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œuvre 4
INSTANT MEMORY, de Patricia RYDZOK et Pedro VITORINO (France), 2004
TOUJOURS TU RELANCERAS LES DÉS
A chaque fois que tu lances les trois dés, tu obtiens une nouvelle combinaison. Est-elle la pire, tu peux en espérer une meilleure. Tu relances. Est-elle la meilleure, tu veux tenter de la retrouver. Tu relances.
Instant Memory, c'est ça.
Constituée d'une suite de variations image-texte-son autour de trois thématiques : guerre, clonage, pollution, l'œuvre tricote un mélange d'aléatoire et de dirigé. Au bout de trois scènes, la trace de la navigation apparaît sous forme d'un poème de trois vers, haï kaï, mémoire instantanée de ton parcours.
Si tu recommences un certain nombre de fois l'expérience, tu te rendras compte que les images sont construites de façon aléatoire, par superposition de plusieurs couches : par exemple, un champ peuplé de moutons sur fond de ciel bleu dans une scène A deviendra un champ de moutons dans une scène A', avec cette fois un ciel gris, plombé de nuages menaçants, et un robot aura envahi les alpages.
Sur ce fond mouvant, des choix sont proposés sous formes de mots à cliquer, des choix à tout dire engageants et lourds de conséquence : « biologique ou usine », « clonage ou embryon », « trash ou non », etc...
Tu te rendras compte qu'on progresse dans l'œuvre en cliquant sur des mots, tandis que les images, elles, gardent leur pouvoir d'interrogation. Ainsi serait respectée une certaine dichotomie entre d'un côté les mots qui signifient, qui ont un répondant dans un dictionnaire, et les images qui sont beaucoup plus insoumises, interprétables, voire incompréhensibles.
Mais ces mots qui te sont proposés, et qui sont tout sauf anodins, signifient-ils vraiment ce à quoi ils renvoient? Si tu perçois bien un rapport entre ce qui est montré dans les images, et ce que les mots disent, l'aléatoire de l'installation vient introduire une incertitude qui perturbe fortement la compréhension immédiate. Le haï kaï obtenu comme trace de la navigation, ne t'aidera pas toujours à clarifier la situation.
Dès lors, l'action de cliquer sur un mot pour orienter ton choix immédiat t'apparaîtra comme une planche savonneuse. Tu choisis ce mot plutôt que celui-ci selon quel critère? Qu'est-ce tu conclues du rapport entre le texte et l'image? Et la musique, là-dedans, souvent des rengaines satiesques, doucereuses, sur fond de pollution, de guerre, de mort, elle te dit quoi?
C'est dans cette remise en question des rôles traditionnels affectés à la lecture (qui rassure - moi la lecture me rassure, et même dans un pays étranger, le fait de lire des placards publicitaires, des panneaux de signalisation, des informations de tout genre, alors que la langue n'est pas comprise, me procure une forme d'apaisement, voilà je lis, des mots sont écrits, qui disent quelque chose, qui renvoient à un référent, un dictionnaire) et au visuel qui peut informer, certes, mais qui garde aussi sa capacité de désorientation, que se tient le côté intrigant de cette œuvre. L'aléatoire y tient pleinement son rôle, il nous dérange, nous désarçonne, nous menace parfois de perdre le fil.
La fausse allure induite par le chevauchement des rythmes binaires et ternaires - 2 mots proposés à chaque scène, mais il y a 3 scènes, 3 thématiques, et 3 vers pour le haï kaï final - finira de t'intriguer. A deux, tu choisis, à trois tu es perdu.
La limite de ton implication dans l'œuvre, c'est finalement ce haï kaï final, qui pourra parfois être riche, porteur de sens, et parfois totalement inepte, décevant. C'est la limite ultime de l'aléatoire, comme sa force : toujours subsiste l'espoir que le prochain lancer de dés sera le bon. Enfin, enfin, le sens jaillira. Le poème surgira.
Ta mémoire instantanée, un flash poétique.
Xavier Malbreil
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