Story Problem
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entrevue 2


Entrevue avec Erik Loyer (Story Problem)

Bio : Erik Loyer est un artiste en nouveaux médias. Ses talents multiples en tant qu'auteur, concepteur, animateur, compositeur et programmeur lui ont permis de réalisé des œuvres qui font montre de qualités tactiles fortes et d'une synergie unique. En utilisant le vocabulaire interactif dynamique des jeux d'ordinateur comme point de départ, Erik applique des techniques d'animation et d'interaction en temps réel à un contenu poétique que les utilisateurs sont invités à interpréter et à explorer.

Sa carrière professionnelle a commencé en 1993 comme rédacteur audio pour Voyager Company, le réalisateur pilote de CD-ROM et de disques laser. Un an plus tard, il s'est joint à plusieurs anciens employés de Voyager pour fonder Inscape, une compagnie innovatrice de réalisation de jeux sur CD-ROM, pour laquelle il a créé des interfaces et des jeux. En 1997, suite à l'exposition à Los Angeles de son CD-ROM expérimental, aug 6 1991, Erik s'est tourné vers l'Internet. Son site multimédia The Lair of the Marrow Monkey a gagné le New Media Invision Silver Award en1998 et a été inclus dans la collection permanente du San Francisco Museum of Modern Art. Le succès de ce projet lui a valu un Rockefeller Media Fellowship en1999 pour son œuvre la plus récente, un récit interactif épisodique en ligne intitulé Chroma. Chroma a été présenté au Taos Talking Pictures Festival en 2001 et au Electronic Language International Festival à Sao Paulo, au Brésil. Plus récemment, Erik a fait du design interactif pour l'agence de publicité internationale Wieden+Kennedy, et il a fondé la division d'architecture de l'information au bureau de Los Angeles de Razorfish, inc.

Site Web : www.marrowmonkey.com



Carlo Zanni - Dans votre œuvre Web Story Problem, l'utilisateur est invité à déterminer le procédé de chargement par ses mouvements de souris. Je vois ici un parallèle avec des acteurs, quand ils interprètent un texte écrit par d'autres. Y a-t-il une similitude ? Je veux dire, voyez-vous les utilisateurs comme des compilateurs ou des interprètes « physiques » du code de l'œuvre ?


Erik Loyer - Oui, dans Story Problem, j'ai véritablement essayé de susciter la sensibilité d'un interprète chez l'utilisateur. L'idée était de présenter une palette d'options expressives - son, volume, vitesse, rythme, etc - et de laisser à l'utilisateur le soin de se rendre compte, même seulement de manière inconsciente, qu'il avait la permission de jouer avec ces éléments. J'ai également voulu le rassurer en lui faisant comprendre que nous n'allions pas lui permettre « de faire une erreur », c'est-à-dire de jouer une note en disharmonie ou en dehors du rythme par rapport au modèle musical établi avec la ligne de basse. Juste comme dans une exécution plus traditionnelle, il y a un élément de liberté expressive en même temps que des contraintes imposées par l'environnement et le texte qui tous contribuent à lui donner une signification.

Une de mes anecdotes préférées au sujet de cette œuvre porte sur une ancienne version et comment celle-ci permettait à l'utilisateur de déclencher rhythmiquement les notes correctes toutes les fois que la souris était déplacée. Cette expérience s'est avérée être fort ennuyeuse, parce qu'il n'y avait aucun mystère dans le mécanisme de déclenchement. Elle a également eu pour résultat de massacrer le rythme merveilleux du poème de Terri. La solution a été d'imposer des pauses aux moments rhythmiquement significatifs dans le texte - aux moments des ponctuations, la plupart du temps, mais également à d'autres moments importants. Cette emphase sur des espaces « rhythmiquement négatifs », en plus de la légère frustration que l'utilisateur ressent en ne pouvant pas toujours déclencher une note quand il le veut, ont soudainement insufflé de la vie dans l'expérience entière. Il y a un bel effet, très fugitif, qui se produit quand vous essayez de déclencher une note, et que rien se produit, et qu'alors vous vous rendez compte qu'en « inhibant » cette note, les mots de Terri ont conféré à vos mouvements quelque chose de plus dramatique que si vous aviez été laissé à vous-même. C'est presque comme si elle vous donnait des leçons particulières dans la façon d'interpréter son travail.


C.Z. - Le texte de Story Problem a-t-il été écrit expressément dans le but d'être téléchargé par les utilisateurs, ou s'agit-il de quelque chose que vous avez « transcodé » pour l'occasion ? Et si oui, voyez-vous une différence structurale entre écrire pour le papier (ou l'écran) « classique » et ces utilisations alternatives ?


E.L. - Terri peut vous le dire avec plus de sûreté, mais je ne crois pas que le texte ait été écrit avec une interprétation interactive à l'esprit. Il y a certainement une différence formelle entre écrire d'une façon plus traditionnelle et écrire spécifiquement pour ce médium. Le contenu est si malléable et il y a tant de possibilités pour présenter les choses de manière dynamique que je pense que le travail de l'écriture au point de vue formel devient encore plus difficile que la normale quand vous essayez d'écrire directement pour des médias interactifs. Je pense que presque chaque texte que j'ai utilisé a d'abord été un poème ou un monologue linéaire, écrit de manière traditionnelle, parce que je fais très attention à ne pas me retrouver avec trop de variables dans la mise en œuvre d'une pièce en particulier. D'habitude, cela m'intéresse de pouvoir appliquer une dynamique interactive au récit, alors je veux que le récit demeure stable tandis que je joue avec les autres éléments de l'œuvre.


C.Z. - Pourquoi estimez-vous que le texte a besoin de l'interaction avec les utilisateurs, et de l'expérience du Web ? Croyez-vous qu'une telle interaction lui apporte quelque chose de plus, des significations nouvelles ou cachées peut-être, que peut-être l'encre et le papier ne peuvent pas vous apporter ? En d'autres termes, pourquoi l'encre est-elle perdante et l'écran gagnant (du moins dans ce cas) ?


E.L. - Eh bien, je ne crois pas que Story Problem avait besoin d'une interprétation interactive - c'était déjà une œuvre complète en elle-même. En fait, cela m'inquiète parfois de penser que tandis que j'ai le sentiment que nous avons créé une expérience interactive merveilleuse, j'espère en même temps que nous n'avons pas suscité aucune barrière qui empêcherait les gens d'apprécier simplement le texte de Terri. C'était vraiment une expérience - un texte peut-il être reconfiguré dans une performance interactive qui soit vraiment expressive ? Je pense que la réponse est oui, et si nous devions travailler encore ensemble, cela m'intéresserait de me concentrer davantage sur ce qui est exprimé, et sur la façon d'employer les techniques développées ici avec une plus grande nuance, une plus grande variété et fidélité eu égard à cette expression.

D'après moi, traditionnellement, les mécanismes de l'expression tendent à fonctionner principalement dans la tête des gens, en utilisant des réseaux d'association et de significations riches et multiples, et qui ont littéralement pris toute une vie pour se développer. Le défi des nouveaux médias est de saisir l'essence de certains de ces mécanismes, de les « remixer » suivant une perspective artistique particulière, et de les rendre explicites et dynamiques sous forme de code, dans environ un millième du temps. Ainsi pour moi, l'encre et le papier gagnerons toujours, parce que nous sommes toujours à courir derrière à essayer de transférer l'expressivité des médias analogues dans le monde numérique.


C.Z. - Est-ce que les différences en termes de temps de lecture entre le net et la littérature traditionnelle influencent votre processus d'écriture ?


E.L. - Oui, c'est-à-dire que j'écris généralement des textes plus courts pour l'arène interactive. Car il y a toujours une abondance d'idées avec lesquelles jouer dans tout court poème.


C.Z. - À quel point le feed-back de l'utilisateur est-il important pour vous ? Estimez-vous que l'interaction des gens ajoute une « valeur » à votre travail ?


E.L. - Je fais toujours bon accueil au feed-back car cela m'intéresse de savoir comment les gens réagissent à mon travail, mais je n'ai pas essayé de véritablement intégrer le feed-back des utilisateurs dans une œuvre. Je suppose que je suis un peu un maniaque du contrôle, et je trouve qu'il y a déjà un nombre énorme de variables avec lesquelles travailler dans n'importe quellle œuvre donnée, sans y introduire la possibilité pour les utilisateurs d'avoir un effet permanent ou semi-permanent là-dessus.


C.Z. - Quelle est votre position par rapport aux lieux majeurs de diffusion en art, je veux dire, les galeries privées, les musées, les biennales... ?


E.L. - Je n'ai aucun parti-pris particulier pour ou contre les grandes institutions artistiques - il est clair qu' il y a celles qui semblent avoir un vrai engagement envers le médium, et celles qui semblent s'être intéressées à l'art numérique parce que c'est la chose à faire de nos jours.


C.Z. - Pouvez-vous svp me parler un peu de vos deux œuvres narratives conçues pour le net, à savoir The Lair of the Marrow Monkey et Chroma ? Quelle a été leur genèse ? par exemple, disons que si vous deviez écrire une introduction pour ces œuvres du genre des quelques lignes que l'on trouve dans le prière d'insérer des livres, que pensez-vous que vous diriez... ?


E.L. - J'ai joint deux documents qui répondront à cette question - une description de The Lair of the Marrow Monkey que j'ai écrit en 1998 juste après la création du site, et un extrait de la proposition originale pour Chroma qui date de 1999.


The Lair of the Marrow Monkey

The Lair of the Marrow Monkey est une investigation interactive de la puissance séductrice de la technologie numérique. Le focus principal du site Web est un personnage du nom d'Orion17. Orion est un compositeur minimaliste qui est fasciné au point d'en développer une obsession par les modèles et la logique qui sous-tendent la réalité. « Je laisserais tout tomber en un moment si je pouvais être la moëlle, l'idée, le virus, l'entité dont le moi n'est pas corporel », explique-t-il. Quand une vision lui montre la manière de réaliser son rêve de l'union avec le monde de l'abstraction, Orion fait le saut et se joint à une petite équipe de chercheurs à l'Institute for Investigation into the Mind of Marrow. Là, il expérimente l'euphorisme et la frustration de la vie en tant que « marrow monkey ».

Ce projet s'est développé suite à la réalisation que les graves limitations de l'Internet pourraient en fait avoir un effet positif sur mon travail créateur dans le domaine des médias numériques en me forçant à adopter une approche fragmentée dans la conception d'une œuvre. La capacité de stockage et le (relatif) haut degré de capacité de transfert de données du CD-ROM m'avaient conduit dans le passé à concevoir des œuvres fortement centralisées et tentaculaires. Mon expérience en conception de jeu, cependant, m'avait rendu familier avec les dangers de ce type d'approche, le pire étant la tentation de clore les dispositifs et les éléments du design pour améliorer le processus de développement, ce qui entrave véritablement la créativité à la longue. Crééer une œuvre pour l'Internet a voulu dire pour moi que je pourrais expérimenter avec beaucoup d'approches différentes de manière beaucoup plus pratique.

Shockwave a été adoptée comme la seule technologie pour tout le site en raison de son développement et de sa puissance encore inexploitée. La plupart des applications de Shockwave sur le Web consistent encore de nos jours en des œuvres linéaires d'animation ou des jeux, et relativement peu de réalisateurs ont essayé de créer des œuvres véritablement dynamiques qui répondent de manière détaillée et signicative à l'input de l'utilisateur. C'était l'un des objectifs principaux du site : commencer à montrer comment une interface hautement dynamique et abstraite peut jouer un rôle significatif en communiquant un cadre et un récit aux utilisateurs. Les images réalistes ont été délibérément évitées afin d'essayer de dépouiller le langage de l'interactivité jusqu'à des niveaux archétypaux. La musique, d'autre part, est employée intensivement en contraste avec ce langage visuel minimal, et jouera un rôle de plus en plus important au niveau de l'interactivité à mesure que le site évoluera.

Le site se compose de neuf scènes, dont chacune fonctionne comme une aria dans un opéra, un « moment figé dans le temps » durant lequel la situation actuelle et les soucis d'un personnage peuvent être exposés en détail. Beaucoup de scènes exigent la participation active de la part de l'utilisateur pour la construction ou l'exploration de la signification qui y est exprimée. Les utilisateurs sont encouragés à se servir de l'interface pour que ces scènes puissent exprimer les relations entre les idées, les événements et les personnages du récit. La nature viscérale et dynamique des interactions aident à rendre ces relations tangibles et intéressantes pour les utilisateurs, en leur permettant d'éprouver eux-mêmes les hantises du personnage d'Orion17.


Chroma

Chroma est la deuxième partie d'une série de récits interactifs conçus pour le Web et intitulés The Lair of the Marrow Monkey. La première partie s'appelle The Lair of the Marrow Monkey, et a vu le jour en janvier 1998.

Au-delà du lien déjà mentionné avec le projet précédent The Lair of the Marrow Monkey, Chroma entretient beaucoup de liens avec mon travail antérieur : à savoir, un intérêt pour l'emploi des technologies numériques et pour explorer la fascination humaine envers l'abstraction ; l'exploration des implications des formes et du langage dans l'expérience humaine et comment l'interface numérique peut rendre cette explorations accessible ; et une conscience multiraciale qui cherche à définir de nouveaux discours sur la race et la culture au moyen des médias numériques.


Entrevue réalisée par Carlo Zanni




Lisez l'entrevue avec la co-auteure de Story Problem, Terri Ford, réalisée par Carlo Zanni dans ce numéro.

Lisez le commentaire de Story Problem par Anne-Marie Boisvert & Carlo Zanni dans ce numéro.

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