œuvre 5


Alissa 1969 Seriman,
d'Agnès de CAYEUX (France/Second Life), 2008

par Margherita Balzerani




RÉALITÉ VIRTUELLE VS VIRTUALITÉ RÉELLE


Les univers virtuels semblent être constamment traversés par la question : quel est notre rapport à la réalité ?
Combien de couches existent entre la réalité et sa représentation ?
Ou simplement : combien de réalités ?
À ce titre, les artistes contemporains semblent s'approprier les mots de Marshall Mac Luhan, « les médias sont des traducteurs » : des traducteurs du réel, des simulateurs de vie, des traducteurs de soi.

On pourrait alors considérer la réalité virtuelle comme un prolongement de notre vie, une sorte de kaléidoscope qui nous permettrait de voir au-delà, de déchiffrer, de mieux comprendre notre société, d'appréhender la réalité et notre rapport à cette dernière.

De plus en plus d'artistes expriment leur créativité et s'emparent des mondes virtuels, ils existent dans les réseaux, ils résident dans les scripts, ils habitent les skins.

Au-delà du cybersquatting, des spéculations économiques, des casinos et des rencontres sexuelles fortuites, les métaverses comme Second Life permettent aujourd'hui de dépasser les limites corporelles, de bâtir une architecture privée de contraintes matérielles, de donner vie à une expérience artistique immatérielle qui prend en compte l'apesanteur, l'intemporel, l'invisible, la synesthésie, l'éphémère, l'empathie, les émotions, le désir, l'humidité, le son, l'intimité. Bref, les métaverses représentent aujourd'hui de nouveaux espaces de créativité.

Ils sont devenus des lieux de diffusion et de production favorables à une expérience artistique à la fois éphémère et persistante, immatérielle et empathique, individuelle et collective, réelle et augmentée, in situ et douée d'ubiquité, dynamique et immuable. Second Life présente une géographie qui prend en considération différentes composantes d'un territoire et qui se développe essentiellement sur des situations socio-spatiales, se révélant aujourd'hui aux artistes comme un archipel open source, un terrain d'expérimentation unique, une sorte d'espace utopie.

Défini par l'artiste neen Miltos Manetas tel un lieu « désertique et déserté », Second Life est une sorte de refuge, de deuxième résidence pour des artistes comme Chris Marker, qui dit à travers son avatar Sergei Murasaki : « Je m'y retirerais pour de bon. Comme Brando à Tahiti ». Si dans une perspective future, certaines de nos activités se déplaceront dans les mondes virtuels, pourquoi ne pas imaginer que les univers persistants puissent donner la possibilité aux artistes de détourner les contraintes et les limites de la vie réelle ?

Le travail d'une artiste comme Agnès de Cayeux témoigne du potentiel et des nouvelles possibilités esthétiques et formelles de Second Life.


« Il est un monde calme et reposant. C'est ainsi que je suis entrée la première fois dans Second Life. Puis a surgi l'autre, un visage sans expression, un corps qui se dirige vers quelque chose hors écran. L'autre comme un monde possible, comme la possibilité d'un monde effrayant. Et l'autre se met à écrire, à parler, à employer le « je ». C'est ce monde réel que nous avons souhaité observer, ces nouveaux contours que nous avons désiré interroger et cette nouvelle manière d'exister que nous avons choisi de regarder ».
Agnès de Cayeux 1



DU CUT-UP À LA QUÊTE IDENTITAIRE OPEN SOURCE

Travaillant depuis plusieurs années sur la conception et le développement d'interfaces et d'outils Internet, Agnès de Cayeux mène une recherche sur les relations à distance et les interactions réseau. Figure singulière du net-art, l'artiste française travaille le sensible, s'inquiète de la dilution de l'humain dans la technologie, se passionne pour l'observation de ses contemporains inventant (ou croyant le faire) de nouvelles formes sexuelles, les chambres de discussion avec webcam, les zones d'ombres des mondes virtuels, la persistance des schémas machistes.

Le dernier projet réalisé par Agnès de Cayeux avec le soutien du Dicream s'intitule « Alissa 1969 Seriman ». Cet essai vidéo inspiré du livre Détruire dit-elle de Marguerite Duras paru en avril 1969, suit un processus d'écriture littéraire.

Une femme se réveille en 2066 après un choc amnésique. Elle a tout perdu. En s'approchant de l'ordinateur elle essaie par le net de reconstruire son identité, son histoire, sa vie passée. Perdue dans ce réseau de 0 et de 1, éblouie par ces images, étourdie par ce flux d'information, elle repère soudain trois références : une plage, une sœur, un cratère.

Des images morcelées comme des flashbacks se succèdent à l'écran.

L'essai vidéo Alissa 1969 Seriman se révèle alors composé d'une succession de cut up visuels, d'images fragmentées, de souvenirs d'enfance, de sensations hallucinogènes, de rapports humains. Une voix-off accompagne le récit. Cette équation entre espace-temps, voyage, passé et présent permet à l'artiste de découvrir l'inconscient d'une écriture visuelle proche de William Burroughs. Agnès De Cayeux expérimente un processus de création automatique sous forme de découpage de fragments psychologiques du personnage principal, qui via le net enclenchent par accident une succession de tags visuels juxtaposés. Les plans séquences récupérés sur le net en peer to peer génèrent des visions filmiques avec un déroulement narratif entrecoupé par des images de l'avatar d'Alissa allongée sur Eylone, La Lune. L'avatar d'Alissa est souvent allongé avec les bras croisés et son corps est en apesanteur, presque en état de lévitation. Le spectateur participe de l'état d'âme d'Alissa et il peut suivre de façon interactive son existence sur Second Life. Allongée comme sur un lit, cette femme est confrontée à une dérive identitaire : elle a perdu la mémoire ou elle est peut-être morte ? Détruite ? Dématérialisée dans le réseau ? Réel virtuel ou bien virtuel réel ?

L'enchaînement et la découverte par accident d'un sens nouveau à son existence, mettent en rapport l'impression de déjà vu que l'on retrouve dans des lieux où l'on croit déjà être venu auparavant et la vision d'images qui nous semblent familières. L'imprévisibilité, la spontanéité d'un récit qui s'exprime par ellipse mènent le spectateur vers la découverte par accident de la persistance émotive du vécu virtuel.





Notes
1 : Agnès de Cayeux, Second Life, un monde possible, Paris : Ed. Les Petits matins, 2007.  



N.B. Cette œuvre sera présentée au sein du Reality Festival.

Le Reality Festival, le premier Festival international d'art spécialement dédié aux mondes virtuels, aura lieu à Paris, au Door Studios, du jeudi 30 octobre au dimanche 2 novembre 2008.

Le Reality Festival accueillera une exposition, des performances, des conférences et des événements musicaux.

Site du Reality Festival : www.reality-festival.com.

Site d'Agnès de Cayeux : www.agnesdecayeux.fr.

Pour voir la vidéo de présentation de la vidéo
d'Alissa Seriman 1969 : cliquez ici.

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