œuvre 3


Molotov Alva and his Search for the Creator:
A Second Life Odyssey
,
de Douglas GAYETON (USA/Second Life), 2007-présent

par Paule Mackrous




En 2007, le réalisateur Douglas Gayeton construit le mythe de Molotov Alva en diffusant un peu partout sur le Web les fragments de son histoire : Molotov Alva and his Search for the Creator: A Second Life Odyssey. Le texte accompagnant ce qui se présente comme un documentaire indique qu'un être humain s'est désincarné pour pénétrer le monde virtuel multiparticipants Second Life. L'homme est d'abord disparu de sa maison californienne pour ensuite réapparaître dans le corps illusoire de l'avatar. Il s'y promène maintenant de manière autonome sous le nom de Molotov Alva. Hanté par les souvenirs de sa première vie, Molotov Alva décide de documenter, à l'aide d'une caméra virtuelle, son parcours et sa quête de sens dans un monde synthétique où la terre, l'eau et le ciel sont à vendre. Gayeton déclare avoir rencontré ces vidéos par hasard lors d'une exploration du monde virtuel et avoir ainsi décidé de les regrouper pour en faire un documentaire. Dix épisodes racontent, sous forme de journal numérique, les aventures de l'avatar. Les minifilms qui le composent sont diffusés par la suite sur YouTube, d'autres via Cinemax ou encore iTunes. Par ailleurs, le site officiel du film choisit de ne rendre disponible que deux épisodes par semaine.

Au cours des dernières années, on a vu le machinima se déployer de manière rapide. L'univers synthétique de Second Life offre beaucoup de possibilités pour ce genre cinématographique qui s'érige à l'aide d'images de synthèse et d'outils issus d'environnements 3D, généralement ceux des jeux vidéo. Plusieurs groupes d'artistes du monde virtuel Second Life émergent de cette pratique (Tube2sl 1, Second Life Film Society, Second Life Machinima Librarians Group, Second Life Machinima Building and Design) sans oublier les œuvres cinématographiques de l'avatar Grazira Babeli. Les minifilms de Gayeton empruntent quelques décors de certaines constructions 3D déjà en place dans Second Life. Plusieurs séquences sont toutefois tournées dans des environnements créés par Gayeton, dans Second Life, pour les besoins du documentaire. La photographie y est très élaborée. Les plans de caméra, accompagnés de la voix du narrateur Molotov Alva, se succèdent de manière dynamique de sorte que l'on a l'impression que toute une équipe de tournage œuvre dans le monde virtuel. Si un effet de réel est engendré par le montage filmique, les images elles-mêmes laissent transparaître une exploration des possibilités de l'univers fantastique de Second Life (corps en apesanteur, textes dans l'espace).

Le documentaire de Gayeton se présente en quelque sorte comme un film de science-fiction comprenant une réflexion sur le monde virtuel qui lui sert également de toile de fond. En laissant croire à son spectateur que Molotov Alva est bien celui qui a créé ces minifilms, le documentaire questionne le rapport de l'illusion et de ce qui est dit « réel ». Par le fait même, il met au cœur de ses observations l'expérience perceptive en situation d'immersion virtuelle. Les souvenirs d'Alva, de sa vie dans le monde tangible, sont encore présents dans sa mémoire de personnage synthétique qui a pénétré, pour reprendre les termes de Cauquelin, l'« incorporéité du cyberespace » 2. Le monde d'images duquel il participe a déjà été devant lui avant qu'il ne s'y trouve dedans. Il est dit que « l'irréalité d'un monde d'images ne peut essentiellement être qu'un moment abstrait d'une réalité déterminée (…) » 3. C'est précisément cette mémoire d'une réalité déterminée en dehors du monde virtuel qui lui interdit de s'aliéner et qui l'encourage à effectuer une quête du Créateur. Plusieurs films de science-fiction alimentent cette idée de l'aliénation par l'immersion ou encore de la quête existentielle menée par un personnage synthétique : Existenz, Avalon, Matrix, pour ne nommer que ceux-là. Pierre Lévy a ainsi raison de dire, en faisant référence à des sources théoriques de toutes sortes nous permettant de questionner notre nouvelle posture devant les technologies du virtuel, que « (…) la science-fiction est devenue aussi importante, sinon plus, pour comprendre le monde contemporain » 4.

Les commentaires de prime abord extra-diégétiques font partie de l'expérience du documentaire, ils participent de son effet fantastique. Gayeton joue le jeu jusqu'au bout, même dans les entrevues où il réaffirme l'existence indépendante de Molotov Alva :
« I felt that they were the first truthful account of a person's introduction to a new digital world so I worked with him to bring them out of Second Life » 5.
Pas surprenant de la part de l'auteur de la bande dessinée Delta State, qui mettait en scène des étudiants ayant des pouvoirs psychiques leur permettant d'entrer dans un état éthéré et qui a fait l'objet d'une adaptation pour la télévision. Le mythe de Molotov fonctionne, HBO a acheté les droits de diffusion et projette de présenter le documentaire aux Oscars dans la catégorie des courts-métrages animés. Durant les diffusions fragmentaires du documentaire, certains avatars ayant rencontré Molotov Alva dans Second Life l'ont filmé et ont diffusé ces films sur YouTube, ce qui alimente drôlement le mythe. Il semblerait que le personnage visite aujourd'hui d'autres mondes virtuels, toujours guidé par une quête existentielle.





Notes
1 : Site de Tube2sl.com, consulté le 20 septembre 2008.  

2 : Anne Cauquelin, Fréquenter les incorporels, Paris : Presses universitaires de France, 2006.  

3 : Eugen Fink, De la phénoménologie, Paris : Minuit, 1974, p.90.  

4 : Pierre Lévy, Cyberdémocratie, Paris : Odile Jacob, 2002, p.24.  

5 : Site de Molotov Alva, consulté le 20 septembre 2008.
Voir aussi le site de Douglas Gayeton et de Delta State.  




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