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by RYBN (Colllectif)

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Un objet sonore est tributaire de son environnement, des qualités acoustiques du milieu dans lequel il est émis. Dans les dispositifs de diffusion distante, cette relation devient sinon aléatoire, du moins, dépendante des conditions d'écoute 1, et met ainsi à contribution les auditeurs situés à l'autre bout du canal de diffusion. Internet bouleverse ce schéma (radiophonique) d'écoute à distance, en y ajoutant les paramètres du réseau : la réversibilité et l'équivalence entre les postures d'émission et de réception. Le son lui-même change de nature et alterne entre onde physique et flux d'informations numériques. Il devient équivalent à toute autre information dans l'environnement du réseau. Quelles incidences ces spécificités ont eu sur la création artistique sonore?

Si l'on ne peut pas parler d'une forme d’art sonore spécifique sur Internet, des pratiques isolées en ont exploré les potentiels, par exemple,  le jeu d'improvisation musicale à distance par la mise en réseau et le temps réel, la qualité propre du son devenu flux d'information, les pratiques de parsing qui consistent en la transposition, d'un média à un autre, d'un contenu numérique par équivalence posée entre des données visuelles ou textuelles et sonores. On retrouve également la possibilité d'impliquer l'internaute comme contributeur d'une œuvre collaborative sonore, les dispositifs sonores géolocalisés et cartographiques, ou encore des dispositifs permettant d'intervenir à distance sur un espace physique, associant le flux d'information avec les spécificités acoustiques d'un lieu.

Nous nous attardons ici sur quelques unes de ces pratiques artistiques sonores spécifiques au Web, plus spécifiquement sur quelques exemples d'appropriation du réseau Internet comme médium artistique et musical, où il s'agit de jouer avec les contraintes et de déjouer les limites mêmes du réseau. Nous regardons également quelques exemples d'éclatement des frontières entre les rôles des auditeurs, des auteurs et des diffuseurs dans la création sonore, avec l'invention par les artistes de modèles de diffusion alternatifs et de nouveaux dispositifs. Nous nous concentrons finalement sur ces formes discrètes, souvent peu connues du grand public, où création artistique et expérimentation technique sont imbriquées, et où une approche inter-individuelle et sensible les place finalement à contre-courant d'une vision socialisante du Web.

Ce regard sur les pratiques sonores atypiques sur Internet doit être rapidement contextualisé et mis à l'échelle d'autres modèles de diffusion sonore bien plus largement répandus sur le Web. Les plateformes peer-to-peer, les netlabels, les webradios témoignent de l'utopie des premières années du réseau, d'une possibilité d'échange interindividuelle sans structure sociale intermédiaire. 2 Elles auront finalement procuré, dans les années 2000, un levier médiatique pour les industries de production culturelle dans leurs tactiques de réappropriation du réseau et pour les pouvoirs publics dans leur volonté d'en contraindre les usages.

La relation entre le son et Internet, c'est aussi un lien historique entre le son et la technique dans l'évolution des techniques de diffusion et de transmission du matériau sonore. Il serait intéressant de comparer les pratiques artistiques sonores sur Internet avec les expérimentations des années cinquante et soixante, lorsque le téléphone et la radio étaient intégrés aux processus de création. 3

Dans le champ de la création sonore donc, musiciens, artistes, informaticiens et passionnés s'emparent rapidement des possibilités techniques d'Internet avec la création d'interfaces et d'instruments en ligne, la création de dispositifs modifiant en profondeur les pratiques de jeu et d'écoute et les expériences plastiques diverses inclassables.

Nouvelles pratiques en réseau du jeu et de l'écoute, œuvres collectives

Avec l'avènement d'Internet, on voit se développer des pratiques participatives ou collectives. Les artistes s'emparent des questions liées au contexte de monstration des œuvres, et dans le domaine musical, on voit émerger des modèles de diffusion alternatifs. Le Placard et Nomusic sont deux dispositifs d'écoute en réseau, indépendants. Le Silophone est un instrument liant architecture et réseau, un dispositif ouvert que musiciens et non-musiciens peuvent investir.

Le Placard, initié en 1998 par Erik Minkkinen et Sylvie Astié du collectif büro, est un festival de musique au casque (headphone music), qui vise à concentrer l'attention de l'auditeur afin d'opérer un retour à une écoute intime. Ce dispositif très particulier se trouve rapidement doublé d'un canal de streaming, permettant à n'importe qui de se connecter et d'écouter, de discuter, via le chat, et de participer de manière distante. Le dispositif est ouvert, permettant à quiconque d'organiser un festival, ou même d'ouvrir un espace d'écoute distant. Le festival s'est petit à petit transformé en réseau, opérant de manière quasi permanente sur le net, chaque nœud du réseau adaptant son format à ses contraintes locales.

Nomusic, initié en 2001 par Carl.Y et laboiteblanche; à la fois plateforme, tournoi, festival, Nomusic se déroule uniquement sur le net, et propose vingt-quatre concerts partagés de musiciens constitués en binômes et situés en deux points distants du globe terrestre d'improviser ensemble. Cette série de concerts est accessible aux internautes par un canal de stream, et transforme pendant 24 heures le net et nos ordinateurs personnels en une salle de concert partagée. Pourquoi continuer à dépendre des contraintes imposées par les salles publiques alors qu'on peut s'en passer ? Ce déplacement sur Internet de l'ensemble du dispositif d'écoute et de création partagée est posé comme une revendication, mais il y a aussi une volonté esthétique d'en explorer les spécificités. En effet, le jeu d'improvisation à deux, via des rencontres parfois inopinées, se double d'un jeu sur le délai de transmission, où le réseau est générateur d'une écoute anticipatrice. La prise en compte des contraintes du stream et des techniques de diffusion en temps réel est une dimension essentielle à Nomusic. 4

En 2000, à l'initiative du duo canadien [The User], un silo à grain abandonné de la ville de Montréal a été transformé en une gigantesque caisse de résonance pour des interventions locales (concerts et événements) aussi bien que distantes:  le Silophone est équipé d'enceintes, de micros et de différentes techniques de télécommunications (téléphone, Internet) et permet à n'importe quel internaute d'écouter un son dans cette chambre de résonance à l'acoustique étonnante. Tous les sons diffusés sont enregistrés et constituent les archives du dispositif. Le répertoire compte aujourd'hui 16803 sons.

Cartographies et géolocalisations sonores

Dans le domaine artistique aussi bien que dans celui de la recherche, un intérêt grandissant pour la géolocalisation et les représentations des réseaux se répercutent également dans le domaine sonore, comme en témoignent par exemple, Locustream Map, Aporee, ou Nogovoyages.

Locustream Map, est une carte interactive sonore et un projet collaboratif issu du laboratoire de recherche en art audio Locus Sonus (2006), qui propose de naviguer entre différents streams distants issus de la capture sonore en temps réel via de simples micros posés sur des rebords de fenêtre en plusieurs points du monde. Internet devient une fenêtre sur des "ailleurs", jouant sur les notions de l'intime, de la proximité et de la découverte par le sons d'espaces distants. Quel est notre rapport à l'espace lorsqu'on écoute à Dakar le son d'Oslo ?

La cartographie sonore Aporee, de Udo Noll, détourne quant à elle la carte Google, où chacun peut y localiser des enregistrements sonores, principalement du fields recording. Le projet rassemble aujourd'hui plus de 5000 séquences et enregistrements différents, et possède une importante communauté d'utilisateurs, dont les usages varient radicalement selon leurs partis-pris. Citons par exemple la démarche de Jodi Rose, qui documente son projet Singing Bridges, en localisant les sons enregistrés de tous les ponts suspendus du monde, dont les vibrations et les mouvements sont capté

Aporée est un mot qui apparaît dans plusieurs livres de Hans Erich Nossack, un écrivain d’avant-garde allemand des années 50, aujourd’hui quasiment oublié. Ces livres ont été très importants pour moi lorsque je les ai découverts il y a une quinzaine d’années. Aporée est un concept d’“espaces”, au sens large. Cela peut être un bar, une île, un terrain vague… qui sont tous dans l’ouvrage des lieux d’exil. Sauf que les personnages n’y vont pas intentionnellement, cela leur arrive soudainement, sans possibilité de retour. Je cherchais un nom pour mon projet qui ait à voir avec des réalités spatiales ambiguës et je me suis souvenu de ce concept. Les enregistrements sonores de l’environnement créent une représentation complexe des lieux. D’autant plus lorsqu’ils se trouvent associés à l’imaginaire des GoogleMaps qui simulent la possibilité d’une exactitude, d’une précision, alors que tout est flou 50 mètres avant le sommet des maisons. 5

Plusieurs artistes et collectifs s'intéressent aux technologies permettant de géolocaliser des objets sonores, comme le collectif qui propose des visites sonores d'espaces urbains. Plus récemment, le collectif Nogovoyage a développé des dispositifs sonores géolocalisés. MOILLESULAZ, réalisé en collaboration avec Elie Kongs en 2008 à l'occasion de la Biennale Version Beta du Centre pour l'Image Contemporaine - Saint-Gervais (Genève) propose l'exploration d'un dispositif sonore géolocalisé par GPS de la région frontalière franco-suisse, autour du poste de douane de Moillesulaz. Equipé d'un casque audio, le visiteur parcourt alors à pied cette banlieue continue entre Genève (Suisse) et Annemasse (France) traversée par une autoroute, et accède à deux calques de réalités de natures différentes, invisibles, et qui se superposent à l'espace urbain : la carte de sons audibles à l'endroit même où ils ont été réalisés et ce découpage politique du territoire.

Installations sonores en réseau

Les oeuvres hybrides, qui se déploient aussi bien dans un espace physique que sur Internet sont nombreuses. Dans le cas d'Audiotrace, le Web devient un réservoir de sources sonores anonymes orchestrées par les auteurs de l'œuvre. Tandis que Laps nous montre le réseau comme une immense caisse de résonance.

En 2004, laboiteblanche et Carl.Y réalisent Audiotrace, une installation et une performance audiovisuelle utilisant, sur un principe de captation, les ressources disponibles sur le net. Les auteurs décrivent eux-mêmes Audiotrace comme un processus de diffusion de sources sonores disponibles sur Internet en temps réel et issu principalement de radios de polices, pompiers, signaux de fréquences, C.B. ou radars d'écoute spatiale. Les flux utilisés sont accessibles grâce à une communauté d'amateurs répartis dans le monde qui diffuse en direct sur Internet ces fréquences captées à l'aide de récepteurs de fréquences. L'accumulation de sources aux contenus improbables est rediffusée en direct sur différents serveurs de streaming géo-distants, créant une boucle entropique sonore utilisant le réseau comme chambre d'écho.

En 2008, le collectif français Art Of Failure (Nicolas Maigret et Nicolas Montgermont) réalisent une première version de leur installation Laps, fondée sur une visualisation de la détérioration progressive d'un son par son simple transfert répété sur le réseau. Le dispositif est simple, et consiste à relier une chaine de serveurs web qui transmettent un flux sonore. Le son parcourt ainsi, sous sa forme numérique, plusieurs kilomètres de réseau et à chaque passage/boucle, une représentation visuelle du fichier sonore fait apparaitre les détériorations issus des pertes liées au transfert même. Chaque erreur de transfert du signal crée un événement sonore et se répercute visuellement sur cette trame au défilement continu, qui n'est pas sans rappeler l'esthétique des estampes japonaises. Ici, c'est proprement le réseau qui fait office de caisse de résonance, et fait écho à son pendant analogique Silophone. Selon les artistes :

Nourri par les erreurs de transmission, le matériau sonore est remodelé par son trajet dans le réseau. Ce flux sonore diffusé au sein de l’installation se complexifient progressivement et cristallise à chaque instant l’activité d'une partie du web et témoigne de cette "vie" du réseau.  6

Ainsi, ces dispositifs, ces œuvres, nous montrent les qualités intrinsèques du son lorsque celui-ci se propage sur Internet. Il en ressort des altérations du matériau sonore aussi bien que du positionnement de l'artiste et de l'auditeur, une rugosité et une résistance du réseau, une esthétique du flux sonore, proprement numériques. Ces œuvres ne sont pas le résultat d'une recherche de perfection ni d'innovation technique, mais reposent sur l'expérimentation des qualités (et donc aussi des défauts) de ces contextes particuliers, techniques instables et en constante mutation.

 

1 Entre bruits et silences (essais sur l'art audio), de Bruno Guiganti. notamment le chapitre II "Ecoute naturelle et écoute médiatisée", p.7. Article publié sur Synesthésie et disponible en téléchargement : http://www.synesthesie.com/heterophonies/theories/pdf/guiganti-essais-art-audio.pdf, consulté le 4 avril 2010.

2 cette relation inter-individuelle dans le contexte technique est théorisée par Gilbert Simondon dans L'individuation psychique et collective, Editions Aubier, 1989 (le texte date de1964). Voir notamment "2. L'opération technique comme condition d'individuation. Invention et autonomie; communauté et relation transindividuelle technique." (Partie 2, Chapitre 2.)

3 ibid Entre bruits et silences (essais sur l'art audio) p.11

4 A noter, qu'en 2008, une hybridation des deux dispositifs, un « noplacard », local-distant, a réuni les deux initiatives, à l'occasion de l'événement Économie 0 à Paris.

6 Art of Failure, actuellement en résidence à « L’enclos du port », Lorient (Fr). dans le programme Géographies variables (france-Québec), travaillent à une nouvelle version de LAPS - http://incident.net/geo/, consulté le 4 avril 2010.

 

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