Braingirl
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œuvre 1


BRAINGIRL,
de Marina ZURKOW, 2003



Braingirl Lorsque j'étais enfant, je parlais comme une enfant, je pensais comme une enfant, je raisonnais comme une enfant; lorsque je suis devenu fille, j'ai mis de côté ce qui était de l'enfant. Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face…


Ce que l'animatrice Flash Marina Zurkow nous propose ici, dans l'épisode intitulé « Fishing » de son œuvre Braingirl, est une version revue et corrigée d'un passage de la Bible (1 Corinthiens 13)1. Un tel geste est typique de Braingirl : cette altération féministe de la Bible n'est pas différente de la cooptation de l'iconographie corporative que fait Zurkow tout au long de son œuvre. La protagoniste, Braingirl, n'est cependant pas quelqu'un que vous risquez de voir sur un panneau-réclame dans un avenir rapproché : c'est un personnage animé de façon assez rudimentaire, dont le cerveau exposé à l'air libre repose sur un corps prépubescent et nu. Ce n'est pas une superhéroïne, en dépit de sa couleur criarde, de son nom pourtant typique des superhéros, et de son exclamation favorite : Holy Genitalia!

Mais, grâce à l'habile subversion de l'esthétique de la culture corporative opérée par Zurkow, l'abomination qu'est Braingirl peut apparaître néanmoins comme séduisante; elle parle d'une voix mignonne et elle aime les poneys, de la même manière qu'elle développe un pénis et saccage tout sur son passage. Ce type de sujet est révélateur de l'expérience de Zurkow sur les plateaux des films d'horreur : elle a été la directrice artistique pour Necropolis (1986) ainsi que pour Robot Holocaust (1987), deux films de série B par excellence. Dans chacun des huit épisodes de Braingirl, cette fusion du charmant et du terrifiant est au fondement de leur réussite; à son meilleur, la série détourne l'art institutionnel et l'utilise pour faire la critique de ses praticiens.

Alors que le cycle est la plupart du temps centré sur les aventures de Braingirl, l'épisode le plus intéressant la présente seulement dans un role de soutien. « Eyetest » met en scène le prétendant de Braingirl, Bagboy, qui se réveille pour découvrir que ses yeux ont changé de place, et sont maintenant placés l'un au-dessus de l'autre. Dans ses expressions de révulsion, Bagboy n'a rien à envier à Gregor Samsa; le sentiment d'étrangeté envers son propre corps est apparemment une inquiétude immémoriale. Bagboy se retrouve à l'hôpital, dans une interminable salle d'attente au-dessus de laquelle flotte des icônes représentant des corporations plus ou moins reconnaissables. Bagboy finit par rencontrer le docteur, qui émet des platitudes incompréhensibles et soumet Bagboy à un examen de la vue ainsi qu'au test de Rorschach. L'industrie médicale est ici admirablement représenté au point de vue visuel par Zurkow, qui en même temps la ridiculise; les taches d'encre supposément révélatrices typiques du test de Rorschach illustrent dans un style simpliste des objets quotidiens (que Bagboy interprète bien sûr de manière erronée). Le but du test du docteur est de tourmenter Bagboy, sans même la prétention d'une aide médicale. Pour finir, le docteur recommande que Bagboy ait ses yeux enlevés, et le pauvre patient de rétorquer : « J'ai si peur, docteur. Je pense que je m'habituerai plutôt à mon nouvel état. »

L'épisode en entier témoigne d'une connaissance précise et acérée des ratés de l'industrie médicale, exprimée avec une grande maîtrise de l'art corporatif, que Zurkow reconnaît aussi évidemment pour ses défauts - et ses marques stylistiques : les risques de fausse interprétation réduits à zéro, l'aspect générique de la représentation, et au premier chef, l'effet d'aliénation. Avec ces personnages, Zurkow engage au moyen du dessin animé une polémique avec l'un des milieux les plus habitués à se servir de ce même langage visuel très particularisé : l'industrie médicale occidentale. D'où le plaisir que procure Braingirl, en même temps que son paradoxe : en détournant à son profit l'iconographie corporative, et en l'utilisant contre elle-même aussi bien que contre ses utilisateurs, Zurkow choisit l'arme la plus appropriée et la plus efficace possible.



Note
1 : « Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu homme, j'ai mis de côté ce qui était de l'enfant. Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face… »
La Bible (1 Corinthiens 13)  




Patrick Ellis
Traduit de l'anglais par Anne-Marie Boisvert


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