Rafael Lozano-Hemmer, Vectorial Elevation, Relational Architecture 4
Rafael Lozano-Hemmer, Body Movies, Relational Architecture 6
Agence Topo, Civilités
Laboratoire pour projets interactifs (LPI), Urbanface par SIMBIOZ
Laboratoire pour projets interactifs (LPI), In Situ
Media Lab, Michael Lew, Office Voodoo
compte rendu


FCMM 2003 : MOMENTS ET ŒUVRES CHOISIES



Agence Topo, Civilités La réputation du Festival des Nouveaux Cinémas et des Nouveaux médias de Montréal n'est plus à faire. La programmation cinématographique y est toujours (et de plus en plus) riche et éblouissante…

Mais le volet « Nouveaux Médias » passe souvent un peu plus inaperçu par rapport à celui des « Nouveaux Cinémas ». Et pourtant, cette 32ième édition du Festival avait de quoi satisfaire les appétits des esprits boulimiques d'images numériques et autres nouvelles-utilisations-des-nouveaux-médias!

C'est à la SAT que l'on a pu assister aux nombreuses conférences, tables rondes et expositions programmées sous le thème de « l'expérimentation narrative et interactive ». La grande majorité des pièces présentées étaient des invitations à la participation du public, questionnant par-là même les désormais nouveaux rôles du spectateur, et de l'auteur.


MOMENT CHOISI : JOURNÉE ART PUBLIC, PRÉSENTATION DE L'ŒUVRE DE RAFAËL LOZANO-HEMMER PAR LUI-MÊME

Rafael Lozano-Hemmer, artiste aux œuvres monumentales, nous a offert une présentation extrêmement riche de son travail, avec beaucoup d'humour et d'humilité. L'artiste mexicano-canadien a débuté son intervention par la présentation de ses influences, de l'architecture « sensible » au net art de type interventionniste. Il a cité notamment l'exemple de Building on the Wind, un immeuble sensible qui réagit aux variations du vent par des changements photo-chromatiques. Il a également mentionné l'influence d'œuvres telles que Light on the Net de Masaki Fujihata. Il s'agit d'une œuvre qui se partage entre le réel et le virtuel. Composée d'un panneau lumineux recouvert de 49 ampoules, l'œuvre est située à Gifu, au Japon, mais est également présentée sur Internet grâce à une transmission par webcam en direct. Les internautes sont invités à intervenir sur l'œuvre en cliquant directement sur les ampoules, pour les éteindre ou les allumer, réalisant ainsi des figures en temps réel.

Et c'est finalement cette relation intime créée entre le monde international et virtuel du réseau avec le tangible qui passionne Lozano-Hemmer. Vectorial Elevation, Relational architecture 4 en est un exemple magistral. Cette œuvre fut présentée à Mexico à l'occasion du passage à l'an 2000. Également divisée (ou unie) entre le réel et le virtuel, cette œuvre invitait les utilisateurs à composer des schémas à l'aide d'un générateur d'images tridimensionnelles. Une fois le dessin terminé, il était envoyé à un système automatisé capable de le reproduire à l'identique dans le réel. Dix-huit projecteurs laser, placés tout autour du grand rectangle de la place Zócalo, s'orientaient alors pour former l'architecture lumineuse créée par l'internaute dans le ciel de Mexico. La sculpture éphémère était ensuite photographiée sous différents angles, et retransmise sur le Web, affichée à côté des schémas originels sur une page Web indépendante et propre à chaque utilisateur. Et ainsi de suite… Le succès de cette œuvre a été à l'échelle de l'œuvre elle-même car près de 700 000 personnes y ont participé.

Avec Body Movies, Relational Architecture 6, Lozano-Hemmer s'inscrit encore davantage dans le domaine de l'art public. Accueillie dans différents festivals européens, cette œuvre était présentée sur la façade d'un immeuble situé dans un lieu de passage (cinéma ou musée, par exemple). Un projecteur lumineux éclairait alors la façade, et les passants qui se situaient dans le champ de l'œuvre voyaient leur silhouette apparaître à différentes échelles (de 2 à 25m), en fonction de leur position entre la source lumineuse et le mur. Des images, jusqu'alors invisibles, se dévoilaient dans l'ombre des badauds. Il s'agissait de portraits en pieds de différentes personnes anonymes. Le « but du jeu », si j'ose dire, consistait alors à fondre sa propre silhouette à celle des personnes ainsi projetées au mur. Lorsque cela arrivait, le système automatique changeait l'image pour offrir au public de nouvelles possibilités. Il était très amusant de constater, avec Lozano-Hemmer, combien cette pièce était ludique et jusqu'à quel point le public était enclin à participer, interagissant à la fois avec l'image projetée et avec les autres passants, donnant lieu à des situations souvent cocasses telles que le géant terrassant un lilliputien.

Rafael Lozano-Hemmer a également présenté un projet sur lequel lui et son équipe travaillent actuellement. Cette œuvre, intitulée Amodal Suspension, relational Architecture 8, sera basée sur un principe de communication libre. Très inspirée de Vectorial Elevation par la forme en raison de l'utilisation de faisceaux lasers, Amodal Suspension se distingue cependant par son concept. Les projecteurs lasers ne formeront plus des architectures lumineuses, mais deviendront des outils de communication. Le public sera invité à participer via Internet mais également grâce à leur téléphone cellulaire, en envoyant des messages, traduits par les faisceaux en morse. Ces messages pourront ensuite être interceptés, encore une fois par Internet ou cellulaire. Un projet ambitieux et magistral, qu'il nous tarde encore une fois de découvrir autant que d'y participer.


ŒUVRE CHOISIE, GALERIE INTERNET : CIVILITÉS

Civilités, Comment vivre ensemble? est une œuvre en ligne qui rassemble le travail de différents artistes montréalais sous la direction de Eva Quintas et Guy Asselin.

Grâce à une navigation plus ou moins intuitive, l'utilisateur parcours différents modules représentant la vision propre à chaque artiste des difficultés qu'impliquent le « vivre ensemble ». De la politesse courtoise et élémentaire aux différences religieuses et politiques, de l'attitude d'une mère pressée face à son enfant à la foule noyant les individus, Civilités porte un regard dur et franc sur le monde et l'homme contemporain. Au fil de la navigation, l'œuvre nous interpelle, provoque parfois un léger malaise. Elle rassemble et associe les éléments qui provoquent la division et la séparation universelle des hommes et des peuples. L'œuvre questionne, sans prétention, notre rôle en tant qu'individu, notre comportement quotidien ou notre engagement social. Le monde va mal, et toi dans tout ça, que fais-tu pour qu'il aille mieux ? C'est certainement de ce constat personnel et individuel que naît le malaise. Mais l'utilisateur, comme le citoyen (l'homme-civil) n'est pas condamné à être un spectateur silencieux de l'état du monde... La parole lui est donnée à plusieurs reprises sous forme de questions : « êtes-vous prêts à laisser tomber des libertés pour plus de sécurité? » ou encore « comment vivre ensemble? » Des suggestions, dessins ou photographies sont envoyés et affichés en ligne, complétant ainsi l'œuvre participative.

Rajoutons, sans complaisance aucune, que Civilités est une très belle œuvre, autant d'un point de vue technique que graphique. Elle est d'une finesse et d'une intelligence rare, comme on aimerait en voir plus souvent sur le Web.


MOMENT CHOISI : LPI, PRÉSENTATION DES PROJETS 2003

Le LPI, Laboratoire pour Projets Interactifs, est un organisme réunissant plusieurs acteurs de l'industrie canadienne des nouvelles technologies, comme le BANFF New Media Institute, le Centre Canadien du film et l'INIS, l'Institut National de l'Image et du Son.

Le Laboratoire a pour mandat de soutenir financièrement et d'encourager techniquement des projets sélectionnés par son comité. Quelques-uns des projets que l'organisme a soutenus étaient présentés au Forum, dont UrbanFace réalisé par l'entreprise montréalaise Simbioz.

Il s'agit d'un écran géant interactif qui réagit à la présence et au mouvement sans contact physique. La démonstration était surprenante. Des détecteurs de mouvement, placés dans les coins supérieurs de l'écran, décèlent chaque geste émis par l'utilisateur qui, de par la très grande taille de l'écran, se trouve presque immergé dans l'espace virtuel. Il peut ainsi naviguer au sein d'une interface interactive, cliquer du bout du doigt, glisser-déposer des objets virtuels d'un geste de la main… Mais le plus surprenant était la démonstration d'une petite interface de jeu de balle : l'utilisateur pouvait lancer la balle d'un geste du bras qui, selon son orientation, modifiait la trajectoire. UrbanFace est un dispositif qui recèle un peu de magie, de ce fantasme de l'homme de bouger des objets sans même les toucher, d'interagir avec son environnement d'un seul geste de la main…

Il est toutefois à regretter que de tels projets, compte tenu des coûts qu'ils impliquent, s'inscrivent principalement dans une démarche commerciale et sont destinés à devenir alors un support publicitaire de plus…

In Situ, également soutenu par le LPI, est un projet qui aborde le principe de « réalité augmentée ». Il s'agit en effet d'un écran d'ordinateur (qui est alors utilisé comme simple moniteur) placé dans un espace urbain en devenir. Dans une ville comme celle de Montréal, qui est en éternels travaux, le projet In Situ prend tout son sens : il arrive fréquemment qu'en se promenant dans un quartier, nous trouvions un immense trou béant, là où était d'ordinaire situé un building désaffecté. In Situ propose de combler ce trou par la modélisation tridimentionnelle du futur édifice, intégrée dans son environnement immédiat. L'écran, placé sur le lieu en question, diffuse l'image vidéo directe de la rue dans laquelle se fond la future construction. Fixé sur un pied, l'écran peut alors être manipulé horizontalement et offrir une vision panoramique de l'espace urbain.

Le projet In Situ devient particulièrement intéressant lorsqu'il se propose de reconstituer un paysage disparu depuis longtemps… L'expression « magic window » utilisée par ses créateurs lors de la présentation prend alors tout son sens. L'écran peut offrir à ses utilisateurs la visualisation de sites historiques tels qu'ils étaient à leur glorieuse époque.


ŒUVRE CHOISIE, EXPOSITION CINÉMA INTERACTIF :
OFFICE VOODOO


Une partie des pièces présentées dans le cadre des deux expositions « Cinéma interactif » et « Art Public » était installée dans les sous-sols de la Sat, plongés dans la pénombre. Cette ambiance conférait à l'exposition un côté irrésistiblement underground, presque clandestin…

Une des œuvres que j'ai retenue parmi les quatre œuvres de l'exposition Cinéma Interactif, et ce malgré la grande qualité de toutes les pièces, est Office Voodoo, non pas pour son niveau d'interactivité, mais en raison de sa facture. L'œuvre se présente sous la forme d'un espace exigu fabriqué en polystyrène dans lequel le spectateur est invité à prendre place. L'installation est conçue pour être manipulée simultanément par deux personnes.

Les utilisateurs font alors rapidement connaissance avec Frank et Nancy, deux collègues de travail apparemment surmenés, irascibles et stressés. Deux poupées vaudoues, truffées de capteurs, sont reliées à un système informatique. La manipulation de ces poupées va interférer dans le comportement des personnages en modifiant leur humeur et leur niveau d'agressivité. Commence alors une expérimentation intuitive, ludique (et peut-être un tantinet sadique) des diverses émotions par lesquelles peuvent passer Nancy et Frank grâce à un maniement plus ou moins habile des poupées. Nancy tombe en dépression alors que Frank est sur le point d'avaler son clavier…

Il est certain que le niveau d'interactivité est relativement limité, et que les émotions éprouvées par les deux collègues de travail finissent par tourner en boucle, mais reste que le mode d'interaction exploré ici est résolument original et nous renvoie à un vieux fantasme de magie noire. Qui n'a pas rêvé un jour de planter des aiguilles dans le corps en chiffon d'une poupée représentant un collègue, ou notre patron ? Office Voodoo s'avère être un miroir, certes ludique mais non moins caustique de notre comportement au travail, des relations forcément influencées par notre niveau de stress et de notre capacité à gérer nos émotions dans un cadre professionnel.


L'art public, et plus largement l'ajout d'interactivité à une œuvre d'art, appelle et interpelle directement le spectateur de différentes manières, le plaçant en état de surprise (dans le cas de l'art public, notamment, avec des œuvres ouvertes sur la rue qui surprennent les passants en les extirpant soudainement de leur contexte individuel), l'invitant à entrer dans un monde virtuel ou un environnement réel dans lequel il a sa place (et un rôle à jouer), créant des situations autant ludiques que sagaces.

Cette place inédite, ou presque, accordée au spectateur a été une préoccupation majeure lors de cette édition du Festival et ressortait largement autant dans les tables rondes que dans les œuvres elles-même, reflet des enjeux actuels de l'art médiatique.

De cette programmation riche et diversifiée, je n'ai retenu ici que quelques œuvres ou moments. Non pas que le reste de la programmation était moins digne d'intérêt, loin s'en faut. Le FCMM nous a offert un très beau cru cette année, qui nous met encore davantage en appétit pour l'année à venir!



Sites Web :
 FCMM : www.fcmm.com

 Rafael Lozano-Hemmer : www.lozano-hemmer.com

 Civilités : www.agencetopo.qc.ca/civilites

 
LPI : www.iplab.ca

 
Office Voodoo : www.mle.ie/~michael/research/voodoo




Cécile Petit


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