œuvre 5


US Department of Art & Technology
de Randall M. PACKER (États-Unis), 2001



US Department of Art & Technology a été fondé par Randall M. Packer en 2001 quand il a créé un organisme gouvernemental virtuel pour examiner le rôle de l'artiste dans la société et la politique. Les membres du personnel du US DAT (une liste complète du personnel et des bureaux est disponible sur leur site Web) étudient et reproduisent les comportements observables du gouvernement. Ils utilisent des discours et des manifestes historiques et contemporains, l'esthétique particulière aux publications et aux fonctions gouvernementales, et la structure organisationnelle des institutions comme inspiration et comme matériel pour des communiqués de presse, des performances, des interventions, et des expositions.

Packer possède une formation en sociologie et en musique, et s'est installé à Washington, D.C en 2000 pour enseigner à l'American University (il enseigne aujourd'hui au Maryland Institute College of Art). Comme il le décrit lui-même : « US DAT est une forme de performance qui dissout la frontière entre les domaines virtuels et physiques comme les galeries, les sites Web, les communiqués de presse, les performances, etc. Son objectif est de toucher les gens de manière viscérale par le biais de la fantaisie et de la satire, et l'œuvre a effectivement réussi à amener un large auditoire à s'interroger sur des sujets complexes qui auraient pu autrement demeurer inaccessibles. » (cf. la liste de discussion d'Empyre, octobre, 2004). En tant que secrétaire du US DAT, Packer se sert dans ses communiqués de presse de discours officiels récents et de textes radicaux pour créer des scénarios fictifs qui ressemblent à s'y méprendre à la réalité. Packer a réussi à reproduire la langue impénétrable et exclusive employée dans les publicités des corporations et du gouvernement. Parmi les ramifications récentes du projet du US DAT on peut mentionner : Experimental Party DisInformation Center, une installation média immersive qui subvertit la propagande républicaine; le kit de déconstruction des médias (Media Deconstruction Kit), un système en temps réel qui titleère les transmissions télédiffusées; et Homeland Insecurity Advisory System.

Dans les mois qui ont précédé l'élection présidentielle de 2004 aux États-Unis, US DAT s'est montré particulièrement productif. Comme le raconte Packer, « Experimental Party DisInformation Center était installé à la galerie LUXE, en plein coeur du quartier des galeries dans la 57ème rue à New York, pendant la convention républicaine. . . . tant les étudiants que les activistes et les républicains, etc., ont visité la galerie. Autour de 5.000 personnes en deux semaines. Il y avait un groupe d'étudiants en sociologie venu de la New School . . . Le professeur a affirmé que l'exposition avait 'ouvert les yeux' de ses étudiants sur le climat politique actuel et sur l'utilisation de la propagande par les républicains. »

L'art politique a évolué rapidement à l'ère de l'information. Tandis que les murales, les bandes dessinées, les films, les graffitis, et les performances ad hoc ont tous été utilisés à des fins politiques, le début des années 90 a vu l'émergence de nouveaux modes d'art technologique et leur fusion avec le politique. Les artistes ont abandonné les modes de représentation traditionnels et ont choisi plutôt de s'insérer, eux et leur pratique, dans le discours public. Les « artistes tactiques », comme RTMark et le Critical Art Ensemble aux États-Unis, insistent pour coopter l'esthétique et les outils des institutions telles que les gouvernements nationaux et locaux, les sociétés multinationales, les laboratoires de recherche, et la presse. Ils infiltrent ces systèmes, jouant avec leur image et leur langage afin de remettre en cause et miner la position morale, politique, et légale adoptée par les entités publiques. Les artistes se sont montrés habiles à se servir de l'Internet pour augmenter leur visibilité, et à investir les grandes institutions, du moins à la surface.

Peut-être la superficialité est en soi un commentaire. Car comme le soutient Umberto Eco dans un essai de la collection Cinq questions de morale, les similitudes entre le fascisme et le capitalisme tardif apparaissent dans la promotion d'une esthétique sans appel, d'une vision d'unification puissante1. En tout cas, étant donné la gravité de la période politique actuelle, leur image soigneusement fabriquée semble plus sombre qu'absurde. Dans un sens, US DAT est un acte de rapatriement. Comme dans Fahrenheit 9-11 de Michael Moore, l'artiste cherche à se réapproprier le patriotisme et la liberté de parole. Mais le langage et les méthodes des artistes tactiques aliènent-ils un auditoire potentiellement plus large ? Est-il même possible de critiquer un système par l'appropriation, le subterfuge, et la satire, quand le système lui-même présente une image minutieusement construite ? Surtout quand le système offre une image d'humilité maladroite, qui vient contrebalancer la manière adroite et soignée dont il se sert de son image politique.

Parmi les artistes qui se sont intéressés de manière active au domaine public, il est intéressant de considérer la pratique psychogéographique des Situationnistes, dont les détournements avaient pour but de reconnecter l'art avec la vie. Par des mots d'ordre, des performances, et des proclamations, les Situationnistes ont cherché à changer la manière dont le public perçoit l'espace public. L'esprit des Situationnistes se retrouve de manière évidente dans l'art tactique, avec leur focus sur la manipulation de la perception publique. Ainsi l'artiste Ricardo Dominguez préconise-t-il la « porosité » ou la réponse réfléchie, comme ingrédient nécessaire dans les œuvres opérant dans l'espace critique entre les institutions publiques et le public. Digital Zapatismo est un projet que Dominguez a développé en 1998 avec le Critical Art Ensemble pour dénoncer la guerre au Chiapas (au Mexique). Il s'est servi pour ce faire principalement de FloodNet, le logiciel personnalisé développé pour organiser des sit-ins virtuels sur les serveurs des gouvernements mexicains et américains. Le projet a été inclus dans le Disturbance Developer Kit, lancé plus tard comme freeware. Ce kit a été inspiré par la réponse officielle et par le dialogue public au sujet des actions du Critical Art Ensemble, et par les demandes d'un certain nombre de groupes qui ont par la suite utilisé le logiciel pour organiser leurs propres sit-ins virtuels. Il a introduit un changement (momentané) dans les activités du collectif qui est passé du rôle de provocateur à celui de réalisateur de logiciel. Ici, l'action et le théâtre ont évolué en tant qu'outils distincts et complémentaires grâce à l'influence des participants, volontaires et non-volontaires.

L'art tactique est-il une manière de repenser la gouvernance et le public, ou est-ce une manière d'exploiter le discours public existant pour le plaisir de son auditoire et pour la poussée d'adrénaline qu'elle fournit ? L'art tactique est défini par son mode de fonctionnement et la nature de ses cibles autant que par ses buts particuliers. Peut-être que les infrastructures dominantes et omniprésentes associées aux grandes institutions peuvent seulement être contrecarrées par des gestes aussi manifestes qu'elles-mêmes. Ici le bluff est la clef. Bluffer permet de créer et de maintenir une fausse façade, et bluffer pose en principe l'information comme centre des actions tactiques. Dans son livre récent The Vatican to Vegas: The History of Special Effects, Norman Klein affirme : « il existe une poussée d'adrénaline collective dans l'agitprop. . . aussi longtemps que les joueurs comprennent la différence entre l'action et le théâtre. »2





Notes
1 : Voir Five Moral Pieces, 1997, par Umberto Eco. (Traduction : Harcourt books, 2001). Les exemples mentionnés par Eco sont : la négligence des faibles (les enfants, les vieillards et les malades); la prévalence des "sound bites" (au contraire du reportage en profondeur et de l'analyse) dans la presse populaire; l'emphase sur les images comme arbitres du comportement, la fascination pour les nouvelles technologies, la mobilisation militaire massive. (En français : Eco, Umberto, Cinq questions de morale, Paris: Grasset, 2000.)  

2 : Norman Klein (2004) The Vatican to Vegas. The History of Special Effects, New Press, 2004, 320 pages.  




Naomi Spellman
(Traduit de l'anglais par Anne-Marie Boisvert)

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