Texte d’Éric Devlin sur le décès de Marcel Saint-Pierre

Texte d’Éric Devlin sur le décès de Marcel Saint-Pierre

Vendredi 6 août 2021, Marcel Saint-Pierre a quitté la surface de la Terre. Vous trouverez en document attaché un bref survol de sa prolifique carrière.

Marcel Saint-Pierre était un être d’exception. Brillant intellectuel, aussi à l’aise dans un colloque de sémiologie que dans un souper dans un tout-inclus à Cuba assis entre un plombier de St-Jérôme et un vendeur d’assurances de Repentigny. Il n’y avait aucune prétention chez Marcel Saint-Pierre ; tout être humain méritait l’attention. En début de session, dès que son nom apparaissait à l’UQAM, ses cours affichaient complets. Il était un communicateur hors du commun.

Le milieu de l’art contemporain regorge d’artistes aux discours flamboyants. Mais leurs œuvres qui devraient traduire cette éloquence intellectuelle sont aussi monotones qu’une pluie froide d’automne. Ce n’était pas le cas de Marcel Saint-Pierre. Pour réaliser chaque tableau, il reprenait systématiquement le procédé qu’il avait développé au début de sa carrière en 1972 : une toile pliée en accordéon et trempée dans différents bacs de peinture. La couleur voyageait dans la toile par capillarité. Cette mince toile totalement imbibée était étendue au sol sur une grande pellicule de plastique. Par pression des mains, Marcel transférait ce qui allait devenir le fondement de son futur tableau : un réseau de taches et de traces de plis.

Au début, ce résultat primaire lui suffisait. C’était sa période Supports/ Surfaces qu’il a poussé jusqu’à abolir le support du tableau et réaliser des œuvres composées uniquement d’une épaisse peau d’acrylique figée dans l’espace. La toile avait disparue ; il n’y avait plus qu’une surface.  Puis il est intervenu sur cette surface transitoire de plastique pour composer un tableau de plus en plus complexe qui était autant une réflexion sur la couleur, sur la politique, sur l’environnement. Le titre donnait la clé.  Le résultat final n’a jamais ressemblé à un mois de novembre.  Le journaliste scientifique Yanick Villedieu disait des tableaux de Saint-Pierre qu’ils étaient « jubilatoires ».

Une fois terminé, chaque tableau de Marcel Saint-Pierre  devient un objet autonome de son créateur.  Il a sa vie propre.  On peut le regarder du pointde l’artiste avec toutes ses références théoriques.  Mais on peut également le regarder en ignorant son historicité et il  est toujours aussi convaincant.

Marcel Saint-Pierre a été à la bonne école. Un jour il m’a raconté l’ennui anticipé  devant un cours sur l’orfèvrerie québécoise au XVIII siècle.  Le cours, donné par François-Marc Gagnon,  s’est avéré passionnant, malgré un sujet qui n’intéressait plus aucun jeune esprit.  Ce jour là, Marcel Saint-Pierre a compris l’importance de la communication qui repose sur trois principes : une connaissance approfondie du sujet ; une passion dévorante pour le sujet ; et le désir absolu de partager.

Je suis un homme heureux et choyé d’avoir partagé trente trois ans de ma vie professionnelle avec Marcel Saint-Pierre.  Il me reste beaucoup de souvenirs, des voyages mémorables, des conversations engagées, des tableaux exceptionnels comme l’immense « A walk on the Wet Side » que vous pouvez admirer au Musée des beaux-arts de Montréal.  Et il y a ses textes que vous pouvez relire qui sont à la fois complexes et limpides comme son magnifique essai sur Serge Lemoyne ou encore celui sur Borduas.  Ils sont la preuve éloquente qu’un tableau est plus qu’une surface colorée.  Un tableau doit se lire comme un roman.  Dans chaque tableau, il y a une histoire. Et lire un tableau, tout comme lire un roman, prend du temps.

Bon voyage dans l’éternité, camarade !

 

Éric Devlin,

15 août 2021.

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