dossier
L'ART MUTAGÈNE
Notre écosphère est-elle en voie d'être transformée par des organismes génétiquement modifiés créés pour augmenter les marges de profit de l'industrie sans que l'on en surveille et évalue les risques ? Si la technologie permettant de modeler le génome de nouveaux modèles humains devient réalité, quel rôle jouera, s'il y a lieu, notre imagination sur notre progéniture ? Que savons-nous des sensations éprouvées par les animaux et de la conscience chez les non-humains ? Jusqu'à quel point les artistes tiennent-ils compte de ces facteurs lorsqu'ils tentent de s'exprimer par la création de collages vivants ? À mesure que notre maîtrise de la biologie moderne donne naissance à de nouveaux procédés technologiques, quel pouvoir de décision, déclaré ou non, la créativité exercera-t-elle sur le choix des éléments qui seront implantés dans ces nouveaux organismes ? Telles sont les principales questions qui se posent aujourd'hui alors qu'Art et Biologie se rencontrent.
Dans les lignes qui suivent, nous tâcherons de décrire de quelle façon et pour quelles raisons certains protocoles biotechnologiques ont fait l'objet de recherches de la part d'artistes et comment ces derniers les ont utilisés et appliqués à des fins artistiques. Nous nous pencherons sur certaines productions culturelles et esthétiques nées du travail en laboratoire scientifique d'artistes spécialisés en recherche et technologie biologiques. Il s'agit d'un sujet difficile pour plusieurs raisons. La technologie elle-même est complexe et son apprentissage ardu. Bien qu'on l'avoue difficilement, plusieurs questions concernant la vie demeurent à ce jour sans réponse et le demeureront peut-être toujours. Les artistes regroupés sous le vocable Art Bio ne constituent pas un groupe homogène doté d'un manifeste et d'un programme commun; au contraire, il existe de profondes divisions éthiques, philosophiques et politiques qui les empêchent d'atteindre un consensus.
Toutefois, je ne crois pas outrepasser mes limites en disant que ces artistes partagent un certain nombre d'orientations communes :
- ils nous rappellent la complexité toujours présente de la vie, de la mort et du changement autour de nous;
- ils donnent aux amateurs la possibilité de s'exprimer intelligemment sur des questions scientifiques sans se vouloir pour autant des gens de science;
- ils montent des expériences de laboratoire ou des expositions destinées à éradiquer les craintes qu'engendre la complexité tout en maximisant les débats sur les applications intelligentes de la technologie;
- ils présentent des travaux qui remettent en question certaines idées préconçues concernant les relations entre la culture humaine, les autres êtres vivants et leur environnement.
Le présent article se concentrera donc sur la biologie développementale et l'art. Le terme générique ArtVivo pourra nous aider à faire le tri dans les diverses questions esthétiques et sociales qui en découlent lorsque nous étudions le phénomène de la vie dans l'art. J'appelle simplement ArtVivo, toute production artistique qui comporte un élément vivant lors de sa présentation.
L'ART DE LA BIOLOGIE DÉVELOPPEMENTALE MUTAGÈNE
La biologie développementale porte sur l'étude du développement embryonnaire. Tout organisme se développe suivant un processus appelé morphogénèse, allant du stade embryonnaire à son plein épanouissement. L'étude de ce processus nous aide à comprendre l'évolution, les maladies héréditaires, la toxicologie environnementale et les merveilles que sont les formes vivantes. Ce parcours peut toutefois être modifié par l'utilisation de diverses technologies. En « accélérant » le processus de maturation il est quelques fois possible d'apporter certains éléments de réponse aux questions qui se posent sur l'origine et le développement de la vie.
Les artistes qui travaillent dans le domaine de la biologie développementale mutagène peuvent se ranger en trois catégories : les artistes de la manipulation physique, les artistes tératologistes et les artistes transgénistes.
L'art transgénique n'est qu'une ramification de l'art tératologiste, lequel est lui-même une branche de l'art de la manipulation physique comme nous le verrons.
L'ART DE LA MANIPULATION PHYSIQUE DES EMBRYONS
Dès le début de l'embryologie, des manipulations ou déformations spectaculaires furent réalisées sur des embryons de grenouilles Xenopus en maturation.
Quelques artistes continuent à pratiquer des manipulations physiques sur des organismes en croissance, des embryons ou des organismes en transformation. Je surnommerais ce genre de manipulations physiques tous azimuts Art BioDev. Les artistes qui travaillent sur l'embryologie brute le font pour des raisons aussi diverses qu'il y a d'artistes dans ce secteur. Quatre artistes retiendront notre attention : George Gessert, Marta Menezes, Brandon Ballengée et Adam Zaretsky.
Le choix de George Gessert, s'est porté sur les plantes produisant des fleurs.
Son art se fait à partir du savoir-faire et de la technique de la pollinisation artificielle. Le contrôle de la fertilisation se réduit ici à déterminer quelles seront les fleurs qui se féconderont mutuellement. Bien qu'il ne s'agisse pas ici de manipulation sur un embryon, on peut parler de manipulation physique du processus générationnel. Certaines méthodes exigent de couper l'étamine (pénis d'une fleur) ou d'en recouvrir le pistil (utérus) jusqu'au moment où l'artiste est prêt à procéder à ses mariages botaniques. Parmi les projets de George Gessert, mentionnons ses essais d'hybridation de fleurs pour leur enlever leur aspect kitsch ou commercial ou encore ses tentatives de démocratiser les décisions esthétiques en offrant au public un choix en matière de stratégies pollinisatrices. Son travail se veut une critique de la monoculture et comporte un index bien illustré de lignées non commerciales. D'un certain point de vue, il s'agit là d'art transgénique : les fleurs de George Gessert sont multi générationnelles; les mutations sont à la fois visibles et invisibles, se font à l'aveuglette et de façon imprévisible. Mais puisqu'il s'agit d'hybrides au sein de mêmes espèces, nous les rangerons sous cette rubrique.
Marta de Menezes a aussi travaillé avec des manipulations physiques du type Art BioDev dans un projet intitulé Nature ?.
Le choix de Marta s'est posé sur les papillons, non pas sur les embryons de papillons, mais sur les larves au moment où elles se transforment en chrysalides. Ses outils consistent en aiguilles microchirurgicales, en aiguilles pour cautérisation et en instruments pour micro greffes. Durant la métamorphose de la chrysalide, les ailes commencent à se former. En micro-manipulant l'imagerie latente des ailes, on peut faire apparaître de nouveaux motifs. Certains effets de ces changements sont non intuitifs et résulteront en de nouvelles couleurs ou des dessins différents alors que quelques fois de nouveaux « yeux » apparaîtront sur les ailes. Les blessures infligées sont petites et guérissent apparemment sans heurts, les disques précurseurs des ailes n'ayant pas de nerfs et les papillons semblant par la suite mener une vie normale. Les ressources tant régénératives qu'alternatives disponibles à un organisme en voie de profonde mutation semblent inclure un fonds surprenant d'élasticité et de malléabilité.
En produisant ces papillons « seconde nature », Marta poursuit deux objectifs. Le premier, essentiellement artistique, voit dans ces papillons une peinture vivante, une forme d'art vivante. Ces organismes sont des créations artistiques et non le produit d'une évolution laissée au hasard. En même temps, elle s'engage profondément avec d'autres scientifiques dans la poursuite de ses travaux. Son esprit de collaboration et ses espoirs pour l'avancement de l'art et de la science doivent être pris au sérieux. Les protocoles qu'elle utilise sont les mêmes que ceux de plusieurs laboratoires d'insectes BioDev à travers le monde. Ses expériences avec des formes de couleurs obtenues par scarification pourraient éclairer divers aspects du processus évolutif. En d'autres termes, Nature ? et des œuvres comme Nature ? ont un potentiel utilitaire, générateur de données factuelles. De la recherche utile en même temps qu'une forme d'art controversée ?
Nous pouvons en trouver à la fois l'antithèse et la synthèse dans l'art par manipulation physique des embryons en examinant le projet de Brandon Ballengée, Malformed Amphibian Project.
Ballengée s'intéresse à plusieurs formes d'organismes, mais sa concentration sur les grenouilles lui vaut à juste titre le surnom d'homme-grenouille.
J'ai été particulièrement intéressé par l'esthétique, l'éthique et le raisonnement sous-jacent à la collaboration entreprise tôt sur la Toile entre lui et un certain docteur Stanley Sessions.
Ballengée et Sessions se livrèrent à une manipulation expérimentale et mécanique touchant l'apparition des membres chez des amphibiens dans le cadre d'Ecovention, une exposition interventionniste sur l'écologie en 2002.
Le maniement des moignons de membres à l'aide d'un instrument résulta en membres supplémentaires.
Ces expérimentations sont expliquées en détail dans ses réalisations artistiques et curiosités scientifiques, à la source de l'augmentation récente des cas de malformations dans les populations de grenouilles d'Amérique du Nord.
En parlant de ces travaux, il est nécessaire de souligner l'engagement de Ballengée dans la sensibilisation du public à l'environnement et aux dangers qui menacent la préservation de la faune.
Son implication dans les travaux biologiques sur le terrain du Centre de surveillance des malformations chez les amphibiens d'Amérique du Nord (North American Reporting Center for Amphibian Malformations (NARCAM)) ainsi que ses travaux de nature plus festive (voir Love Hotel) témoignent de sa philosophie en matière de biodiversité.
Je crois discerner un message encore plus profond, mais non moins cynique, dans ses commentaires en direct sur la Toile concernant la création exaspérante de grenouilles anormales dotées de plusieurs pattes :
« Il existe une information substantielle mais encore mal connue concernant la régénération chez les amphibiens. Bon nombre des malformations découvertes dans la nature sont le fruit de lésions causées par des infections parasitaires. L'intention derrière ces expériences n'est pas de choquer ou de dégoûter le spectateur, mais plutôt, souhaitons-le, d'informer celui-ci sur la complexité du processus de croissance chez les autres organismes vivants. En même temps, elles espèrent cerner le genre d'expériences nécessaires pour comprendre ce qui se passe dans l'environnement autour de nous ».
Brandon Ballengée
En ce qui a trait aux motivations profondes de tout artiste impliqué dans les manipulations physiques de l'Art BioDev, le mieux est probablement de s'examiner avec soin dans un miroir. Permettez-moi d'exposer les motifs qui m'ont poussé à travailler dans le monde de l'Art par manipulation physique de l'embryologie en expliquant mon projet bâclé intitulé Premiers essais de transplantation embryonnaire par chirurgie. Mon idée était de couper la tête d'un embryon de dard-perche et de transplanter (coller) cette tête sur un autre embryon « complet » de même type. Réalisée correctement, l'expérience aurait permis la création d'un nouveau type, genre mosaïque brute de dard-perche à deux têtes, charnu et à la mode. J'utilisai des instruments microchirurgicaux artisanaux faits de verre et un microscope pour décapiter un embryon. La tête, privée du corps mais toujours vivante fut ensuite appliquée sur un embryon complet, mais la greffe ne parvint pas à tenir. Après quelques vains essais, je décidai qu'il s'agissait d'un manque de chance, de patience ou d'habileté de ma part. Ce n'est que plus tard que j'appris que des micro- aiguilles sont souvent utilisées pour réaliser ce genre de collage embryonnaire.
En ce qui concerne mes motifs, j'admettrai qu'un simple sadisme de carnaval me poussait à ce sectionnement embryonnaire, avide que j'étais de connaissances et de gains.
Ce besoin de toucher à tout, de forcer l'évolution et de façonner la morphologie constitue un pont entre les Arts et les Sciences.
Mais, et je le dirai une fois pour toutes, de manière claire et concise : Il s'agit d'un jeu cruel.
L'Art BioDev par manipulation physique comme formule pour parvenir à la connaissance et à façonner le développement est non intuitif, intrigant, curieux et attachant, mais il n'y a aucun doute qu'il est aussi envahissant, violent, chirurgical et souvent gratuit.
L'ART TÉRATOLOGIQUE
Une branche des techniques utilisées pour modifier l'architecture des formes vivantes en croissance est l'application de tératogènes. Ceux-ci comprennent les produits chimiques, virus ou radiations qui peuvent causer des malformations dans un organisme vivant en croissance. La tératologie est en réalité la science des monstres. Encore une fois, les artistes sont venus tard sur la scène. L'histoire de la tératologie offre un champ de recherche à la fois terrible et fascinant. Nous avons déjà des connaissances solides et bien documentées sur un grand nombre d'aberrations dans la forme et la fonction d'embryons en croissance sous l'effet de divers facteurs tératogènes. En utilisant des produits chimiques, des virus ou d'autres agents mutagènes comme des rayons ultraviolets, des rayons X ou des rayons Gamma, sur des embryons, l'artiste peut modifier le parcours normal du développement d'un organisme vivant. Les effets sont souvent aléatoires et résultent en une vie de souffrance lorsqu'ils ne sont pas simplement létaux. Il arrive qu'un trait des plus étranges puisse se matérialiser par pur hasard. Si ces agents tératologiques atteignent les cellules germinales (ovaires ou sperme) des organismes sujets de cet art expérimental, la progéniture de celui-ci en sera affectée. Il peut en résulter une altération permanente et transmissible pour cet organisme. Conservons toutefois cette analyse des effets et des jouissances artistiques de la modification de la lignée germinale pour la section traitant de l'art transgénique, la sous-composante multigénérationnelle de l'art tératologique.
Le créateur moderne de cet art tératologique mutagène et intellectuel est Edward Steichen.
Il trempa ses pieds-d'alouette dans un bain chimique de colchicine.
Selon la rumeur, il prenait de la colchicine pour soulager ses attaques de goutte.
La propension de la colchicine à dédoubler les chromosomes in vivo est bien connue.
La colchicine est également un élément carcinogène.
Quoi qu'il en soit, Steichen présenta sa moisson de pieds-d'alouette mutants au Museum of Modern Art en 1936.
Edward Steichen produisit les pieds-d'alouette les plus fournis, les plus beaux et les plus génétiquement modifiés que l'on a jamais pu voir.
Mais il ne montra jamais ceux qu'il ne réussit pas au MOMA.
Car il y eut certainement des spécimens hideux, rachitiques, fébriles et tourmentés de ces pieds-d'alouette tératologiques à la colchicine.
Ceux-ci auraient ainsi pu faire l'objet d'une grande rétrospective alternative.
Par contraste, Genesis d'Eduardo Kac, un interface en ligne d'art en direct, permettait aux spectateurs d'observer des bactéries transgéniques avec insertion du gène Genesis (voir plus bas sous art transgénique) et offrait au public en ligne la possibilité de muter volontairement ces bactéries au moyen d'un interface interactif activant une lumière ultraviolette. Tout comme les appareils à UV des salons de bronzage (ou la version plus organique, le soleil) peuvent causer le cancer de la peau, les dispositifs ultraviolets peuvent provoquer des mutations dans les génomes bactériens. La lumière ultraviolette est connue pour ses propriétés tératogènes et peut être létale à une certaine intensité et après un certain temps d'exposition. Eduardo Kac pouvait à l'aide de ce dispositif UV en ligne conduire une sorte d'expérience de Milgram interactive quoiqu'impersonnelle.
On doit classer dans cette même catégorie de démence tératologique la méthode dite de mutagénèse organique que j'ai utilisée dans le cadre de la performance ArtBio intitulée pFERMe. Depuis la nuit des temps, la profession d'éleveur s'est servie de diverses sortes de tératogènes pour accélérer la croissance de nouvelles espèces. En collaboration, les pFERMiers (fétichistes organiques et biotechs) participants utilisèrent des filtres de Gelman pour produire des solutions stériles d'aliments et de médecines potentiellement mutagènes (par exemple, ginseng, spilanthus, huile de primevère, diurétiques pour enfants à base d'herbes). On injecta alors en public ces solutions dans des pochettes contenant des embryons de poulet en croissance. Expérimentaux, organiques et fertiles, ces embryons de poulets mutants furent alors vendus pour un dollar pièce dans un marché public de Woodstock, NY (É.U.A.). Ces spécimens étaient injectés par les artistes eux-mêmes, mais sur commande du client. Il y a de bonnes chances pour que le résultat ait été dans la plupart des cas létal ou ineffectif. Toutefois, aucun suivi ne fut assuré.
Bien que la diversité existant sur notre planète soit en bonne partie le résultat de mutations aveugles, très peu d'artistes se sont résolus à utiliser les tératogènes comme instrument de travail organismique. Jusqu'à maintenant, l'utilisation artistique de tératogènes radioactifs, photoniques et chimiques s'est limitée à la création d'œuvres d'art mutagènes vivantes chez des bactéries, des fleurs et des poulets. Il est important ici de noter que la trajectoire des artistes semble se diriger vers une sorte d'approche fougueuse, macho et casse-cou, prête à traverser la « frontière de fourrure ». On appelle ainsi cette sorte de complexe culturel compliqué qui prend sa source dans cette sympathie naturelle que les gens éprouvent à l'endroit de tout animal au sang chaud, mignon, doté de grands yeux, de traits symétriques et couvert de duvet ou de fourrure. Les résultats aléatoires des arts tératogènes sont trop souvent douloureux, voir létaux, pour qu'on les applique lorsque l'art se sert d'animaux offrant certains caractères humains. Plusieurs échecs peuvent fournir prétexte à des appels raisonnables et pressants en faveur d'une euthanasie pour motif humanitaire. Mais, s'il vous importe peu de ne rencontrer le succès qu'après des vagues massives d'anéantissement, si vous vous souciez à peine de voir votre nom cité après des néologismes comme « artiste mort-né », alors le secteur de l'Art tératologique mutagène vous ouvre toutes grandes ses portes.
L'ART TRANSGÉNIQUE
S'il vous importe que l'Art BioDev devienne plus précis, plus doux, plus ciblé et génétiquement plus stable, une clause génétique devrait être ajoutée aux protocoles et méthodes de l'art transgénique. Depuis les années 1970, la biologie moléculaire moderne a trouvé des moyens de plus en plus nombreux pour diriger les mutations à l'aide d'un processus appelé transfection ou infection transgénique. La transgénèse est une autre forme d'art par manipulation physique. Bien qu'elle semble s'effectuer sans effusion de sang, elle n'en reste pas moins invasive puisque son processus est en lui-même chirurgical et tératogène. Mais c'est aussi une spécialisation élégante qui soulève de nouvelles questions. Comme pour les autres arts biotechs, la technologie utilisée requiert d'abord que l'on définisse certains termes.
QU'EST-CE QU'UN ORGANISME TRANSGÉNIQUE ?
Les organismes transgéniques sont différents des organismes à l'état sauvage.
On appelle organismes transgéniques des organismes dans le génome desquels ont été introduits des éléments d'ADN étranger.
Ceci signifie qu'un ou plusieurs gènes d'un organisme différent (animal, bactérie, plante, mycose ou virus) a été ajouté par quelqu'astuce de la biologie moléculaire moderne dans le noyau de chaque cellule de l'organisme. Les organismes transgéniques vivent donc avec des molécules à expression non spontanée dans leur corps, leur esprit (s'ils sont doués d'esprit) et le matériel génétique qu'ils transféreront à leurs enfants. Quelques fois appelés hybrides, cyborgs ou chimères, les organismes transgéniques sont des organismes où se combinent l'ADN de diverses espèces, un collage ciblé de deux ou de plusieurs organismes. On doit surtout retenir que ces modifications sont permanentes et héréditaires, ce qui signifie que l'on retrouvera les mêmes caractéristiques différentes chez leurs enfants et leurs petits-enfants.
POURQUOI LES NON ARTISTES PRODUISENT-ILS DES ORGANISMES TRANSGÉNIQUES ?
Les organismes manipulés génétiquement peuvent s'avérer utiles dans le décodage de certains processus physiologiques et la guérison de métabolismes déficients. Il arrive que la santé chez les non humains ne soit pas le miroir fidèle de la santé chez les humains. C'est pourquoi on fait appel à des humains atteints de certaines maladies pour se porter volontaires en vue de diverses expériences. Les humains ressemblent par certains aspects à tous les autres organismes vivants, mais si nous arrivons à créer des organismes offrant des caractéristiques similaires aux nôtres, nous augmenterons le degré de prévisibilité. C'est pourquoi, au nom du progrès et pour accélérer la recherche de médicaments, certains biologistes moléculaires dans le domaine médical créent des hybrides ressemblant aux humains pour servir de modèles dans le cas de certaines maladies.
Tant en agriculture qu'en reproduction animale, les spécialistes ont d'autres intérêts que la santé humaine.
Certains veulent augmenter leur profit grâce à une production plus élevée, d'autres espèrent obtenir des organismes plus résistants afin d'enrayer toute possibilité de perte sèche.
Certains producteurs d'animaux de compagnie vont jusqu'à utiliser les techniques transgéniques pour créer des différences esthétiques qui donnent nouveauté, séduction, élégance ou étrangeté aux organismes de ces animaux.
Enfin, divers animaux sont utilisés comme usines pour la production de métabolites rares. Ces éléments sont difficiles à produire en laboratoire, mais peuvent être générés en grande quantité par ces animaux, si bien que la compagnie propriétaire peut vivre aux dépens de ces corps transgéniques singuliers et de leurs fluides. De tels animaux sont traités comme des appareils ou des unités de production et ne sont gardés en vie qu'à titre d'usines vivantes.
C'est toutefois sur les applications médicales de ces technologies que l'on se fonde généralement pour en établir la justification.
Même si la recherche du profit dicte la science médicale à travers le monde, il reste un fond de respect mêlé de crainte pour les médecins et scientifiques qui consacrent leur vie et les ressources énigmatiques de leur cerveau à faire progresser la lutte contre la maladie. Loin d'être une panacée, la science médicale contemporaine n'en a pas moins aidé beaucoup de gens à vivre mieux et plus longtemps. Toutefois, on ne peut nier l'utilisation que l'on peut faire des nouvelles techniques transgéniques pour produire à seules fins commerciales, ce que certains appelleraient des unités de production destinées à manufacturer des protéines pour le marché mondial.
Je sens déjà quelques lecteurs grincer des dents.
La mutaphobie est une propension qui peut s'avérer ou bien sage, ou bien xénophobe.
Une des questions les plus litigieuses concernant l'application des modifications génétiques est de savoir qui décidera des niveaux de sécurité auxquels doit être soumise cette technologie potentiellement dangereuse qui peut vivre en toute liberté et se multiplier à l'infini. Lorsque les scientifiques élaborèrent la technologie de l'épissage des gènes, ils discutèrent des mêmes problèmes lors d'une rencontre appelée Asilomar. Réalisant ce que signifiait le pouvoir de couper et de recoller les gènes, ces mêmes scientifiques décrétèrent un moratoire, discutèrent des niveaux de danger, firent une étude des risques et définirent un seuil d'endiguement. Mais les scientifiques ne décident pas des politiques devant être appliquées à toute une technologie. Souvent, ils ne peuvent en arriver qu'à définir comment ils doivent se comporter dans leur laboratoire. C'est cette liberté académique, ce respect pour la recherche que l'on échange maintenant contre des technologies neutres et dénuées d'éthique qui sont ensuite échangées contre argent comptant hors des laboratoires.1
POURQUOI LES ARTISTES PRODUISENT-ILS DES ORGANISMES TRANSGÉNIQUES ?
Quelles raisons invoquent les artistes pour pratiquer cette méthode de collage transgénique qui les amène à réaménager la vie et à tailler dans les chairs ? Considérons quelques artistes qui ont exposé des organismes vivants soumis au préalable à une variété de modifications génétiques par insertion. Grâce à ces exemples, nous pourrons percevoir intuitivement certaines intentions de ces artistes transgéniques et les effets qu'ils ont sur la perception que se fait le public de ces technologies, sur les organismes vivants qui ont été affectés par ce processus ainsi que sur la perception qu'ont ces mêmes artistes de leur intégrité artistique (s'il ne s'agit pas d'un oxymoron). Examinons donc quelques œuvres d'art transgénique du Critical Art Ensemble, de Kathy High, de Joe Davis et d'Eduardo Kac pour nous faire une idée sur cette question épineuse. Tous les quatre ont transformé certains organismes transgéniques spécifiques en œuvres d'art vivantes. Tout les quatre ont, qu'ils l'aient cherché ou non, ouvert un débat public sur les questions soulevées par leur réaménagement technologique de la vie, questions qui sont étroitement liées à ces concepts où le physique chevauche le social : gène, changement orienté, hasard, danger, conscience non humaine, douleur, mort, ego, nouvelles formes de vie en laboratoire, nouveau modèle de vie extérieur, résultats imprévisibles et à long terme sur l'environnement et sécurité. J'ouvre ainsi une boîte de pandore dont il sera impossible de discuter tous les aspects. Puisque nous ne pourrons examiner chaque question en détail, contentons-nous donc d'effleurer le sujet.
LE CANEVAS DES œuvreS D'ART TRANSGÉNIQUES
Joe Davis a créé deux souches principales de bactéries transgéniques sur la base de concepts artistiques.
The Riddle of Life et Microvenus sont tous deux parmi les premiers organismes dont la mutation est due à la main d'un artiste utilisant les protocoles de la biologie moléculaire moderne. Il faut remarquer à l'honneur de Joe que ces micro-organismes ne furent pas créés sur commande, mais que leur nouvelle séquence génétique fut plutôt conçue et insérée de façon permanente dans le génome d'une bactérie E.Coli par l'artiste avec l'aide de collaborateurs scientifiques volontaires. Je souligne l'utilisation de la main de l'artiste dans le processus menant à la création ArtBio parce que l'on observe certains efforts parmi les artistes travaillant en laboratoire pour être aussi impliqués que possible sur le plan technologique dans la production de leurs entités mutantes. Modifier la chaîne héréditaire par pur plaisir est un acte des plus égoïstes qui reflète un état d'esprit particulièrement déviant sur le plan éthique. Que ce soit sous forme de vie empruntée, de variétés faites-sur-commande ou sur catalogue, ces productions de l'art transgénique sont toutes susceptibles de porter la marque d'un détachement éthique ou d'ignorance technologique.
Les lignées bactériennes de Joe Davis comportent des messages secrets dissimulés.
Les bactéries Microvenus ont une séquence qui représente la transcription d'une ancienne rune celtique en mode point d'ordinateur (0/1) qui est ensuite encrypté dans une séquence d'ADN.
The Riddle of Life (une allusion au sphinx mythique), est une séquence basée sur l'alphabet anglais personnel de Joe en relation au code d'ADN.
Ces genres de langage chiffré vers l'ADN ou de graphiques vers les systèmes cryptographiques d'ADN ne sont pas impossibles à déchiffrer.
Au contraire, ils pourraient facilement être utilisés comme instruments pédagogiques afin d'expliquer la structure de l'ADN à tous les âges, comment se transmet l'hérédité et le rôle des acides aminés dans la reproduction, la transcription et le transfert.
Ce sont les éléments de base de la reproduction, ce que l'on appelle le dogme central.
Mais plus que des instruments pédagogiques, les germes artistiques de Joe Davis sont des formes vivantes se reproduisant rapidement.
La bactérie E.Coli se divise toutes les vingt minutes lorsque conservée à température du corps.
Ceci veut dire que Joe Davis a transformé ses séquences poétiques en une donnée permanente du génome de la souche bactérienne.
Aux fins de cet article, j'aimerais souligner que Davis a choisi ces séquences pour illustrer un certain esthétisme et que cet esthétisme ne se révèle pas de façon visible dans les organismes en question. Le message, une licence poétique enchâssée dans le génome, n'empêche pas le gène de jouer son rôle et n'a, selon toute vraisemblance, aucun effet sur l'organisme. L'importance de l'invisibilité, un concept qui influencera notre propos, est implicite dans les souches modifiées génétiquement par Davis. Ces souches de bactéries porteront leurs inscriptions moléculaires de façon à peu près permanente dans chaque génération subséquente. À ce stade, les organismes visés agissent comme des récipients artistiques. À l'échelle moléculaire, des changements structurels dans la chaîne des séquences d'ADN résultent en modifications réelles de la forme, mais cette différence ne peut être « vue » qu'au moyen de procédés technologiques comme l'isolation de l'ADN, l'amplification des molécules d'ADN (PCR), l'utilisation d'endonucléases de restriction et l'électrophorèse en gel. Les bactéries revues et corrigées par Joe Davis semblent plus ou moins normales sur le plan morphologique, mais observées au microscope, elles portent un message qui pourrait survivre à la race humaine ou vivre en nous et parmi nous de façon aussi omniprésente qu'invisible.
Eduardo Kac est un autre artiste transgénique qui a travaillé sur une permutation de ces mélanges littéraires.
Eduardo Kac a attaché une grande importance artistique à l'expression de l'invisible et du très visible dans ses œuvres d'art transgénique. Bien connu depuis Alba, le lapin phosphorescent, Eduardo Kac s'est efforcé de relier des codes cabalistiques cachés à des gènes qui, physiquement, se traduisaient par une différence visuelle dans la substance d'organismes transgéniques.
Sa première œuvre transgénique, Genesis, semble imiter l'esthétique des travaux de Joe Davis sur les bactéries.
Après avoir traduit un passage de la Tora sur la « puissance » en code morse, puis en séquence d'ADN, il a implanté cette nouvelle séquence dans une souche E.Coli. Mais au lieu de mettre l'accent sur une empreinte permanente et héréditaire, une sorte de « doigt de l'artiste » sur l'organisme restructuré, Genesis met l'accent sur l'évolution continue des organismes vivants transgéniques au-delà de l'intention exprimée par la main de l'artiste. Même si l'accent mis sur le codex et le code génétique comportent des similarités avec des travaux transgéniques antérieurs, Eduardo Kac insère, non pas seulement une signature mythique, sorte de graffiti génétique, mais plutôt un texte vivant qui sera l'objet de la dégradation de son milieu, de mutilation populaire, de multiples relectures et de modifications mutatives constantes.
S'aventurant sur une pente encore plus glissante, Eduardo Kac fut le premier artiste transgénique à franchir la frontière de la fourrure.
D'une certaine façon, les ready-made comme Alba, la lapine GFP+ (qui n'a jamais été présentée au public, R.I.P.) de même que les souris GFP+ de The Eighth Day (qui furent présentées, mais retournées immédiatement au laboratoire, R.I.P.) évitèrent à Kac de porter le poids de la responsabilité allant de pair avec ces créations. De plus, il évita également une bonne partie du blâme que lui auraient valu la souffrance et la mort découlant de ces créations. Récemment, Kac a inséré à la fois le texte mythique servant à l'encodage et les gènes d'utilisation responsables des changements morphologiques dans une plante vivante, objet de son œuvre d'art Move 36.
Move 36 ne se range pas dans la catégorie frontière de la fourrure puisque les plantes peuvent être couvertes de duvet mais non de fourrure, à moins que le cactus poilu de Laura Cinti, dont les épines ressemblent à des cheveux humains, ne soit autre chose qu'une plaisanterie. La plante de Move 36 n'est pas un ready-made, bien qu'elle ait probablement été produite sur commande. C'est toutefois le premier organisme transgénique à porter une mutation morphologique pouvant être constatée à l'œil nu. Dès lors, Move 36 constitue une invitation à aller plus loin, à méta-morphoser la vie au-delà de la frontière de fourrure et à sculpter librement le génome humain. L'ironie est lourde mais voulue dans ces pièces d'Art vivant. On peut sentir dans l'usage créateur mais impropre que fait Eduardo Kac de citations philosophiques une critique implicite des religions organisées et de l'objectivité scientifique qu'il considère comme complices dans le projet paranoïaque de maîtriser la nature.
Qu'il s'agisse de l'ironie superficielle des transgéniques post-modernes ou de celle plus conventionnelle et compatissante des transgéniques du futur, le Critical Art Ensemble a à cœur de s'attaquer à la tâche en allant avec aplomb là où personne n'est allé jusqu'à ce jour. Le Critical Art Ensemble agissant comme collectif s'est donné comme tâche la rééducation du public à travers des média bien ciblés, des interventions électroniques et l'activisme biotechnologique. Le Critical Art Ensemble encourage un sain scepticisme autour des concepts industriels populaires déterminant ce qui peut être considéré comme sain et sauf. Particulièrement prompt à critiquer cette ruée furieuse vers l'éparpillement de nouveaux organismes du laboratoire vers le « monde extérieur », Critical Art Ensemble a offert à la rhétorique habituelle de la science classique une variété d'alternatives accessibles à un large public et pouvant être répétées scientifiquement.
Avant d'aller plus loin, je crois important de souligner que Steve Kurtz, un membre du groupe, fait l'objet de poursuites pour avoir, dans le laboratoire de sa résidence, tenté d'explorer certains concepts de l'ArtBio du Critical Art Ensemble et de ses méthodes de recherche.
L'homme-de-science-amateur-à-domicile fait partie de l'imagerie populaire américaine depuis les années 1950.
Il n'existe aucun travail davantage susceptible d'engendrer plus de découvertes que le travail de recherche et de développement mené dans le garage de la maison familiale.
Il est certain que le chercheur de laboratoire amateur, qu'il appartienne au domaine scientifique ou à celui des arts, se voit conférer de plein droit le statut de praticien de laboratoire. En raison d'un cas par ailleurs efficace d'hypnose de masse au niveau national, ceux qui veulent ouvrir de nouveaux horizons se voient de nos jours beaucoup plus souvent criminalisés aux États-Unis que ce n'était le cas jusqu'à présent.
Le Critical Art Ensemble a exprimé des opinions bien senties sur des sujets aussi divers que : les vues différentes des deux sexes sur les technologies de la reproduction, la mondialisation corporative et l'eugénisme, l'agro-industrie mondiale et l'oxymoron de la gestion corporative du risque, le piratage des gènes dans l'industrie pharmaceutique et les abus commis par les militaires face à la paranoïa du public concernant le terrorisme biologique.
C'est le droit de l'artiste et le devoir du citoyen d'exprimer leurs idées dans ce genre de débat qui non seulement soulève la controverse, mais encore a des effets indiscutables sur le public en général tant maintenant que plus tard.
Deux des projets du Critical Art Ensemble, Free Range Grain et GenTerra, contiennent une vive critique à l'endroit de l'absence d'intérêt que porte l'industrie aux questions entourant les organismes modifiés génétiquement (OGM) et l'alimentation.
En utilisant tant les arts que les sciences, ils se livrent à une analyse technologique de sujets comme les OGMs et la santé humaine, les OGMs et l'environnement ainsi que, en ce qui touche les É.U.A., l'absence totale de mention des OGMs dans l'étiquetage au détriment des consommateurs potentiellement avertis. Dans la performance amateur transgénique Free Range Grain, le Critical Art Ensemble avec Beatriz da Costa et Shyh-shiun Shyu, utilisent diverses techniques liées à l'ADN pour produire leur œuvre d'art.
Ces techniques comprennent isolation d'ADN, amplification en chaîne par polymérase (PCR), enzymes de restriction et électrophorèse en gel ; toutes ces techniques de laboratoire, que l'on pourrait assimiler à une prise d'empreintes digitales, servent à identifier des produits génétiquement modifiés mais non étiquetés que l'on peut trouver sur les tablettes d'épiceries ou parmi des produits ne contenant supposément aucun organisme modifié génétiquement. Le public peut ainsi constater, présentées par des amateurs, des preuves tangibles, technologiquement exactes, de la différence entre aliments modifiés et non modifiés.
Ces démonstrations sont faites en public afin de rendre cette écologie transgénique omniprésente dans laquelle nous vivons quotidiennement plus visible sur le plan scientifique pour un plus large public.
La présentation artistique relève moins de la glorieuse aventure de la recherche que d'une démonstration générale mettant en lumière l'empreinte écologique potentielle de ces types de culture à la mode. L'alimentation de base que nous fournit l'industrie contient des gènes qui sont aussi invisibles que les gènes conceptuels de Joe Davis.
La modification ne s'exprime généralement pas sur le plan morphologique.
Les effets de cette modification, eux, s'expriment de façon fonctionnelle et profitable (une plus grande résistance aux pesticides par exemple) bien que la présence même de cette différence soit invisible à l'œil nu. Dans ce cas, la non-visibilité de cette différence a pour fondement les relations publiques (propagande) plutôt qu'une démonstration rationnelle.
Le Critical Art Ensemble a fait un pas de plus avec leur projet Contestational Biology, en faisant porter ses recherches sur une vitamine apparemment inoffensive, mais qui pouvait à la fois suivre les graffiti génétiques invisibles des cultures Round-up Ready de la compagnie Monsanto en même temps que bloquer sur le plan métabolique la résistance aux pesticides que ces mêmes cultures étaient supposées posséder.
La « machine à dégager des bactéries transgéniques » fut conçue comme un composant transgénique de GenTerra, une performance produite conjointement par le Critical Art Ensemble et Beatriz da Costa.
Sorte de roulette sur laquelle sont fixées des boîtes de Pétri, cette machine se met à tourner lorsque l'on presse un bouton et un bras robotique expose des cultures de géloses à l'air libre.
Dans chacune des boîtes de Pétri, la gélose contient un échantillon en croissance d' E.Coli. L'une des dix cultures est transgénique et possède la capacité reproductive de transmettre à l'aveuglette des fragments de génome humain.
On peut y voir un autre genre d'expérience de Milgram prenant la forme d'une performance interactive; elle incorpore toutefois une analyse personnelle des risques et des avantages qui donne une fausse impression de profond respect pour le public dans ce qui ne serait autrement qu'une plaisanterie sadique d'un goût douteux.
Mentionnons toutefois que la rhétorique scientifique habituelle nous assure que la bactérie E.Coli ne peut « voler » de telle sorte que l'utilisation du terme « dégager » dans ce cadre se réduit à un geste symbolique, celui de l'exposition à l'air libre.
Néanmoins, le public en retient que la distribution d'OGMs équivaut à une roulette russe écologique.
Parmi les autres travaux du Critical Art Ensemble mentionnons la bière et les gaufrettes transgéniques distribuées en tant que sacrements aux adeptes du Cult of the New Eve (avec Faith Wilding et Paul Vanouse) ainsi que l'appel tristement célèbre au sabotage biologique indistinct décrit dans le livret que l'on peut trouver en ligne, The Molecular Invasion.
Tous deux posent des questions fondamentales au sujet de l'art et de l'éthique lorsque reliés à la propagation intentionnelle d'organismes transgéniques, questions qui ont fait l'objet de débats dans notre communauté multipolaire. Les artistes devraient-ils être soumis aux mêmes règles d'endiguement que les scientifiques ?
La propagation intentionnelle fait-elle partie des droits de l'homme ?
Qui agit de façon la plus irresponsable, l'industrie ou les arts ?
Qui, dans le cercle de l'art transgénique, semble s'interroger sur les cyborgs transgéniques non humains en tant qu'entités ?
Concluons donc cette discussion avec Kathy High et son œuvre d'art transgénique Embracing Animal.
Kathy High nous apporte un mélange d'art transgénique et d'éthique rarement vu de façon concrète auparavant. Dans Embracing Animal, trois rats transgéniques ready-made, Tara, Star et Mathilda Barbie nous sont présentés. Ces rats sont des reproducteurs, maintenant à la retraite, porteurs des caractéristiques transgénétiquement stables du groupe HLA-B27. Ce groupe de rats est utilisé comme modèle de maladie dans la recherche d'une panacée pour les personnes souffrant de la maladie de Cohn et d'autres désordres auto-immuns qui lui sont reliés.
Ceci signifie que ces rats ont vu insérer dans le processus reproductif de leur lignée certains transgènes qui produisent diverses versions de cette maladie avec toutes les douleurs et malformations métaboliques qui lui sont reliées. Jusqu'à maintenant ces rats ont été utilisés uniquement à des fins de recherche.
Kathy High a décidé de récompenser ces reproducteurs à la retraite qui ont sacrifié d'innombrables portées au profit de la recherche médicale industrielle en leur garantissant tout ce qui est nécessaire à une retraite dorée. Ce mode d'interaction attentionné a peut-être quelque lien avec les troubles auto-immuns dont souffre elle-même Kathy.
Dans sa vidéo précédente, Animal Attraction, elle s'était déjà penchée sur des questions comme la connaissance chez les animaux, la conscience, la communication et même l'éthologie psychique.
Mais dans Becoming Animal, elle va plus loin et tend une branche d'olivier à ces modèles de nos maladies transgéniques, miroirs partiellement humains et autres nous-mêmes parmi les cyborgs.
Pour ce faire, elle a fait construire un cadre de vie spacieux pour ses rats où ceux-ci trouvent de nombreuses cachettes et énormément d'endroits à explorer.
Elle voit à ce que leur nourriture se compose d'une diète variée, qu'ils aient de l'eau en abondance et reçoivent des soins médicaux. Elle s'assure que les Barbies ne manquent de rien et soient bien traitées.
Elle a même demandé aux vétérinaires qui s'en occupent de tenter l'utilisation de thérapies alternatives à base d'herbes et de cures homéopathiques, traitements qu'elle avait trouvé utiles dans sa propre condition. Lorsque l'exposition sera terminée Kathy High compte ramener ces rats chez elle et continuer à s'en occuper. Embracing Animal montre le côté hideux de la transgénèse. Les Barbies perdent souvent leur poil ou ne peuvent marcher avec assurance en ligne droite. Mais dans leur nouvel environnement, en dehors des laboratoires, leur humeur s'améliore et leur personnalité devient souvent plus marquée.
Il importe de se poser la question de cette conscience transgénique, de cette vie artificielle qui se retourne vers nous. Surtout si vous envisagez la possibilité de vous lancer dans l'Art BioDev vous-même, demandez-vous comment réagiront les organismes vivants que vous vous apprêtez à manipuler. Que leur donnerez-vous en échange de la triste condition à laquelle vous les aurez réduits ?
CONCLUSION
Au-delà de toutes nos explorations que ce soit celles de la biologie, de l'art, du corps, du monde vivant, ce vaste survol de travaux fort diversifiés devrait nous conduire à une sorte de maelström confus.
Je laisserai au lecteur le soin de définir, de modifier, de raffiner et d'extrapoler ce qu'il choisira dans cette longue diatribe. Disons simplement que le champ de la recherche et de la création reste encore à défricher.
La vie organique ressent la douleur, tente d'échapper à la mort, éprouve du plaisir et pourrait n'avoir inventé la motilité que pour se rapprocher des sources de l'hédonisme et échapper à celles de l'horreur. Mais nous, en tant qu'organisme, et la terre, en tant que scène où nous évoluons, ne sommes malléables que jusqu'à un certain point. Et la question qui nous assaille continuellement est de savoir jusqu'à quel point ? Une deuxième question est de savoir comment assimiler les résultats de nos échecs, surtout après qu'ils aient quitté le nid pour voler de leurs propres ailes ? Tant la biologie que l'art produisent un impact, seuls ou conjointement. Mais la plupart du temps, nous ne réalisons pas ce que nous faisons.
Notes
1 : Pour de plus amples informations sur cette question, voir :
a- Paul Berg, Asilomar and Recombinant DNA, on Nobelprize.org.
b- Photographs from Asilomar:
International Conference on Recombinant DNA Molecules, in MIT Institute Archives & Special Collections, February 1975.
c-
Genetic Engineering, on Union of Concerned Scientists
d - Stuart Newman, Australian Mouse Study Confirms CRG Warning, on Council for Responsible Genetics.
Adam Zaretsky
(Traduit de l'anglais par Serge Marcoux)
haut de page
retour
|