Feng
MENGBO
Autoportrait en personnage de jeux
vidéo
Amélie Paquet
Né
à Beijing en 1966, année qui
marque le début de la Révolution
culturelle chinoise, Feng Mengbo travaille
depuis ses débuts à partir
d’objets vidéoludiques. Ses
premières réalisations artistiques
The Video
Endgame Series, dans les années
quatre-vingt-dix, prirent la forme d’acryliques
qui s’inspiraient des images des jeux 8-bit de
son enfance. Dans son œuvre, les
jeux vidéo constituent l’horizon
culturel principal du sujet qui fait
l’expérience de ces divertissements
comme une véritable activité
esthétique à travers laquelle se
construit sa relation au monde. Ses
œuvres Q4U
(2002) et Long
March: Restart (2008)
témoignent d’un souci de présenter
les jeux vidéo comme des matériaux
complexes qui permettent au joueur de
développer à sa manière son
identité.
Avec son
film machinima Q3, en
1999, Mengbo commence son exploration de Quake
III Arena, un jeu de tir à la
première personne commercialisé la
même année. Dans le court
métrage de trente-deux minutes, l’artiste
incarne un journaliste en guerre qui va à
la rencontre des combattants en pleine action,
conférant ainsi au décor du jeu
une gravité inattendue. Ce travail lui
inspire Q4U,
son autoportrait vidéoludique. Comme le
veut la tradition de la série Quake, le
code source du jeu fut mis à la
disposition des joueurs afin qu’ils puissent le
transformer et ainsi offrir leur propre version.
Bien qu’un « Mod » de
Quake III Arena parmi tant d’autres, Q4U se
distingue par le choix de Mengbo d’y
intégrer sa propre image. Les ennemis
représentent tous Mengbo avec une
mitrailleuse d’une main et une caméra
vidéo de l’autre, sorte de mise en abyme
qui rappelle son personnage de journaliste dans
Q3.
Plus frêles que les adversaires habituels
du jeu, les clones de Mengbo se promènent
dans l’arène mortelle torse nu et avec
pour seule armure, un vulgaire pantalon
militaire. Une des particularités de
Quake III Arena, qui le distingue des deux
volets précédents, est l’absence
de trame narrative. L’unique objectif du joueur
consiste à survivre dans un monde
où tous les protagonistes s’entretuent en
l’absence de possibilité d’alliance entre
eux. Sans faction pour les appuyer et sans grand
récit pour justifier leur combat, les
clones de Mengbo sont tous des êtres
identiques et pourtant complètement
désolidarisés, livrés sans
protection à la violence d’une foule
armée.
Le
portrait tragique de Q4U
bascule vers une représentation ironique
de l’héroïsme patriotique avec son
œuvre suivante Long
March: Restart. En repensant le style
de Super Mario Bros, le populaire jeu de
plates-formes de Nintendo, Mengbo raconte une
version uchronique de la Longue Marche,
épisode épique de l’histoire
chinoise où les troupes communistes de
l’Armée rouge avaient dû battre
en retraite entre 1934 et 1935 devant
l’Armée nationale pendant la guerre
civile. Le joueur endosse l’étoffe d’un
soldat du Parti communiste qui doit sauver la
Chine contre les multiples menaces qui
pèsent sur elle. Pour vaincre les
périls qui le guettent, il
s’équipe de canettes de Coca-Cola qu’il
utilise comme projectiles destinés
à détruire ses ennemis. Une fois
lancées, les canettes explosent
à la manière de grenades. En
plus de la reprise de l’imagerie de la
propagande chinoise de la révolution
culturelle, Long March: Restart est
rempli de nombreuses citations à des
jeux vidéo de Super Nintendo. Que ce
soit, Edmond Honda, le lutteur sumo
japonais, Chun-Li, l’héroïne
chinoise de Street
Fighter 2 ou les monstres de Contra
III : The Alien War, tous ces
personnages célèbresterrassent
sans relâche le soldat du Parti
communiste. Pour survivre, il doit aiguiser
ses réflexes et se frayer son propre
chemin afin d’éviter les embuches qui
menacent sa mission. Long March: Restart
illustre la rencontre entre la culture
de l’Est et de l’Ouest, et raconte la
tension vécue par le jeune Chinois
qui se débat pour découvrir sa
propre identité alors qu’il est
submergé par les images patriotiques
de son pays, mais aussi par celles de la
culture populaire japonaise et
américaine qui façonnent
désormais son quasi unique univers
référentiel.