représentent généralement la moitié d'un texte, ne sont pas représentatifs d'un auteur ou de son style et n'apportent rien au sens.

Cependant, les premiers termes révélateurs de l'univers d'un auteur sont bien souvent les noms communs aux nombreuses occurrences. Ainsi, dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs de Proust, le troisième terme le plus utilisé sera « temps » qui apparaît 83 fois dans la première partie du livre. De même, dans Cyrano de Bergerac, il est très souvent question de « nez ». Chez Molière, ce ne sont pas les mots communs qui attirent d'abord l'attention, mais certaines exclamations. Les « Ah », « Oh », « Hé » y sont étonnement nombreux, révélateur d'un type d'écriture et d'effets théâtraux.

Mais un mot hors contexte peut avoir bien des interprétations possibles. L'option « Show association list  » nous révèle également la fréquence des associations et permet alors une approche sémantique rapide. Dans Cyrano de Bergerac, les mots relevant du répertoire des sentiments, comme « cœur  », « amour  », « aimer  » sont tous associés au personnage de Roxane.

L'application de W. Bradford Paley s'avère être un outil d'analyse extrêmement intéressant qui permet d'aborder un texte de manière rapide et efficace en saisissant certaines clés d'une œuvre par la statistique. Il permet également l'analyse comparative de plusieurs ouvrages, de plusieurs styles ou d'une époque en explorant la richesse du vocabulaire, son évolution à travers les siècles et dresser ainsi une sorte de portrait du langage sur un temps donné.

L'application, en plus de cartographier des textes, est également conçue pour en faire une lecture inédite. Lorsque l'on active l'option « Read », une ligne orange serpente d'un mot à un autre en respectant la linéarité du récit original. Au bas de l'écran, le texte défile en parallèle, ligne après ligne. Les mots sont alors reliés entre eux (faisant abstraction des articles et de certaines particules grammaticales) par cette ligne mouvante qui dessine des courbes et des boucles plus ou moins douces ou abruptes. Ainsi, chaque œuvre littéraire possède une courbe qui lui est propre et nous pourrions certainement aller plus loin en émettant l'hypothèse que chaque auteur pourrait avoir un type de courbe, tel un révélateur de son style, de son identité.

Quoi qu'il en soit, ce long filet qui s'étire entre les mots est une matérialisation visuelle du texte, son squelette qui se dessine dans l'espace interactif du TextArc, soutenu par un autre type de courbe, violette cette fois, qui représente la corrélation entre certains mots, la représentation visuelle des associations que nous avons vues plus haut. Ainsi, Paley fait appel à « une ressource puissante et sous-exploitée, le procédé de visualisation de l'homme ». La lecture d'une œuvre via TextArc ne se fait plus seulement sur le mode de l'intellect, mais relève bien d'avantage de l'intuitif. De fait, en se basant de la sorte sur l'intuition du lecteur, TextArc ouvre le champ à une compréhension qui naît d'un processus d'association de mots que le lecteur fait lui-même, en mettant en lien des informations qui proviennent en parallèle de sa vision directe et de sa mémoire visuelle.

TextArc, en se réappropriant la structure d'un texte et son contenu, en lui infligeant cette méticuleuse autopsie, en dressant cette cartographie interactive d'une œuvre, repose sur un processus de création inconsciente de liens et de compréhension intuitive. La lecture d'un texte et son intelligibilité via TextArc repose alors sur la prédominance de l'intuitif sur le rationnel. Il n'est alors pas surprenant que des connexions nouvelles se forment, élargissant alors le champs des possibles d'une œuvre littéraire.


Cécile Petit


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