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œuvre 5
VOGELTERROR, de Markus Krämer (Pays-Bas), 2001
Voici un site au sujet d'un oiseau. C'est l'oiseau le plus mauvais de l'univers.
Il a l'air vraiment gentil, mais il a pour charmant passe-temps de tuer les gens. Il n'est même pas payé pour cela, aussi le fait-il simplement pour l'amusement. Il a eu une jeunesse difficile (sa mère était une pute et son père avait un problème de boisson), alors c'est bien sûr pour cela qu'il est devenu un type aussi méchant.
C'est ainsi que le spectateur est introduit au monde particulier de Vogelterror (vogel signifiant « oiseau »), un monde à la fois joyeux, coloré, et pourtant sanglant, un monde à la fois enfantin et ludique et bête et méchant, où la violence gratuite fait irruption à tout moment, dans une promenade au parc, sur une chaîne de montage à l'usine, dans l'espace parmi les extra-terrestres, dans un numéro de cirque… Provoquante pour le simple plaisir de provoquer, Vogelterror est une œuvre qui peut apparaître cependant comme étrangement libératrice.
Après avoir cliqué sur la page d'entrée, le visiteur se voit offrir de visionner cinq petits films en format Flash, un pour chaque jour de la semaine, du lundi au vendredi. Ces films possèdent une esthétique à mi-chemin entre le « cartoon » et le jeu vidéo : le dessin en est cru, les couleurs vives, l'action - et l'interaction - simpliste et brutale. Le sang gicle de partout, les jets de vomissures éclaboussent.
En bonus, le visiteur peut s'amuser à un jeu intitulé « Memory of Violence », inspiré d'un jeu de cartes bien connu, où il s'agit pour gagner de retourner les cartes par paires en s'efforçant de se rappeler leur emplacement; s'il réussit à appareiller les bonnes cartes, le visiteur pourra visionner au centre du jeu le mini-film (toujours plus ou moins violent) qu'elles illustrent - une voiture qui entre dans une grange et explose, un touriste qui se fait cuire et manger par un cannibale, un personnage qui voit tomber ses oreilles, son nez, ses yeux, sa bouche, remplacés par des trous sanglants, un autre personnage qui prend feu, un plongeur qui s'écrabouille sur le ciment, etc, etc.
Une œuvre, donc, primaire et grossière? Certes. Mais aussi bien évidemment ironique, comme le visiteur peut le sentir dès le petit texte d'introduction cité ci-dessus : l'oiseau n'étant pas « payé » pour ses actions, il s'agit donc bien de violence « gratuite »!… une violence gratuite proche de celle des théâtres de marionnettes pour enfants comme Guignol. La dimension réduite, sur l'écran de l'ordinateur, de ces films, renforce cette ressemblance : le Web est bien ici un petit théâtre de l'intime, une lanterne magique à fantasmes. En l'occurrence, Vogelterror présente - et permet - l'assouvissement de fantasmes sadiques enfantins classiques - démembrement, écrabouillement, dévoration, etc. C'est ainsi par son amoralité même - pas de méchants punis, pas de bons récompensés, tous et tout y passent - que cette œuvre se rapproche de celle d'un enfant (à l'opposé d'une œuvre pour enfants) - l'enfant, ce pervers polymorphe comme l'appelait Freud. Et n'est-ce pas là justement ce qui rend Vogelterror si étrangement inquiétante en même temps que jouissive?
Anne-Marie Boisvert
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