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The Body of Michael Daines, 2000 (CANADA)

 

Quand vous a-t-on dit que c'était vraiment de l'art?


INTRODUCTION:
Michael Daines est un artiste âgé de 18 ans. Il vit à Calgary, Canada. Sa maîtrise précoce du code et son sens subtil de la satire lui ont gagné le respect du milieu de l'art. Son oeuvre la plus populaire, The Body of Michael Daines, a été l'une des premières mises aux enchères sur Ebay à faire le saut dans l'art conceptuel.

Il n'arrive pas souvent qu'un gamin originaire du Canada ait la chance de voir son travail dans les pages d'Artforum, même s'il est très talentueux. C'est la vision utopiste du Web à son meilleur, l'histoire classique toujours possible en théorie mais qui ne semble pas se produire assez souvent.
(Eryk Salvaggio)


ERYK SALVAGGIO : Tout d'abord, comment en êtes-vous venu à œuvrer sur Internet? Qu'est-ce qui vous attire dans le médium?


MICHAEL DAINES : La meilleure réponse est que je me suis juste retrouvé «dans» l'art web à un certain point. Il ne s'agissait pasd'une décision bien définie de ma part, ou n'importe quoi de pareil. Je pense que pour cela, j'aurais dû me considéré d'une façon ou d'une autre comme «artiste» à l'avance, et ce n'était certainement pas le cas. Je me sens toujours très inconfortable par rapport à l'appellation d' «artiste». Je suis également heureux qu'il n'y ait pas une prolifération accablante de programmes de «net.art» pour les adolescents. Si j'avais participé à quelque chose comme cela, je ne sais pas ce qui serait advenu de moi.


ES : Pourquoi ne pas vous appeler vous-même un artiste?


MD : Je pense que cela tient en fait à l'adolescence. Parce qu'il y a des gens au secondaire qui se considèrent eux-mêmes comme «artistiques», le genre de personnes qui prennent des cours d'art et font des choses comme des autoportraits psychologiques, cette sorte de chose. Le genre d'«art» que je ne considérerais pas vraiment comme de l'art, parce qu'il ne me dit rien à moi personnellement, qu'il est rempli de clichés, sans originalité, etc. Ce sont certes des généralisations. Mais parce que ce que j'ai fait n'est pas associé ou n'est pas le résultat direct d'aucune institution, j'estime qu'on pourrait voir cela comme moins légitime, certainement il n'y a aucune peinture sur toile dans The Body of Michael Daines.


ES : Nous faisons tous les deux partie d'une génération qui a eu connaissance du net.art assez tôt pour pour l'adopter comme le seul médium avec lequel travailler. Alors que d'autres sont venus de la photographie ou des arts visuels et ont appliqué cette esthétique au Web, une grande partie de votre travail utilise d'une manière très fraîche certaines des techniques classiques du net.art. Pensez-vous qu'appartenir à la «génération Internet» a influencé la conception que vous avez de votre travail?


MD : J'ai grandi avec des ordinateurs, j'ai littéralement grandi en les programmant. Quand j'étais assez jeune nous avions un Atari et un manuel pour le BASIC adapté pour les enfants. Mon père croyait que cela m'aiderait à penser de manière convenable plus tard, que cela serait bon pour mon développement intellectuel. Je pense que cela a eu un effet marquant sur mes conceptions et mes valeurs artistiques ou je ne sais quoi. J'aime parfois mentionner que j'ai déjà employé Lynx sur une plate-forme Unix avec un modem de 2400, je crois que cela me différencie de mes pairs.


Es : Quels sont à votre avis les inconvénients de ce médium?


MD : Il y a un inconvénient principal que je peux mentionner, à savoir qu'il est possible que la facilité apparente de la création mine d'une façon ou d'une autre la valeur de l'œuvre. Je sens que j'ai accompli quelque chose de tout à fait monumental si je crée quelque chose dont je suis fier dans le «monde réel». La facilité du net.art est quelque chose avec laquelle j'ai joué, cependant: «The Body of Michael Daines» a été créé en moins d'une demi-heure, et cette œuvre m'a valu une mention dans le magazine Artforum. Je me suis senti à la fois coupable et tout fier en feuilletant ma copie, regardant toutes les annonces pour des expositions de sculptures et de peintures à l'huile et des gravures d'Andy Warhol. Mais qu'en est-il des suites de l'enchère, qu'en est-il de la création du concept?


ES : Est-ce que cela n'est-il pas vrai de tous les médias cependant? Je veux dire, prenez Jackson Pollock.


MD : Mais le travail de Jackson Pollock n'est-il pas très complexe? Et est-ce qu'il n'incorpore pas, comme dans le dessin animé de Rocky et de Bullwinkle, des gésiers de poulet barbouillés sur la toile?


ES : Je ne suis pas trop sûr. Mais d'une manière ou d'une autre, les gens sont portés à dire «je pourrais faire cela».


MD : Je pense que j'ai tendance à croire que c'est trop facile, bien que je ne sache pas d'où cela me vient. Probablement d'un net.artist quelconque, quelque part. J'estime que ce que je fais est moins, disons, «héroïque» que quelque chose d'équivalent dans un autre médium, mais cela rend-il mon travail trop facile pour autant? Cela dépend de ce qui selon vous a de la valeur en art - l'exécution, la beauté formelle pure, ou la richesse métaphorique, le sous-texte, les concepts. Je pense que mon travail se base surtout sur ces derniers, même s'il est certainement possible dans ce médium de faire juste le contraire.


ES : Avez-vous une formation en art?


MD : En ce qui concerne une soi-disant éducation «artistique», je n'ai jamais suivi un cours d'art au secondaire. Je me suis orienté, dans l'ensemble, vers l'organisation plutôt que la visualisation. J'ai bien plus de talent pour la conception que pour le dessin. Les images qui apparaissent dans mon travail ne sont presque jamais dessinées ou créées directement avec une plume, elles sont empruntées à des images préexistantes (habituellement trouvées sur l'Internet, et volées, je l'admets) et modifiées, ou elles sont créées à l'aide de procédés normalisés et aléatoires développés par expérimentation. Je suis de la génération de l'échantillonage. C'est un genre de citation que l'on peut faire en secret.


ES : La tendance à l'organisation est probablement ce qui selon moi donne à votre travail une apparence de «net.art» aussi classique, c'est-à-dire davantage concerné par la présentation et l'organisation des données, en opposition au style typique de «l'art électronique» qui se concentre plutôt sur le formalisme et l'esthétique. L'organisation est vraiment la partie «net» du «net.art», ce qui n'est pas le cas selon moi pour les écoles plus nouvelles.


MD : Et le manque d'organisation. Puisque net.art se produit sur des sites Web et des réseaux, et ces réseaux sont organisés ou désorganisés ou dans un état entre les deux.


ES : Comment les gens ont-ils réagi à votre âge? Quand j'ai vu The Body of Michael Daines et plusieurs de vos autres œuvres, en particulier au niveau de la maîtrise du code - j'ai cru que vous seriez beaucoup plus âgé. Je vous ai imaginé en fait comme un alter ego de Mark Napier.


MD : C'est flatteur, bien que je n'ai que lu qu'un court texte au sujet de Shred the Web. On parle de moi comme d'un «gamin de dix-sept ans» et comme «d'un étudiant du secondaire», mais j'aimerais croire que mon âge n'est pas la raison principale pour laquelle j'obtiens l'attention que j'ai. J'utilisais déjà l'Internet à une époque où un bon nombre de gens n'en avait pas encore entendu parler, et donc je pense que j'en ai une vue un peu plus raffinée, ce qui est rare pour quelqu'un qui vient juste d'avoir dix-huit ans. Je suppose que, d'une certaine manière, je voudrais être reconnu comme «précoce» parce que c'est bien d'être décrit comme cela, mais je me demande à quel point cela est important par rapport aux œuvres.


ES : Vous feriez alors partie de ce qu'on pourrait appeler les «enfants gâtés» du net.art?


MD : Je pense que c'est une idée fort séduisante, surtout si cela veut dire pour moi porter un nouveau costume très chic, donner des conférences, et boire des martinis.


ES : Il y a également un élément littéraire évident dans beaucoup de vos œuvres.


MD : Mon travail est littéraire par nature parce que je pense que la littérature et le romantisme sont importants pour moi, et sont à la base de l'idée fondamentale de ce qu'est pour moi «l'art». J'ai eu connaissance des œuvres de net.art narratives et textuelles assez tôt. Il y avait quelques œuvres hypertextuelles, il y avait entropy8zuper, etc. Je ne crois pas que le format de la nouvelle traditionnelle fasse assez ma force pour soutenir un site entier. Je pense que le texte est très important pour l'Internet. Il est absolument partout sur l'Internet, et celui-ci n'existerait littéralement pas comme il le fait aujourd'hui sans lui. Bien que je ne crée pas de «textes» comme NN, l'écriture est très importante pour moi. Cloudless Nights ne comporte aucun texte, et je pense que si elle le faisait, l'œuvre ne fonctionnerait plus. Parfois nous ne devons rien dire du tout.


ES : NN est la Molly Ringwald du groupe des enfants gâtés du net.art.


MD : Qui est Molly Ringwald?


ES : Elle faisait partie du groupe des «enfants gâtés» (brat pack) de Hollywood dans les années 80.


MD : Je ne connais cette expression que dans son sens le plus général...


ES : Aucun problème. Une partie de l'attrait de votre travail est son romantisme, mais il y a en même temps un élément de satire. L'utilisation de la technologie de manière exagérée ou redondante. Dans An Excerpt From Hamlet vous employez le CSS pour transmettre une conversation entre les acteurs de manière assez brillante je dois le souligner, bien qu'assez redondante. On peut aussi mentionner It Is Now Safe to Turn Off Your Computer, qui exagère les fenêtres standard à l'écran pour le transformer en une sorte de cauchemar branché. Qu'essayez-vous de dire au sujet de la technologie?


MD : Je suppose que, d'une manière quelconque, ces œuvres et d'autres représentent la peur de l'élimination de tout sauf la «technologie» dans le monde, le futur parfaitement propre ou le futur noir et sale. It Is Now Safe To Turn Off Your Computer ne vous ferait jamais laisser votre ordinateur, excepté pour quelque chose comme deux heures par jour, et parfois je constate que cette exagération n'est pas aussi folle que je le voudrais. D'autre part, j'ai très souvent cherché à créer de la beauté dans ces espaces, alors je dois être optimiste et espérer que nous resterons tous en contrôle de notre beau chaos.


 

Eryk Salvaggio

 

N.B.: Cette entrevue a été publiée originairement dans Rhizome, en 2001.

 

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