œuvre 1


1.1.0.9. cause & effect,
d'Andrey VELIKANOV (Russie), 2002



Autre syllogisme : tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.

- Le Logicien, dans Rhinocéros d'Eugène Ionesco (1959)





Le matin du 11 septembre deux avions se sont écrasés sur le World Trade Center, un autre avion s'est écrasé sur le Pentagone, et un quatrième dans un domaine en Pennsylvanie. L'après-midi du même jour, CNN signalait qu'Oussama Ben Laden était impliqué dans les attaques. Le soir, enfin, CNN faisait état de grosses explosions à Kaboul, en Afghanistan. Bien que la station ait soigneusement évité de confirmer qui était responsable des explosions, comme spectateur assis devant ma télé, la cause et l'effet m'ont semblé clairs : Oussama Ben Laden a attaqué les États-Unis, Oussama Ben Laden est supposé habiter l'Afghanistan, donc les États-Unis ont attaqué l'Afghanistan.

Pourtant mon raisonnement apparemment logique m'a conduit en fait à une conclusion erronée : des officiels américains ont affirmé plus tard à CNN que les États-Unis n'ont joué aucun rôle dans l'incident, et CNN a expliqué par la suite que c'était l'Alliance du Nord qui avait fait sauter un dépôt d'armes des Talibans (une autre conséquence de la guerre civile en Afghanistan).

Dans 1.1.0.9., Andrey Velikanov présente différentes suites d'images animées choisies de manière aléatoire. Chaque image est visuellement reliée à la prochaine par des flèches, allant du mot « CAUSE » au mot « EFFET ». L'œuvre comporte approximativement une dizaine de séries différentes, et après environ cinq pages les images commencent à se répéter. Ces images sont empruntées aux nouvelles du 11 septembre, aux enregistrements d'Oussama Ben Laden, aux films d'horreur et de science-fiction de Hollywood, avec des images d'avions, de guerre, etc... Les images sont assez petites, et elles apparaissent et disparaissent tellement rapidement que souvent le spectateur ne peut en voir les détails mais seulement leurs effets, explosifs et convulsifs.

Dans le langage visuel de Velikanov mon erreur de raisonnement est illustrée par des séquences d'images multiples et variables. Ainsi, dans une des séquences, une image du vol 175 s'écrasant sur le World Trade Center est reliée à l'aide d'une flèche à une image de Ben Laden en train de parler, puis celle-ci, à son tour, à celle d'un policier (prise, je le suppose, à New York le 11 septembre, bien que ce ne soit pas clair), elle-même suivie par une image du Président Bush en train de faire un discours, puis par une image prise de nuit d'explosions de couleurs vertes présentée sur CNN. Cette version de ma séquence finit là, mais celle de l'artiste se poursuit, introduisant d'autres récits et d'autres histoires dans sa chronologie : l'image sur CNN est suivie par une image du film Independence Day où la Maison Blanche est détruite par des extraterrestres à l'aide d'un rayon laser, suivie par l'image d'un missile… vient ensuite l'image d'une starlette de Hollywood, puis celle d'hommes arabes brandissant leurs poings.

Velikanov fait voler en éclat la croyance qu'un événement en particulier, peu importe lequel, puisse en causer nécessairement un autre. La quête d'une vérité dans la chronologie des images se révèle absurde, et ce avant même que vous ne commenciez à y inclure des images de films : la présentation en est intentionnellement simpliste, et l'utilisateur se rend rapidement compte que les images, bientôt, se répètent. C'est par la simplicité de l'absurde que l'artiste met en lumière la complexité de la situation.

En même temps, la présence des images empruntées aux films ouvre la porte à la possibilité (sinon à la probabilité) que nos histoires affectent nos Histoires. Je pourrais ainsi me demander si le personnage joué par Will Smith dans Independence Day ne pourrait pas avoir inspiré certains membres de l'armée américaine, mais n'est-ce pas inutile même de se poser la question ? Car nous savions déjà que les Marines ont envahi Falluja en faisant jouer à fond la caisse la musique du film devenu classique de Francis Ford Coppola sur le Vietnam, Apocalypse Now.

Velikanov répond inexactement à certaines questions dans le but de jeter le doute et d'ainsi conduire à s'interroger sur la valeur des réponses conventionnelles à ces mêmes questions. Il nous aide ainsi à comprendre la complexité de questions comme : pourquoi les attaques du 11 septembre se sont-elles produites ? Comment le Président Bush a-t-il pu convaincre le public américain de soutenir une guerre contre l'Irak alors qu'il n'existait aucun rapport de cause à effet entre l'Irak et les attaques du 11 septembre ? Et enfin, quelle vision (quelle version) l'Histoire retiendra-t-elle de notre temps ?




Michael Mandiberg
(Traduit de l'anglais par Anne-Marie Boisvert)

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