work 4


by Benoit Bordeleau

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Pour une cité sensible. La Sensity de Stanza.

Alors que plus de la moitié de la population globale vit en contexte urbain, la ville est désormais prise pour acquis. La plupart des habitants, engoncés dans leur routine, oublient de regarder autour d’eux, sauf quelques flâneurs en puissance s’amusant à trouver de l’insolite au fil de leurs parcours familiers.


Stanza nous offre avec Sensity, un projet en branle depuis 2004, de nous réapproprier l’espace urbain sensible en le remixant. Déployant un réseau de capteurs mesurant l’humidité, la luminosité, les vibrations, le taux de pollution et les bruits ambiants tout en étant reliés à un système GPS, l’artiste a collecté des données dans plusieurs villes du monde dont Londres, Paris, Copenhague, Sao Paulo pour ne nommer que celles-ci. Ces données sont alors synthétisées et mixées afin d’offrir une tout autre expérience d’un quartier ou d’une ville par le biais d’une visualisation sur le Web, d’une installation, d’une projection, etc. Le potentiel ne manque pas en ce qui concerne les différentes incarnations issues du même matériau de base.


On constatera que Stanza offre à voir et à entendre des visualisations générées grâce à des matériaux captés en temps réel. Au premier coup d’œil, ces portions de cartes tirées de Google Maps, dans lesquelles des pastilles grises symbolisent les différents capteurs utilisés. Autour de celles-ci se dessinent des cercles, des traits erratiques et ce, sur un fond « musical » cacophonique, qui ne ressemblent en rien à l’expérience que l’on fait de la ville au quotidien.


L’intérêt est moins porté sur les sensations d’un individu en particulier, mais invite l’internaute à effectuer une flânerie dans un univers entièrement constitué de données. Le chaos apparent se résorbe à force d’une écoute et d’une observation patiente, donc s’inscrivant dans la lenteur, en rupture avec la vitesse des flux de la ville. Une certaine structure musicale émerge de cette gibelotte de faits urbains et n’est pas sans rappeler la musique industrielle. Aussi, les effets visuels générés par l’œuvre subissent des changements traduisant différents atmosphères. D’un simple clic, sons et strates d’images peuvent être retirés de la visualisation en employant les boutons situés au bas de l’écran.


Pour apprécier cette œuvre, l’internaute doit prendre son temps et se dépêtrer de sa logique de lecture efficace. Sensity met en lumière le bouillon – l’éruption! – sonore auquel chaque passant est habitué et le tenant ainsi pour normal. Ce « mashup » audiovisuel nous pose devant le visage véritable de la ville d’aujourd’hui. Si l’architecture, par le biais de l’urbanisme, a permis de canaliser les déplacements des citadins, voire les domestiquer, dans les fragments urbains exploités par Stanza, l’environnement sonore reste quant à lui tout à fait sauvage. Sensity a le mérite de proposer une esthétique intéressante en accord avec une réflexion actuelle et essentielle sur le monde qui nous entoure. Si le résultat est déjà une réussite en lui-même, les réseaux de capteurs déployés par l’artiste restent tout de même de petite échelle, considérant les coûts du matériel impliqué. Bien plus que quelques morceaux de la nébuleuse urbaine, c’est le monde en entier que Stanza veut conquérir et mettre en musique.

Rappelons toutefois la figure du flâneur qui a été évoquée pour parler de la posture de l’internaute ou du spectateur. Il n’est pas ici question d’un regard appareillé par la marche, comme a pu le proposer Benjamin en parlant du flâneur baudelairien, mais plutôt appareillé par un réseau qui, à son tour, permet au spectateur d’exercer son regard et son écoute librement, y allant ensuite de sa propre critique. Cette dernière rend possible le recul du spectateur vis-à-vis ses perceptions habituelles, une réflexion sur ce qu’est devenue la ville aujourd’hui en forçant à mettre de l’ordre, rationnaliser le chaos audiovisuel présenté par l’artiste. Éventuellement, cette prise de conscience pourrait être vécue par tous grâce à la miniaturisation des capteurs (de la poussière intelligente espère Stanza), qui permettrait de rendre le matériau urbain sensible au même titre que les citadins. Le paysage urbain n’est plus simplement de verre, d’acier et de pierre. Il faut y ajouter les données qui, dorénavant visibles, permettent de consolider autrement la relation de l’être humain au labyrinthe de la ville.



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