compte rendu
AOÛT 2005,
COLLOQUE DE CERISY :
L'INTERNET LITTÉRAIRE FRANCOPHONE,
À LA RECHERCHE D'UNE PROBLÉMATIQUE…
Du 13 au 20 août 2005, le château de Cerisy-la-Salle accueillait un colloque1 consacré à L'Internet Littéraire Francophone. Pendant une semaine, des contributions se sont succédées au rythme idéal de deux le matin, et pas plus de trois l'après-midi devant une assistance on ne peut plus choisie. Mais, outre le charme du cadre, outre les ombres tantôt bienveillantes, tantôt écrasantes des grandes figures de la pensée et de la littérature européenne du XX° siècle, qui trônent dans leur cadre photographique et vous dévisagent scrupuleusement quand vous traversez le hall, outre le temps idéal pendant toute cette semaine, propice à de surprenantes baignades, dans une mer réputée froide, la Manche, que pourrait-on dire de ce colloque sans verser dans le compte rendu touristique ?
Quelle problématique pourrait-on en dégager, étant donné que les contributions y furent on ne peut plus variées ?
C'est tout le problème d'un colloque thématique, à l'inverse d'un colloque comme Cerisy en compte beaucoup, consacré à un auteur : quand tout le monde parle de la philosophie de Jacques Rancière, ou de l'œuvre de Marcel Schwob, deux des colloques organisés pendant cet été 2005, il n'est pas besoin de chercher à dégager une thématique, il n'est pas besoin de se demander de quoi, une fois les lourdes et hautes portes closes, on aura bien pu parler.
Les trois termes de l'intitulé, « Internet », « littéraire » et « francophone » peuvent en effet se combiner de multiples façons : va-t-on parler d'un réseau Internet qui serait dédié à l'étude de la littérature écrite francophone, et qui apporterait des outils inédits à l'étude littéraire la plus classique ? Va-t-on aborder la question de la publication, puis de la défense et de l'illustration de la littérature francophone à travers l'Internet ? Ou va-t-on y parler d'une littérature propre à l'Internet, et qui aurait pour second qualificatif d'être écrite en français ?
C'est tout le sujet, et tout le problème d'un colloque comme celui-ci, qui découvre au cours d'une semaine son véritable objet.
LE RENOUVEAU DES ÉTUDES LITTÉRAIRES
On ne se fiera certes pas à l'ordre de passage des intervenants, qui aurait pu dessiner en creux l'intention cachée des organisateurs du colloque, qui aurait pu même tenir lieu de discours implicite.
La communication inaugurale de Michel Bernard2, pourtant, renvoyait bien à la première des acceptions évoquées plus haut, et son objet, sans aucune équivoque possible, ressortissait bien de l'étude littéraire assistée par ordinateur.
Étudier la littérature écrite grâce d'une part à l'informatique, et d'autre part au réseau Internet, voilà une idée qui fait son chemin tout naturellement, et qui rentre peu à peu dans les pratiques courantes des facs de lettres. Mais il faut bien distinguer ce qui relève de l'étude assistée par ordinateur, et ce qui relève de la pratique du réseau.
Ce que Michel Bernard3 pratique le plus couramment, au sein d'un master donné à Paris 3, c'est bien l'étude de la littérature écrite à l'aide du réseau.
Comme l'Internet n'est pas soumis à censure, comme ses contenus ne sont pas tous certifiés, on voit bien que la principale difficulté de l'étude littéraire sur le réseau sera d'une part la pêche aux contenus, et d'autre part la vérification des contenus. Cela pourrait être décrit comme le premier temps de la recherche en littérature assistée sur le réseau. L'information, comme chacun sait, y est abondante dans à peu près tous les domaines, mais comment savoir si l'information en est bien une, si elle n'est pas simplement entachée d'erreur, ou désinformation volontaire, voire même pillage organisé, parodie, intention malveillante, etc. On peut se rappeler ce cas célèbre dans le monde du Net-art d'un site donné comme étant celui de l'équipementier sportif Nike qui se révélait en fait être l'œuvre de cyber-activistes.
Si le cas ne s'est pas, à ma connaissance, encore présenté, d'un site donnant sciemment de fausses informations sur un auteur, ou organisant une parodie suffisamment habile pour plonger dans l'erreur les imprudents - on se demande d'ailleurs à quoi pensent les potaches pour ne pas avoir encore traité de la façon la plus irrévérencieuse quelques gloires usurpées de la littérature - il ne faut toutefois jurer de rien.
Pour capter l'information à sa source la plus claire, le ciblage des bases de données se révèlera comme la première des prudences.
En lançant des recherches sur les sites de la BNF, sur Gallica, sur Frantext, sur Fabula, on sait que l'on aura déjà opéré une première sélection.
Si la connaissance des sources véritables du savoir était la condition suffisante pour l'acquérir, ce serait trop beau ! L'exemple d'une recherche sur un nom de personne donné par Michel Bernard, illustrait la difficulté des recherches assistées en littérature sur Internet. Eugène Mutiaux, par exemple, est un des personnages d'À la recherche du temps perdu.
Mais c'est aussi une personne réelle, parrain de Marcel Proust, et par ailleurs un collectionneur d'art. Sur lequel veut-on faire des recherches ? Comment organiser l'interrogation des bases de données ? Voilà quelques-uns des problèmes évoqués par Michel Bernard pour l'étude littéraire assistée par ordinateur sur le réseau Internet.
Le co-organisateur du colloque Patrick Rebollar, animateur de la liste LITOR, donnait un écho particulier aux préoccupations de tout chercheur désireux d'assurer la fiabilité de ses sources, mais aussi de tout utilisateur du Net, en quête de données fiables. Comme Internet est un réseau ouvert, et que tout le monde peut y publier à peu près tout ce qu'il souhaite, il semble incontournable que le pire y côtoiera le meilleur.
Pour remédier à cet état de fait, Patrick Rebollar fera une proposition qui pourrait sembler singulière, si elle ne venait pas de l'un des acteurs majeurs de l'Internet littéraire francophone, puisqu'il imaginait la création d'un réseau de veille à l'échelle de l'Internet littéraire francophone. Aussitôt qu'une erreur serait relevée sur un site littéraire, le veilleur silencieux, mais dactylographe consciencieux, signalerait dans un premier temps au webmestre étourdi la bourde constatée. Puis, si l'erreur n'était pas réparée, ce serait aux autres acteurs du réseau de signaler l'erreur partout où ils le pourraient. Une charte, énumérant quelques salutaires pratiques, pourrait être dressée.
D'une façon plus générale, c'est au statut de l'Internet comme espace de vie autour de la littérature, que s'est intéressé Patrick Rebollar : l'Internet littéraire francophone pourrait dès lors être compris comme la réunion de tous les locuteurs francophones, à travers le monde, qui liraient des textes littéraires sur le réseau, qui consulteraient des informations sur la littérature, qui créeraient des blogs littéraires, qui mettraient de l'information en ligne, ou encore qui organiseraient d'une façon ou d'une autre la visibilité du réseau de la littérature francophone. Bref l'assemblée de tous les francophones participant à un salon littéraire géant4, à l'échelle de la toile.
Cette double activité, organisation du réseau, et orientation à l'intérieur du réseau, devait solliciter d'autres communications, tant le sujet est d'importance.
Michel Lemaire, le créateur de l'Astrolabe - dont le nom seul suffit à définir en partie l'objet - présentait ainsi le double avantage d'illustrer une préoccupation majeure liée à l'orientation, et de donner l'exemple d'un locuteur francophone canadien apportant sa pierre à l'édifice d'un réseau d'études littéraires francophone.
En bref, le réseau n'est plus cette masse indéterminée, que l'on brocardait sous le nom de « labyrinthe », ou que l'on décrivait de façon effrayante comme une toile, avec toutes les connotations péjoratives afférentes, jusqu'au cauchemar de se retrouver prisonnier d'une araignée numérique dépersonnalisante; le réseau, grâce d'une part aux moteurs de recherche, et d'autre part aux multiples régulateurs humains, qu'ils soient des administrateurs de site-portail, des chercheurs, etc… le réseau peut être décrit comme un environnement numérique hiérarchisé.
La petite portion du réseau que l'on pourrait définir comme l'Internet littéraire francophone sera dès lors cette part floue, chaque fois remise en question, chaque fois que l'on allume son ordinateur et que l'on se connecte, cette part mouvante donc du réseau qui aura pour particularité d'être francophone, y compris française, et de traiter sous une forme ou une autre de littérature.
Le réseau global, dit Internet, est un environnement numérique hiérarchisé formé par un nombre infini de sous-réseaux temporaires, eux-mêmes définissables comme des environnements numériques hiérarchisés.
LA PUBLICATION SUR INTERNET : ADAPTATION, DÉNATURATION OU RE-CRÉATION ?
L'Internet, comme cela n'aura échappé à personne, est aussi un espace de publication.
Le langage HTML, qui permet l'interconnexion des réseaux et des ordinateurs, relève d'un langage textuel, dit de balise. Les images, les sons, l'interactivité au bout de la souris, tout cela n'est arrivé que par la suite. Encore faut-il préciser que images, sons, commandes d'interactivité, doivent être nommées, décrites, pour exister sur le Net. Le Net est un environnement numérique surtout composé de mots.
La question de la publication des œuvres littéraires ne pouvait donc manquer de se poser.
À ce titre, on n'oubliera pas de faire référence aux travaux de Étienne Brunet, qui a adapté son logiciel Hyperbase - prévu originellement pour l'étude des grands corpus de texte (littéraires ou non) en milieu fermé - à une étude statistique de l'emploi des mots français sur la toile. En dix ans, nous aura dit Étienne Brunet à Cerisy, le français aurait quelque peu cédé du terrain, par rapport à l'anglais, sans non plus qu'il faille tirer la sonnette d'alarme - surtout si l'on pense qu'en dix ans, depuis 1995 donc, des continents entiers sont entrés dans la danse et ont forcément dilué la part du français sur la toile.
L'Internet est bel et bien une chance pour la langue française, et pour le renforcement de la francophonie : alors que l'anglais s'est généralisé comme langue de l'échange commercial, comme langue de la publication scientifique et comme pidgin de base, il reste du moins au français cette dimension de langue commune entre des locuteurs fort éloignés géographiquement, si ce n'est comme signe de reconnaissance d'une « exception » française. Cette fonction d'interconnexion par la langue, que les écoles françaises à l'étranger, puis les livres francophones assuraient, est maintenant relayée par l'Internet, qui devient non seulement la plus grande base de données accessible de façon universelle, mais aussi le plus grand espace de publication francophone.
À cet égard, on aura été charmé de voir que des trésors de la littérature française comme le roman de Madeleine et Georges de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus5, soient si bien défendus par une université suisse, celle de Neuchâtel, pour un projet réalisé par Claude Bourqui et Alexandre Gefen.
Le travail remarquable de mise en ligne de ce monstre littéraire de 21 volumes suffira à convaincre les derniers réticents. Une œuvre que plus personne ne lisait, une œuvre qui finissait même par disparaître de la conscience des lecteurs francophones, alors qu'elle était au XVII° siècle l'équivalent de nos feuilletons télévisés, c'est-à-dire l'objet de toutes les attentions, le sujet de bien des conversations mondaines et même un motif attesté de disputes entre maris et femmes, devient grâce au Net une œuvre vivante, attractive, une porte ouverte à vrai dire sur des pratiques de sociabilité dont on oublie facilement comme elles pouvaient être liées à la littérature - qui transcendait alors des catégories si rigides de littérature orale/écrite.
Comme tout lecteur ouvrant le site www.artamene.org pourra s'en rendre compte, le texte intégral de l'œuvre est non seulement mis à disposition, mais surtout présenté selon un dispositif qui en permet des lectures multiples.
Grâce à un ensemble très complet d'outils paratextuels, qu'il serait trop long de détailler ici, le lecteur aura non seulement le choix de la présentation du texte (taille du caractère, mode image, mode texte), mais également le loisir de pouvoir lire où qu'il soit un rappel des qualités de chacun des quatre cents personnages et plus qui peuplent l'œuvre, grâce à des info-bulles.
Attention tout à fait délicate pour les universitaires et les autres, chaque page lue sur le site pourra être citée avec ses paginations de publication originelle, et avec son lien hypertexte direct. Raffinement suprême, on pourra même conserver trace de la date et de l'heure de consultation du document.
Je laisse au lecteur le soin de découvrir plus avant tous les outils paratextuels auxquels l'édition papier n'aurait même pas pensé.
Voilà donc une œuvre plus qu'exhumée par le Net : on pourrait presque parler d'une recréation qui de plus rendrait à l'œuvre sa dimension originelle d'œuvre de salon, faite autant pour être lue que pour être dite.
Le manuscrit de Madame Bovary, de même, pourra figurer parmi les heureuses initiatives de publication sur l'Internet d'un document qui n'aurait jamais pu bénéficier d'une édition traditionnelle.
Que l'on parcoure quelques pages html de cet impressionnant travail collectif, et l'on ne pourra qu'être admiratif devant la somme de compétences et de travail que cela représente : l'écriture de Flaubert nous semble revivre grâce au patient travail de transcription accompli par des bénévoles encadrés par Danielle Girard et Yvan Leclerc.
On voit, on lit, toutes les hésitations de l'écrivain, on suit pas à pas la genèse du texte, grâce à l'édition numérique en ligne !
Dans ce cas également faudrait-il parler d'un travail de re-création sur le Net, puisque l'édition traditionnelle n'aurait jamais pu en donner l'exemple. La transcription du manuscrit de l'œuvre demande une telle masse de travail qu'il fallait la volonté de bénévoles pour en venir à bout. C'est la dimension collaborative du Net, et volontiers contestataire par rapport aux lois de l'argent, qui aura été ici mobilisée.
Enfin, puisque la littérature n'est pas composée uniquement des monstres sacrés du passé, ni des trésors enfouis, et qu'elle se fait tous les jours, il faut citer le travail de Norbert Dodille, pour l'Université de la Réunion, qui a créé un site vitrine, un site ressource également, où les écrivains réunionnais peuvent trouver l'espace de l'expression.
Isabelle Aveline, bien connue pour être l'animatrice de zazieweb, nous faisait, elle, part de ses préoccupations quant à l'avenir d'un site qui fait depuis de longues années figure de référence dans la vie littéraire sur le net.
Quant au site de la Fondation La Poste, partenaire du colloque, il propose un choix de lettres, ce qui paraît logique.
POUR UNE LITTÉRATURE INFORMATIQUE ?
Le troisième acception de la proposition Internet Littéraire Francophone nous ramène vers la création, puisqu'il s'agissait, à travers des communications au demeurant fort dissemblables, de convoquer divers aspects de la littérature en ligne, ou de la littérature informatique.
Comme un hommage de la bibliothéconomie à la création la plus contemporaine, Marie Lissart nous présentait un travail effectué par un collectif de quatre élèves conservateurs (Pierre Chagny, Anne Lejeune, Marie Lissart, Cécile Tardy) de l'École nationale supérieure des sciences de l'information et de la Bibliothèque de Lyon, intitulé Repérage et sélection de sites de littérature contemporaine par une bibliothèque universitaire de lettres et sciences humaines, dans lequel quelques questions relatives à la méthodologie de recherche sur le Net, et à la conservation des œuvres numériques sont posées.
Comment différencier ce qui relève de la littérature la plus classique, publiée sur le net, et qui n'aurait fait que migrer de support, avec la littérature authentiquement créée pour ce support, voilà aussi un des problèmes abordés.
On ne reviendra pas sur les classifications proposées à l'intérieur de la littérature informatique, en genres et sous-genres, lesquels évoluent tous les mois avec les technologies de création et les modes de publication, ni sur les épineux problèmes de terminologie - faut-il dire « littérature électronique », « littérature hypertexte », « littérature informatique » ?
Pour ma part, je préfère le terme « littérature informatique », pour des raisons trop longues à exposer ici - mais on notera le sérieux et la rigueur d'un des premiers travaux consacré, en France, par des bibliothécaires à la sphère numérique. Le fait que le problème de la conservation des œuvres numériques soit posé doit être regardé comme un début de maturité du domaine.
Un travail présenté par son auteur, Philippe de Jonckheere (site Désordre), illustre certainement très bien les problèmes évoqués par Marie Lissart et ses collègues, quant à la classification des œuvres littéraires sur le Net.
S'agit-il en effet d'une littérature qui ne ferait que migrer d'un support vers l'autre, mais qui resterait foncièrement une littérature du livre, ou bien s'agit-il d'une création conçue et définie d'emblée pour le support numérique, c'est une question que l'on peut se poser.
Certains indices pourraient être relevés, comme l'environnement choisi par l'auteur, à travers les liens qu'il affiche, et qui projettent en quelque sorte son intention. On notera donc que dans le cas du site Désordre, ils renvoient majoritairement vers des œuvres de littérature écrite. D'autres indices pourraient être relevés, ce qui ne serait pas le lieu ici de ce travail.
Mais l'ensemble du travail littéraire constaté sur le site de Philippe de Jonckheere, s'il utilise bien des liens hypertextes, s'il mixe les images et les mots, nous semble malgré tout relever davantage d'un travail de littérature qu'informatique.
Le dialogue entre récit et technique, le questionnement de l'auteur au regard des technologies de l'information et de la communication, voilà les thèmes développés par un universitaire francophone brésilien, Alckmar Luiz Dos Santos, de l'Université fédérale de Santa Catarina, qui pourraient bien marquer une ligne de partage entre littérature écrite et littérature informatique.
Comment nous pensons la technique à travers nos récits, comment le récit dit par la technique elle-même peut influencer notre construction du récit, c'était le thème de la belle réflexion initiée par Alckmar Dos Santos. Il n'est bien sûr pas question de soutenir que la littérature informatique devrait se pencher uniquement sur des questions de dispositif, comme certains auteurs et théoriciens pourraient l'avancer, mais il n'en reste pas moins qu'elle devra toujours se souvenir des modes d'énonciation qui lui permettent d'exister, qu'elle devra toujours garder dans son discours implicite le combat ou la connivence de l'auteur avec les nouveaux langages qu'il aura dû maîtriser.
En écho presque à ces préoccupations, Isabelle Escolin-Contansou répondra sur le thème des avant-garde littéraires sur le Net : qu'est-ce qui est d'avant-garde, qu'est-ce qui ne l'est pas, comment définir la notion d'avant-garde dans un environnement qui lui-même s'est constitué en rupture avec les modes de publication que nous connaissons depuis quelques siècles…
La littérature francophone présente sur l'Internet peut donc se dire numérique ou électronique ou informatique, peu importe.
Mais pour autant qu'elle quitte les oripeaux de la littérature écrite, elle ne peut plus être abordée avec les appareils critiques forgés pour le papier.
C'était le thème de la communication de l'auteur de cet article, Xavier Malbreil, qui présentait le résultat d'un travail de recherche de deux ans sur l'approche critique des œuvres de littérature informatique.
Comment aborder des œuvres qui ne sont pas que textuelles, mais qui mettent aussi du texte en scène; comment passer outre un certain nombre d'objections relatives à l'existence même d'un discours critique, objections formulées par Edmond Couchot6, par exemple, mais aussi par Jean Pierre Balpe, et qui tiennent à la nature foncièrement instable de l'œuvre numérique, instabilité revendiquée par certains auteurs; comment analyser un écran sur lequel texte et image se mêlent, et non seulement texte et image, mais encore interactivité du lecteur, etc…
Bref, devant un objet esthétique mouvant, incertain, comment tenir un discours critique ?
Voilà les questions exposées par l'auteur de cet article, questions qui ont pour unique ambition d'avancer pas à pas vers l'élaboration d'une méthodologie d'approche critique des œuvres de littérature informatique. Fin des travaux, si tout va bien, dans trois ans, pour ce qui sera le sujet d'une thèse de doctorat.
Au préalable, l'auteur de cet article aura pris soin de tenter de donner une définition de la littérature informatique, et de dire comment elle s'inscrit dans une continuité englobant littérature orale et littérature écrite7.
Enfin, autre sujet de thèse de doctorat, dont les participants au colloque de Cerisy auront eu la primeur, celle de Serge Bouchardon, consacrée au récit interactif, et qui de même se penche sur ce que la création numérique a de plus spécifique. Dans les œuvres qu'il a réunies, qui pour certaines sont présentes sur le net, pour d'autres sont gravées sur CD-Rom, pour d'autres encore ont eu lieu sous forme de performance, Serge Bouchardon a tenté d'analyser les mutations du récit. L'environnement numérique modelé par les technologies de l'information et de la communication ayant pour effet de donner au lecteur bien davantage de pouvoir sur la narration, à travers ce que l'on appelle l'interactivité, comment concilier narrativité et interactivité ? Serge Bouchardon soutient sa thèse de doctorat le 7 décembre à l'Université de technologie de Compiègne où il enseigne.
QUELLE PROBLÉMATIQUE ?
Au terme de cette semaine de colloque, après avoir entendu résonner plus de vingt fois la cloche annonçant l'heure du repas, impératif à respecter absolument, sous peine de devoir jeûner pendant matinées studieuses ou après-midi appliqués, au moment donc de tirer le bilan de cette agitation de neurones, l'Internet littéraire francophone avait-il des contours plus nets ? Savait-on seulement ce qu'il recouvrait ?
Des trois directions que j'ai tracées, en reconnaissant qu'il s'agit d'une lecture particulière, laquelle des trois serait la plus représentative ? Pourrait-on en faire la synthèse ? Se dessinerait-il un sous-ensemble commun ?
L'nternet littéraire francophone est certainement un environnement numérique hiérarchisé dédié à la littérature francophone, dédié par ceux qui créent des sites, et qui mettent en place des contenus, mais aussi par ceux qui en organisent la visibilité, ou qui en étudient le contenu. A ce titre, le rôle des multiples « boussoles » du Net, humaines ou algorithmiques, ne devra pas être oublié. Ils font partie intégrante de l'Internet littéraire francophone, ce qui est aussi une manière de remarquer qu'une littérature ne saurait exister sans lectorat, ni sans support.
La création littéraire spécifiquement numérique, ou informatique, s'est fait une spécialité, presque une obligation, de regarder fixement ce support, comme condition de son existence, comme balise lui donnant toute garantie d'authenticité. Certainement est-ce là un acte propédeutique.
La littérature informatique se pense elle-même en rupture avec ses devancières, littérature orale et littérature écrite.
Pourtant, on a pu voir, au cours de cette semaine, les tenants de l'université les plus engagés dans la voie de l'étude littéraire assistée par ordinateur, se passionner pour la création numérique. On a pu voir les représentants de la culture numérique impressionnés par le réveil de l'université, et par l'ouverture manifestée en direction des créations les plus novatrices.
Il ne s'agira pas ici de tenter une synthèse à tout prix, qui ne serait que rhétorique.
L'Internet littéraire francophone est bien constitué de sous-ensemble distincts, qui ne peuvent pas se confondre. Leur seule dénominateur commun est la langue française - qui doit compter sur toutes ses forces pour s'imposer dans un environnement massivement anglo-saxon.
La problématique, s'il faut à tout prix en dégager une, de ce colloque, pourrait bien se tenir à l'intersection des trois directions du colloque, ce qui serait une bonne nouvelle. Passé le temps du mépris et des méprises, passé le temps de l'ignorance et de la bêtise, rentrerait-on tout simplement dans l'ère du réalisme, qui verrait le numérique pris pour ce qu'il est, un outil au service des littératures orale, écrite et informatique, un outil que les francophones, parce que nous sommes héritiers d'une langue qui aime autant l'élégance que la chicane, utilisent enfin de façon décomplexée, sans jamais oublier la complexité.
Notes
1 : Voir le programme sur le site de l'un des organisateurs, Patrick Rebollar, l'autre organisateur étant Michel Bernard, Maître de conférence à Paris 3.
2 : L'un des fondateurs, avec Henri Béhar, Jean-Pierre Goldenstein, Pascal Mougin, et Patrick Rebollar
du site Hubert de Phalèse, dédié aux études littéraires assistées par ordinateur.
3 : Introduction aux études littéraires assistées par ordinateur, PUF, 1999, 225 p.
4 : Voir l'ouvrage de Patrick Rebollar, Les salons littéraires sont dans l'Internet.
Presses universitaires de France, Collection Écritures électroniques, 2002, 224 p.
5 : Madeleine et Georges de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, éditions Garnier Flammarion pour une partie de l'œuvre, et site www.artamene.org pour l'intégralité de l'œuvre.
Présentation par Claude Bourqui et Alexandre Gefen.
6 : Edmond Couchot, L'œuvre d'art numérique, Flammarion.
7 : Les communications seront publiées dans les Actes du Colloque de Cerisy, ILF 2005.
Se tenir au courant de la date de parution par le biais du site de Patrick Rebollar : www.berlol.net.
Xavier Malbreil, Université de Toulouse II
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