AURORA BOREALIS
15 juin—30 septembre 1985, exposition collective
Commisaires: Claude Gosselin, René Blouin et Normand Thériault
Table des matières
Anatomie d’une exposition : Normand Thériault
Installation, l’invention du contexte : Lesley Johnstone
Installation, 1915-1979 : une chronologie
CRÉER UN ÉVÉNEMENT D’ART CONTEMPORAIN
Claude Gosselin
Directeur du Centre international d’art contemporaine de Montréal
Co-commissaire de Aurora Borealis
Juin 1985
Les Cent jours d’art contemporain de Montréal
Les Cent jours d’art contemporain Montréal 85 ont été mis sur pied avec l’idée de créer un événement d’art contemporain. Un événement qui ne soit pas uniquement une exposition, ni un colloque, ni une publication, mais plutôt une action de rassemblement pour l’art contemporain dont l’exposition AURORA BOREALIS est l’élément le plus visible.
L’exposition AURORA BOREALIS
AURORA BOREALIS ne se veut pas un panorama de l’art contemporain tel qu’il se présente au Québec ou au Canada. L’exposition retient plutôt les choix de trois conservateurs qui, au meilleur de leurs connaissances, ont réuni sous un nombre maximum de 30 des artistes dont les démarches se sont imposées au cours des dernières années. De plus, à la lecture de l’oeuvre de chacun et de chacune, une approche du travail artistique s’est signalée: celle de l’installation comme oeuvre d’art. AURORA BOREALIS décrit à sa façon le travail qu’entend mener le Centre international d’art contemporain de Montréal: être attentif au milieu, qu’il soit local, national ou international, retenir des énergies autour de projets communs, signaler des démarches de pointe et les défendre dans le contexte de l’art et de la culture.
Le Centre international d’art contemporain de Montréal
Le CIAC Montréal n’est pas un musée. II n’entend pas collectionner. Il cherche davantage à mener une action au-delà de l’objet tout en reconnaissant les réalisations des artistes.
Remerciements
Les Cent jours d’art contemporain Montréal 85 et l’exposition AURORA BOREALIS n’auraient pu être réalisés sans l’engagement profond et généreux de plusieurs personnes. Qu’il me soit permis de remercier ici les conservateurs René Blouin et Normand Thériault qui, dès la première heure, ont accepté de développer le contenu de l’exposition ; les directeurs et les directrices des galeries d’art contemporain de Montréal qui ont appuyé le projet de réaliser un événement majeur pour l’art contemporain ; monsieur Serge Hutchinson et madame Josée Pittarelli de la Société immobilière Place du Parc qui ont contribué à la disposition des espaces nécessaires pour l’exposition ; les artistes, les conservateurs et les directeurs de galeries que nous avons bousculés dans leurs planifications personnelles ; tous le personnel du CIAC qui a été amené à abattre un travail intense et particulièrement monsieur Michel Des Jardins qui m’a appuyé de façon remarquable ; les membres du Conseil d’administration du CIAC qui ont accepté les engagements de cette aventure. Et puis il y a les fonctionnaires et les professionnels des jurys qui ont permis aux gouvernements du Quebec et du Canada de financer l’événement qui n’aurait pas eu lieu sans leur soutien. Enfin, un merci sincère à tous ceux et à toutes celles qui, de près ou de loin, ont rendu visible l’exposition et l’événement, particulièrement la famille Asselin (Germain, Pierre, Luc) et son équipe technique, Susanne de Lotbinière-Harwood, qui a traduit de façon éclairée tous les textes de nos publications, et les graphistes Angela Grauerholz et Anne Delson qui ont donné aux Cent jours d’art contemporain Montréal 85 l’image dynamique qu’ils projettent.
AURORA BOREALIS, un titre lumineux, évocateur, un phénomène naturel que nous voulons tous voir et revoir.
ARTISTES / OEUVRES
ROBERT ADRIAN
Robert Adrian, 76 Airplanes, 1985. Photo: Denis Farley.
Collage, papier journal, imprimés, papier de riz, 76 modèles réduits épinglés sur un mur de 3,7m x 9,8m.
« Cette oeuvre fait partie d’un groupe d’oeuvres dont le titre provisoire est Orient Express. » – Robert Adrian
JOCELYNE ALLOUCHERIE
Jocelyne Alloucherie, Une montagne encore…, 1985. Photo: Denis Farley.
Bois, feuilles de métal divers, graphite, pigments divers, épreuves noir et blanc, verre dépoli, 12 éléments dans un espace de 22,2m x 6,6m.
« C’est dans la démesure que le lieu devient mythique. Cette dimension, ce serait le jeu d’un parcours ne procédant pas d’un sens à priori, mais s’inscrivant dans une qualité non linéaire, dans une épaisseur de sens possibles avec des dérapages, des glissements, des fractures, des réverbérations, des recoupements et des superpositions. Lieu du mirage et du nomadisme, exploré comme une place étrangère qui ne livrerait les secrets de ses signes que dans un lent décryptage; à opérer de la même manière qu’il faudrait lire un livre fou, du tout et du rien, justifié d’être dans sa seule complexité. À rebours de la pensée. Avec comme seul ordre à suivre le plaisir que génère la logique miroitante des objets. Le titre n’y aurait jamais qu’une vague fonction d’indice.
D’un ici et d’un ailleurs comme
Une montage encore
Ma maison noire retrouvée
Comme l’envers d’une faille
Ou comme ma ville par l’arrière saisie
Bête sombre et écailleuse
Et tant de terrains vagues. » – Jocelyne Alloucherie
GENEVIÈVE CADIEUX
Geneviève Cadieux, Ravissement, 1985. Photo: Denis Farley.
1 projection noir et blanc, 1 épreuve couleur, 2 épreuves noir et blanc dans un espace de 10,5m x 12,3m.
« Mon travail traite de l’étude des mécanismes de la représentation photographique et de leur autorité. Cette installation soulève la question du voyeurisme, du pouvoir, du regard, et du consentement. L’habituelle relation objet-sujet est rompue par la conscience des regards impliqués. » – Geneviève Cadieux
IAN CARR-HARRIS
Ian Carr-Harris, Untitled, 1984. Photo: Denis Farley.
Bois peint, hauts-parleurs, magnétophone, bande sonore d’une durée de 20 secondes à 20 secondes d’intervalle, 3 éléments dans un espace de 16,7m x 5,8m. Prêt: Carmen Lamanna Gallery, Toronto.
« Untitled est située dans un espace long et étroit, et mesure environ 9 pieds de large par 25 pieds de long. Elle comprend: une réplique d’un feu en contreplaqué noir, d’environ 7 pieds de haut par 9 pieds carrés; un système de son, de 6 pieds de haut, 2 1/2 pieds carrés; une table noire avec deux espaces de rangement contenant les systèmes sonore et mécanique; la piste sonore: une voix d’homme avec un texte de 20 secondes à 20 secondes d’intervalle, décalée sur deux chaînes. Untitled s’adresse à notre ambivalence face à la métaphore et au symbole. En adoptant une position d’autorité morale particulière, l’oeuvre cherche à nous faire réfléchir sur cette ambivalence. Le texte se dit/lit comme suit: “Ceci est un symbole. C’est un symbole du feu. Le feu est un symbole ancien—il a représenté beaucoup de choses. Ne vous fiez jamais aux symboles.” » – Ian Carr-Harris
MELVIN CHARNEY
Melvin Charney, Form Laugier to Popova-A Construction in Parts, 1985. Photo: Denis Farley.
Construction de bois dans un espace de 16,7m x 8,6m.
« Une construction en bois, dont une partie est peinte, qui reprend l’aspect brut de l’intérieur d’un édifice contemporain. Les colonnes, le plancher et les panneaux du plafond—le tout de béton— les cloisons en ‘gyproc’ et les ouvertures des fenêtres de l’édifice s’alignent le long d’un ensemble de rails comme le long du quai d’une gare de trains ou d’une scène. Ici, les éléments de l’édifice existant réapparaissent en tant que figures abstraites mais archétypales qui semblent gesticuler dans leur déplacement au travers leur propre presence. » – Melvin Charney
ROBIN COLLYER
Robin Collyer, The Zulu (European version), 1985. Photo: Denis Farley.
Plastique moulé, Aluminium, bois, plexiglas, béton, 1 élément dans un espace de 16,7m x 4,9m.
TOM DEAN
Tom Dean, Excerpts From a Description of The Universe, 1985. Photo: Denis Farley.
Argile, Métal, 10 tables de 86cm x 93cm chacune dans un espace de 15,6m x 6,7m.
« Excerpts From a Description of The Universe, 1985: cette œuvre est un extrait d’une enquête encyclopédique portant sur la nature et la signification de la forme dans le monde. » – Tom Dean
PIERRE DORION
Pierre Dorion, Mes confessions, 1985. Photo: Denis Farley.
Émail sur papier, émail sur canevas, 1 pièce en 3 parties de 1,8m x 5,2m,5,2m x 5,2m, 5,3m x 5,2m dans un espace de 12,3m x 8,9m.
« Mon projet consiste en une suite de trois chambres construites spécifiquement pour cette installation. Les murs et plafonds de ces chambres ont été recouverts de papier sur lequel j’ai peint des motifs décoratifs et des images relatives au thème de chaque chambre. L’installation est complétée par la disposition de tableaux dans l’espace. La première salle se veut un confessionnal, où sont exposées les bonnes et mauvaises confessions. La deuxième représente l’enfer et la troisième le paradis. L’installation ne revendique aucun parti pris religieux ni de croyances données. J’ai essayé de construire un itinéraire vers mes propres intentions, influencées par la mémoire individuelle et la mémoire collective. » – Pierre Dorion
ANDREW DUTKEWYCH
Andrew Dutkewych, Remembering Icarus and the Walker, 1985. Photo: Denis Farley.
Bronze, acier, 8 éléments dans un espace de 17,4m x 6,7m.
« Le roi fait trancher les tendons des jambes de son prisonnier pour l’empêcher de s’enfuir (tiré de la chanson de Wayland). L’énigme de ces objets évoque une variété d’associations—ici, l’allusion à la mythologie ne se propose pas comme parabole moraliste. » – Andrew Dutkewych
GATHIE FALK
Gathie Falk, My Dog’s Bones, 1985. Photo: Denis Farley.
693 os sur corde, 16 épinettes de l’Alberta, émail blanc et noir, aluminium constituant un volume de 3,9m x 1,9m x 1,9m dans un espace de 8,4m x 6,8m.
« Les os accumulés par ma chienne depuis plusieurs années, et d’autres plus nouveaux auxquels elle a goûtés, suspendus pour former un cube, entrent en contact avec un carré d’arbres de Noël. Cette rencontre est confirmée et illuminée par une ombre en gris et argent qui relie les deux parties disparates dans l’esprit d’une célébration. » – Gathie Falk
MICHAEL FERNANDES
Mickael Fernandes, Do They Bite?, 1985. Photo: Denis Farley.
Projection de 80 diapositives couleur, contreplaqué, feutre, émail, magnétophone, bande sonore de 12 minutes dans une space de 9,9m x 10,2m.
« Des formes découpées en feutre et un diaporama, qu’accompagne une bande sonore, ménagent une scène audio-visuelle où texte et image sont séparés. LA TRANSFO D’INFO COMME CONTEXTE: L’information sur le premier mur subit un filtrage à mesure qu’elle rejoint le mur du fond. Les spectateur-e-s sont impliqué-e-s dans un dialogue entre les murs. Je cherche à éveiller une comprehension personnelle découlant de l’expérience audio-visuelle. » – Mickael Fernandes
VERA FRENKEL
Verra Frenkel, The business of Frightened Desires (Or the Making of a Pornographer), 1985. Photo: Denis Farley.
Objets trouvés, épreuves noir et blanc, épreuves couleur, photostats, projection sonorisée de 80 diapositives noir et blanc et couleur d’une durée de 16 minutes dans 3 pièces de 6,5m x 12m, 5m x 7,9m et 1,7m x 7,9m.
« Mes oeuvres marient de diverses façons le son, images fixes, les accessoires, le texte, le film, les diapositives et la vidéo. Elles sont créées en réaction à un contexte — un site, par example, ou une occasion, parfois les deux en même temps comme c’est le cas pour l’oeuvre actuelle pour Aurora Borealis, The business of Frightened Desires (Or the Making of a Pornographer). Un commentaire sur le contexte fait normalement partie intégrante de l’oeuvre. Le site qui m’a été dévolu dans le sous-sol de La Cité est un ancien magasin de disques; l’occasion est le premier anniversaire de la descente faite par deux hommes de la ‘Ontario Censure Board’ dans une galerie de Toronto, nommément: A Space. Frightened Desires raconte la triste histoire de la réalisation du film Fleas, Their Biology and Habit. Un cycle diapo-son est installé dans un endroit aménagé exprès pour l’occasion dans l’espace fourni. Des textes — tels que The Art of Denial/The Practice of Pain—posés sur les murs, et des objets choisis, en plus de la bande sonore, tissent des thèmes reliés, créant ce qu’il convient d’appeler une structure narrative tridimensionnelle. Le rapport de collusion entre la censure et la pornographie y est présenté. Je mélange les genres et les codes connus de la culture populaire et du soi-disant ‘art savant’ par dévoiler les contradictions entre divers ensembles d’idées reçues. Ceci met à découvert les présomptions qui les sous-tendent. La pornographie et le tourisme, encore plus que l’utopie et la misogynie qui leur préparent le terrain, sont devenus des métaphores effectives au service de certains intérêts qui façonnent la conscience contemporaine. La division du tout en parties, suivie de la prise d’une partie pour le tout, est un processus qu’il faut surveiller de près. L’art est une forme de vigilance concentrée, un acte de reconnaissance complexe. Voici apparaître le spectre des “normes sociales admises”. En Ontario, la justification principale pour une censure en temps de paix s’appuie sur la question des “normes sociales admises”. The business of Frightened Desires décrit à quel point ces normes sont dangereuses. » – Verra Frenkel
GENERAL IDEA
General Idea, Snowbird – A public Sculpture, 1984. Photo: Denis Farley.
Miss General Idea Pavilion, 1985, 27 bouteilles de plastique dans un espace de 4m x 3,5m.
« Snowbird articule un certain nombre de nos réflexions récentes au sujet de la sculpture publique. » – General Idea
RAYMOND GERVAIS
Raymond Gervais, Cap T (Le tombeau de Charles Ives d’après « The Unanswered Question »),1985. Photo: Denis Farley.
2 magnétophones, bande sonore de 6 minutes, métronome électronique, trompette jouet, trompette, tourne-disque, globe-terrestre lumineux, 2 globes-terrestres, 6 figurines sur papier de fond en T de 8,2m x 8,2m dans un espace de 11,6m x 10,1m
« Il s’agit d’une installation audio-visuelle en hommage à Charles Ives, un pionnier américain de la musique nouvelle (1874-1954). La pièce s’inscrit, d’une certaine manière, dans la lignée des tombeaux musicaux du 17e siècle à aujourd’hui. La composition “The Unanswered Question” date de 1908 et se définit comme suit: “Les cordes représentent le silence. La trompette pose la question de l’existence à laquelle les vents cherchent à répondre sans y parvenir pour autant.” (cf notes sur la pochette de l’album Columbia MS-6843, “Bernstein conducts Ives”). Enfin, on peut trouver, à la lettre ’T’ du dictionnaire, une foule d’indices permettant diverses interprétations de la pièce. » – Raymond Gervais
BETTY GOODWIN
Pierre Granche, Un espace pour une verticale, une horizontale et une vue oblique…, 1985. Photo: Denis Farley.
Construction de carton gypse, bois et métal dans un espace de 19,5m x 13,8m.
« Inspirés du lieu architectural bâti et de ses composantes (colonnes, portes, etc.), un espace, des volumes, des matériaux, une atmosphere se donnent comme première moitié de l’oeuvre. L’installation consiste alors à l’élaboration de la deuxième moitié. Posons donc un axe de symétrie au centre de cet espace, faisons-le pivoter sans en perdre le sens. Par conséquent, tout ce qui se situe au plafond se retrouve au sol et inversement, sens dessus dessous. Entre le nouveau lieu en écho au modèle, un plante réflexion se forme par l’aplatissement de l’axe de symétrie. Maintenant dessinons. Sur ce plan médian, sur cette surface à peindre sans épaisseur ni profondeur, posons une ligne verticale; ce pourrait être un arbre et/ou un regardeur. Traçons une horizontale comme un plan d’eau qui contiendrait un nageur, et plaçons une série d’oublieuse comme une montagne à pic ou un chien bondissant et enfermons-les tous dans une cage. Le titre sera donc: “Un espace pour une verticale, une horizontale et une oblique…” » – Pierre Granche
NOEL HARDING
Noel Harding, Blue Peter Steps Out to Remember, 1984. Photo: Denis Farley.
Acier, tissu, bois, polyéthylène, colorant, gaz propane, laser, 1 bassin de 4m-5,8m en 2 parties dans un espace de 14,4m-5,8m.
« Plaque d’acier, laser, piscine, blouson, chaussures de course. Fait partie de la trilogie “Blue Peter”. L’oeuvre réunit des esthétiques écologiques et technologique… pour devenir un commentaire sur notre vaisseau spatial “Terre”.—Alan Sondheim, 1984. » – Noel Harding
LIZ MAGOR
Liz Magor, Production, 1980-1985. Photo: Denis Farley.
Papier journal, machine à laver, pressoir à papier, ventilateur sur pied dans une espace de 12,5m-7,3m.
« Tout en ne pouvant agir que parallèlement aux événements d’une histoire naturelle, il y a quand même une consolation quelconque à effectuer un véritable changement dans les matériaux de l’oeuvre; les forçant à former, à répéter, à ré-ordonner leur aspect. Par cette manipulation, je participe peut-être au processus du changement qui continue avec ou sans mon consentement ou mon implication. Je travaille peut-être pour faire partie des rouages du changement. » – Liz Magor
JOHN MASSEY
John Massey, A Directed View (the First Two Rooms), 1979. Photo: Denis Farley.
2 projections, feutre, écran, projection couleur, plâtre, miroir, 1 projecteur directif, 2 salles dans un espace de 13,9m x 8m.
« A Directed View (The First Two Rooms) a commencé par une photo de l’escalier ornementé trouvée dans une vieille revue. J’ai regardé cette photo pendant un an et demi, sans former d’association littérale avec elle, jusqu’au moment où je me suis rendu compte que je devais fabriquer le chapeau à suspendre devant celle-ci. Le chapeau est une reaction logique à l’image projetée de l’escalier ornementé, si pleine d’associations qu’elle exige un vaisseau d’échelle équivalente pour l’accommoder. Le chapeau concrétise les attentes face à l’image projetée. La deuxième salle aussi crée un niveau d’attente. Le faisceau lumineux du projecteur est dirigé de façon à refléter sur le miroir et de là sur le mur, telle une éclipse. Cette image est simplement remplie avec du plâtre. Au contraire de la première salle, il n’y a ni hésitation ni rumination. Il n’y a qu’une sorte d’action directe, une intervention logique pour, littéralement, donner substance à l’image. Lors de la création de cette oeuvre, il y a cinq ans, je me suis retrouvé au centre d’un théâtre du désir, avide d’une connaissance concrète de ce qui est d’apparence inconnaissable. J’étais d’une part et pourtant appelé à concrétiser ma compréhension de cet univers immatériel dans des termes distincts et discernables. L’attente que suscite toute image et le désir de satisfaire matériellement cette exigence devinrent ainsi le point central et le sujet de A Directed View (The First Two Rooms). Aujourd’hui, je continue de regarder des images dans l’expectative de ce que sera ma réaction. Le travail résultant de cette activité me rapproche inévitablement d’une compréhension du ‘pourquoi’ et du ‘comment’; je suis affecté non seulement par les images des choses mais par les choses dans le monde même. » – John Massey
JOHN McEWEN
John McEwen, Palestine I (The hart) 1983-1985. Photo: Denis Farley.
Acier, 3 éléments dans un espace de 9,3m x 4,7m.
« Deux silhouettes de chien, grandeur nature, en acier. La forme inerte du corps d’une biche percé d’une flèche d’acier—découpée dans une pièce d’acier (de grandeur nature approximativement). “Une question d’agent”. L’une de deux parties. » – John McEwen
ALLAN McWILLIAMS
Allan McWilliams, Sans titre, 1985. Photo: Denis Farley.
Cuivre, Plomb, brûleur, gaz propane et graphite sur 4 murs, dans un espace de 9,7m x 8,7m.
« L’art, à mon sens, est un catalyseur ou un instrument / résidu de la pensée. Sa présence ne tient pas à sa spécificité comme objet d’art mais à l’état d’esprit qu’il engendre. (Extrait de Mise en Scène, Vancouver Art Gallery, 1982.) » – Allan McWilliams
CLAUDE MONGRAIN
Rober Racine, Créer à rebours vers le récit, 1985. Photo: Denis Farley.
4 pages-miroirs, bois, 4 magnétophones, 4 bandes sonores dans un espace de 4,9m x 3,7m.
« À la base de ce travail, il y a l’écriture, l’obsession d’un sujet, et l’intégrité respectée face à une fascination: le travail. Chaque page-miroir est unique et différente. Par contre elles possèdent un traitement de base qui se ressemble d’une à l’autre. Les dorures, les perforations, l’encre blanche appliquée directement sur le miroir: écran future d’une intuition travaillée par l’écart de la tension et du seuil. Ces caractéristiques sont fondamentales et se retrouvent un peu partout sur les pages; disséminées telles les étoiles des constellations. En ce moment, toute ma vie est organisée en fonction de ce travail sur les pages-miroirs. Chaque jour j’y travaille de 8 à 10 heures. C’est le journal d’une obsession où sont consignées 2130 variations d’un même thème. Il faut savoir seulement que ces pages-miroirs, telle une partition musicale, sont un essai au sens littéraire et historique du terme. C’est ma réflexion sur un sujet de l’Histoire qui se nomme le Dictionnaire. » – Rober Racine
HENRY SAXE
Henry Saxe, Traîneau, 1985. Photo: Denis Farley.
Acier, bois, 2 éléments dans un espace de 6,7m x 8,6m.
« Ces oeuvres se développent en traduisant mes modèles spatiaux imaginaires dans un espace physique appliqué. Le mouvement imaginé et réel étant le dénominateur commun. Un modèle spatial imaginaire actuel : un disque planaire tournoyant avec une tige perpendiculaire centrale dont la longueur est égale au diamètre du disque — en déplacement. » – Henry Saxe
MICHAEL SNOW
Michael Snow
1) Seated Sculpture, 1982. Photo: Denis Farley.
acier
2) Sighting, 1982
acier
3) Monocular Abyss, 1982
fibre de verre, epoxy, émail
4) Core,1982
céramique
5) Zone, 1982
plexi
6) Transformer,1982
bois, carton, corde
7) Wait, 1985
projection lumineuse de 3000 watts dans un espace de 17,9m x 7,3m
« Les oeuvres exposées sont des structures engendrées uniquement à partir de qualités propres aux visions. » – Christopher Dewdney, Vanguard, février 1983
DAVID TOMAS
David Tomas,The Photographer, 1985. Photo: Denis Farley.
Lettres pour enseigne, épreuves chromatec, miroirs, écran et caméra vidéo, tubes fluorescents sur un mur en 19 sections fermant un espace d’une longueur maximale de 15,4m et une largeur maximale de 8,7m. Letrasign, Chromatec, miroir, caméra vidéo, écran vidéo, lumière fluorescente, caméra 35 mm de marque russe.
« La révolution culturelle, comme la trompette du sonneur de clairon, convoque—en vue d’un examen et d’une révélation—tout ce qui mobilise ou empoisonne notre conscience, notre volonté et notre empressement à livrer bataille! Dans cette “parade” d’objets il n’y a pas de non-combattants—il ne peut y en avoir! Les assiettes et les tasses, c’est-à-dire les choses que nous voyons tous les jours, plusieurs fois par jour, qui peuvent faire leur part dans l’organisation de notre conscience—ces choses tiennent une place importante. Nous exigeons qu’une assiette remplisse sa fonction sociale. Nous exigeons que le rôle des objets quotidiens ne soit pas oublié par nos jeunes artistes spécialistes et par les institutions responsables de notre industrie. » -David Tomas, citant Mayakovsky (Tes rêve étaient-ils faits de porcelaine? Publié dans Komsomol’skaya Pravda, le journal de la ligue des jeunes communistes, le 28 juillet 1929)
RENÉE VAN HALM
Renée Van Halm
1) One: In the Face of Authority, 1985. Photo: Denis Farley.
2) Unattainable Immediacy- Only So close, 1985.
Quatre éléments dans un espace de 12,8m x 9,10m. Prêt: S.L.Simpson Gallery, Toronto
« Unattainable lmmediacy. Only So Close, 1985: bois, tissu, peinture à l’huile, plâtre. Ces deux pièces présentent des images connues de l’architecture historique et contemporaine combinées à celles des splendeurs de la nature. Ces images représentent notre désir nostalgique pour un passé simplifié, maintenant identifié comme simple commodité, et la façon dont on nous tient subjugué-e-s sous l’oeil du pouvoir. » – Renée Van Halm
JEFF WALL
Jeff Wall, Movie Audience, 1979. Photo: Denis Farley.
« Un groupe de sept portraits d’échelle monumentale interrogeant la fonction de spectateur. » – Jeff Wall
IRENE F. WHITTOME
Irene F. Whittome, Individuelle Mythologien, Kassel 1972 — Montréal 1985, 1985. Photo: Denis Farley.
Alkyde sur papier, collage, imprimés, photostat, 176 éléments dans un espace de 17,4m-6m.
« Métaphysiquement parlant, le 5 est « rivière », la force vitale. Les êtres humains sont les contenants de cette force, un « jardin » symbolisant le corps. Cette installation symbolise un ‘corps’ de temps. 5 est le nombre de l’humanité et de la liberté. » – Irene F. Whittome
KRZYSTOF WODICZKO
Krzysztof Wodiczko,Titre à être arrêté. Photo: Denis Farley.
Projection sur la place Ville-Marie, Montréal le 3 août 1985
« Bien qu’il se présente publiquement comme un monolithe fonctionnel sans rapport au temps, parfaitement camouflé par la surface pâle et exsangue, le Mur — derrière ses apparences purifiantes — agit comme un médium idéologique robuste et charnu. Afin de protéger ses activités clandestines, un Mur conspirateur doit être Mur-en-soi. L’objectif culturel de l’art public à fonction critique c’est de publiquement Démurer le Mur. » – Krzysztof Wodiczko, New York, 1984
AURORA BOREALIS
René Blouin
Co-commissaire, juillet 1985
Au cours des cinq dernières années, aucune exposition majeure ne nous avait donné l’occasion de nous interroger sur la pratique de l’art contemporain au Canada. Il s’agissait là d’une sérieuse lacune que nous voulions combler par cette exposition. Étant donné la diversité sans précédent des tendances caractéristiques de l’art des années quatre-vingt, une telle interrogation pose des défis de taille. Comment en effet aborder un ensemble aussi complexe de pratiques? Peut-on trouver un épicentre à ces préoccupations qui nous donnent cette diversité? Une stratégie s’est vite imposée et nous avons concentré notre attention sur un domaine dont l’analyse permettait, par extrapolation, d’interroger un ensemble encore plus vaste de propositions. L’objectif premier d’AURORA BOREALIS est donc de fournir des éléments qui permettront d’amorcer une réflexion sur la pratique de l’art contemporain au Canada à partir de la lecture de ce groupe donné de travaux que sont les trente oeuvres d’installation de cette exposition.
Pourquoi l’installation? Parce que son idée hante littéralement le territoire de l’art depuis une trentaine d’années, qu’elle est le point fort de l’art canadien des années soixante-dix et que, par ses problématiques, elle touche le coeur de la production culturelle des années quatre-vingt. AURORA BOREALIS n’est pas un inventaire exhaustif des tendances ou un essai de représentation régionale. Les oeuvres qu’elle rassemble ont toutes été créées par des artistes canadiens, mais elles ne pointent pas vers une spécificité canadienne. Elles ne font que signaler l’importance de l’installation dans l’histoire de l’art récent au Canada.
AURORA BOREALIS regroupe trente propositions d’artistes qui se sont manifestés sur la scène canadienne et internationale au cours des dernières années. Ces artistes ne se définissent pas nécessairement comme des artistes de l’installation. Sans se coincer dans une catégorie, tous ont gravité à un moment ou à un autre autour de cette notion. Dans leur travail, l’installation a tantôt été un mode transitoire et un outil d’évaluation des assises de leur démarche ou pour certains, un moyen privilégié. Le choix de ces artistes résulte d’une interaction entre trois conservateurs: René Blouin, Claude Gosselin et Normand Thériault. Le choix des oeuvres présentées revenait aux artistes. Le parcours de l’exposition s’est articulé en tenant compte des besoins particuliers de chaque oeuvre et des exigences des artistes à l’égard de l’espace. Les regroupements thématiques ont été évités afin de propulser le plus possible les pôles et les relations des oeuvres entre elles. Polarisations, réverbérations et rebondissements sont ce que donne à vivre le parcours de l’exposition.
À la manière de l’installation, qui est la concentration d’une oeuvre dans un espace donné pendant une durée fixe, AURORA BOREALIS transfigure un site pour une période donnée et en modifie radicalement la symbolique. Ce lieu culturel hors de la Culture est canalisé ailleurs que vers sa fonction originale. En plus de réarticuler le parcours architectural du site où sont posées les oeuvres, AURORA BOREALIS en propose une toute nouvelle lecture. En même temps, ce site, un centre commercial, soit un haut lieu de la culture nord-américaine, offre aux oeuvres qui y sont regroupées de nouveaux points d’ancrage dans cette culture qui les façonne. Dans la mesure où le pouvoir évocateur du site active d’une façon toute particulière les oeuvres présentées, le problème de l’inscription de l’installation dans le contexte muséologique est posé. Mener à terme une exposition d’oeuvres décrites comme installations suppose une malléabilité du lieu. Elle va même jusqu’à demander à la muséologie de redéfinir ses méthodes de classification et d’inventaire ainsi que ses techniques administratives. Le site de cette exposition, n’ayant pas d’histoire puisqu’il n’a jamais été occupé auparavant, offrait donc un lieu doublement fertile pour une exposition d’installations et pour l’expérimentation de nouveaux outils muséologiques.
INSTALLATION: CONTENU, SITE, DURÉE
La culture a de tout temps imprégné le paysage de l’art. Au XXème siècle, et plus intensément dans sa seconde moitié, elle n’en occupe plus seulement le décor, elle en devient le sujet. Depuis les années soixante, l’art a consacré un important territoire à l’exploration et l’exposition des mécanismes opératoires de la culture, la culture comprise comme sédiment de structures politiques, religieuses et sociales, comme ensemble de faits idéologiques caractérisant les sociétés. Cet intérêt pour les matrices culturelles de la civilisation contemporaine (l’espace à l’intérieur duquel nous formons notre jugement) se retrouve d’abord dans les oeuvres du pop’art. Après deux décennies dominées par l’abstraction, le pop’art ramenait le contenu au centre de l’oeuvre. Un contenu aux connotations sociales qui met en scène des emblèmes et des icônes de la culture populaire et de la société de consommation. Simultanément à ce retour du contenu, on voit poindre dans certaines oeuvres du pop’art une tendance vers la théâtralisation. Ainsi dans des travaux comme The Cross (1960) de Sam Goodman, Bedroom (1963) de Claes Oldenburg ou encore Landscape No.5 (1964) de Tom Wesselmann, les limites débordent la périphérie du cadre et font éclater le noyau central. L’oeuvre devient tridimensionnelle et ses éléments s’articulent dans l’espace.
Pour les divers courants artistiques qui y succéderont: d’abord l’art minimal, puis l’art conceptuel, l’Arte Povera, l’art corporel et le Land Art, la notion de site demeure une préoccupation constante comme valeur formelle et narrative. Dans cette polarité des valeurs, le site prend de plus en plus d’importance dans le développement de l’art des années soixante-dix. Au-delà des incidences culturelles découlant des éléments de la mise en jeu, tant pour l’art américain que pour l’art européen au cours des années soixante et des années soixante-dix, le site devient une des forces motrices de l’oeuvre, un de ses éléments constitutifs. On peut penser ici à des travaux comme Daylight and Cool White (1964) de Dan Flavin, Site (1966) de Joseph Beuys, Lever (1966) de Carl Andre ou encore à La théorie des figures (1970-71) de Marcel Broothaers et bien sûr à Spiral Jettv (1970 ) de Robert Smithson. Cette importance du lieu repose la question de l’oeuvre monolithique et va permettre d’introduire dans l’oeuvre des réseaux plus complexes de référence.
D’autres courants marquants des années soixante-dix intégraient à l’oeuvre la notion de durée. C’était le cas notamment de l’art corporel, du « Process Art », de la vidéo et de la performance. L’ajout à l’oeuvre de cette variable soulève alors de nouveaux problèmes. D’abord celui de l’aura, puis celui de la permanence, de la fixité et de la description de l’oeuvre qui n’existe que dans une durée donnée, comme c’est le cas pour l’installation. Si l’art se nourrit et s’instruit de la culture d’où il provient, les changements radicaux survenus dans les matrices de la civilisation occidentale depuis la fin de la deuxième guerre allaient donc se refléter dans la production culturelle. Les valeurs sur lesquelles cette civilisation fonde ses assises ne sont plus des données fixes et monolithiques, mais bien des ensembles de circonstances et de conditions plus aléatoires constamment bousculées et médiatisées. Ces changements radicaux ont donc donné lieu à un foisonnement de tendances et de styles artistiques. Mais ils ont surtout provoqué la mise en place d’une toute nouvelle gamme d’outils, de moyens hybrides souvent confectionnés par la superposition de disciplines. Bien qu’enclenché un peu plus tôt, ce processus d’hybridation marque d’ailleurs profondément tous les outils de la connaissance à partir des années soixante. Et l’histoire de l’art, qui avait jusque-là établi ses prémisses sur la notion de style et considéré la peinture comme son outil privilégié, allait se trouver complètement déroutée devant la profusion des formes, des méthodologies et des parcours. Dans cette multiplicité et ce pluralisme, un terme descriptif revient constamment: « installation », terme ouvert qui nous réfère bien plus à des problèmes méthodologiques, théoriques et critiques qu’à des considérations stylistiques.
L’installation est une autre étape dans l’évolution de la notion de sculpture et de théâtre (voire de l’opéra). Elle met en scène dans une aire donnée des éléments porteurs de divers types d’information. L’installation prend corps dans la trame de ces informations et dans l’entrelacement par interaction de plusieurs niveaux de référence. Qu’elle joue ou non sur les qualités architecturales de son espace spécifique d’exposition (espace qui coïncide parfois avec son lieu de création), l’installation entretient avec ce lieu des rapports privilégiés. Rarement permanente, même si ses composantes le sont souvent, son parcours est fréquemment modifié en fonction du lieu. Elle joue sur la notion de durée, de site et de contenu. Si le terme apparaît dans le vocabulaire de l’art au début des années soixante, la démarche qu’il recouvre prend racine dans les pratiques artistiques du début du siècle. On peut penser notamment à certains travaux de Kurt Schwitters, Marcel Duchamp et Man Ray. Les traversant et s’enrichissant au contact de tous les courants qui se bousculent au cours des années soixante-dix, l’installation persiste, au-delà des styles et des modes, à poser encore dans les années quatre-vingt des problèmes tout aussi aigus. La culture et ses modèles sont devenus la question privilégiée de l’art. C’est avec un acharnement sans précédent que l’art actuel s’affaire à l’analyse critique de ses structures et de ses mécanismes opératoires et à leur mise en transparence. Malgré un retour à la peinture, une peinture dont l’épiderme, l’iconographie et les stratégies souscrivent à des préoccupations idéologiques, l’installation continue d’offrir un nombre illimité de possibilités dont l’une est justement ce nombre illimité de possibilités.
L’ART CONTEMPORAIN AU CANADA
Jusqu’à la fin des années soixante, l’art contemporain au Canada est largement dominé par une pratique picturale empruntant les préceptes du formalisme américain et ceux de l’expressionnisme abstrait tel que développé en Europe. Une polarité qui n’est certes pas étrangère au dilemme historique canadien, à savoir un tiraillement entre sa région géographique d’appartenance et son espace historique traditionnel. Ce courant moderniste connaît son apogée à la fin des années soixante avec les travaux de Molinari, Gaucher, Gagnon et Tousignant à Montréal, de Bush, Bloor et lskowitz à Toronto, et de Fisher, Morris et Shadbolt à Vancouver. Curieusement, cette apogée se situe au moment où la société canadienne traverse les plus sérieuses crises d’identité culturelle de son histoire.
Au début des années soixante-dix, ouverture et éclatement marquent une nouvelle ère et l’art diversifie ses moyens. C’est alors que la peinture cesse d’exercer son monopole. Cette période de diversification est aussi marquée par une volonté d’assertion de l’identité culturelle canadienne. D’abord au Québec, où le mouvement indépendantiste fondé sur le fait d’une différence québécoise gagne un terrain considérable. Puis dans les provinces anglophones, où le positionnement de la culture canadienne, face à la culture américaine surtout, occupe le centre du débat. Véritable implosion, ce débat de fond touche toutes les strates sociales. Nécessairement, il affecte aussi les politiques gouvernementales fussent-elles économiques, sociales ou culturelles. Dans le domaine de l’art, il reste à éclaircir le rapport entre des phénomènes comme Ti-Pop (Ayot, Lemoyne, les Cozic et compagnie) à Montréal, le « Coeur de London » ( Chambers, Curnoe, Favro ) en Ontario et l’émergence des réalisations de lntermedia et N.E. Thing Co. Ltd. à Vancouver, et l’orientation du débat social au cours de cette période. Cette identification des rapports entre l’art et la montée des nationalismes est assez claire dans des oeuvres comme True Patriot Love/Véritable amour patriotique (1971) de Joyce Weiland, mais peut-il encore en être question dans des oeuvres comme la série des Walking Women (1963-1970) de Michael Snow et Spriral (1971) de Henry Saxe?
L’ambition d’un art « purement canadien » s’estompe au milieu des années soixante-dix et la proéminence du régionalisme qui avait lui-même succédé au courant moderniste prend fin. L’idée de l’ouverture et du pluralisme marque la décennie et survient aussi au moment de l’élection d’un gouvernement séparatiste au Québec. Indéniablement, le contexte politique avait exercé une influence sur l’évolution culturelle canadienne. Mais les facteurs qui vont le plus influencer l’évolution de l’art lui-même semblent avoir plutôt pour origine la réflexion intense qui caractérise tout l’art occidental de cette période.
Localement, une des influences les plus profondes de l’art des années soixante-dix est sans aucun doute le phénomène des galeries dites parallèles. Fondés, dirigés et administrés par des artistes, subventionnés principalement par le Conseil des Arts du Canada, ces centres de diffusion et de création consacrés à l’art contemporain sont aujourd’hui au nombre d’une centaine et sont éparpillés à travers le pays. Ces galeries récupèrent des entrepôts, des magasins désaffectés et divers types d’espaces industriels des centres-villes pour répondre d’abord à de pressants besoins de diffusion de l’art contemporain. Le type d’espace qu’elles privilégient correspond à l’idée de l’oeuvre éclatée qui est le fait des années soixante-dix. A Space à Toronto (1972), Véhicule Art à Montréal (1972) et Western Front à Vancouver (1973) sont à l’origine d’un formidable réseau au sein duquel se sont multipliés échanges d’expositions, confrontations, publications et discussions. Au moins la moitié des artistes participant à AURORA BOREALIS a directement été impliquée dans la fondation et l’administration de ces galeries. La très grande majorité y ont exposé leurs travaux. Ces lieux, par leur capacité à juxtaposer les productions canadiennes, américaines, européennes, voire même japonaises, et leur volonté de voir confrontées toutes les tendances et les approches, ont eu un impact majeur sur l’art créé au Canada depuis le début des années soixante-dix.
À la charnière des années soixante-dix et quatre-vingt se place le débat sur le post-modernisme. Il y a eu brisure, et le moment du hiatus reste à préciser. Il serait en fait bien antérieur à cette période. C’est le moment à partir duquel la peinture n’est plus l’outil privilégié de l’histoire de l’art qui repense elle aussi ses outils, et la fin du minimalisme, de l’art conceptuel et de leurs conséquences directes. Deux courants qui avaient exercé une influence marquante sur la pratique d’un très grand nombre d’artistes canadiens.
Pour décrire les cinq dernières années et leur foisonnement continu de tendances, il est impossible de classifier les oeuvres dans des catégories rigides, même par l’emploi de termes comme nouvelle figuration, néo-expressionnisme, ou même installation. La profusion de styles, dans la mode des retours (retour aux valeurs romantiques, retour à l’art américain et européen des années cinquante), ne cache pas l’actuelle présence d’un discours critique sur la notion de culture elle-même. L’apparition de ce caractère analytique semble liée à la conscience de l’impact radical des technologies sur la matrice culturelle, à l’accélération des communications et au raffinement de leurs systèmes et peut-être même à une certaine scolarisation de l’art.
Nous avons déjà souligné l’importance de l’installation dans l’art récent au Canada. Voilà ce dont AURORA BOREALIS traite tout en voulant témoigner d’une forme d’art privilégiée par un nombre imposant d’artistes, et au sein de laquelle foisonnent idées et confrontations. L’exercice a été fait sans oublier que des artistes travaillent aussi à l’analyse de la matrice culturelle à l’aide d’autres outils dont la peinture, la vidéo, le son, la performance. Mais l’analyse de l’ensemble des propositions comprises dans cette exposition permettra, par extrapolation, d’inclure ces démarches dans la réflexion sur l’art et ses rapports aux matrices culturelles.
AURORA BOREALIS: lecture de l’exposition
S’il y a cinq ans, le leitmotiv était « processus » (Pluralities/1980/Pluralités ), il n’accordait pas assez d’importance au regard critique que l’art porte sur le monde. Au cours des cinq dernières années, cette dimension critique du regard de l’art sur l’environnement qui le façonne a revigoré le débat pour se retrouver à l’avant-scène de la pratique et du discours. L’installation n’a de sens que si elle a la capacité de multiplier les approches de l’artiste face au monde dans sa réalité et dans la mesure où il est perçu. Les artistes d’AURORA BOREALIS le font à leur manière.
Un des moyens dont les réalisations sont les plus évidentes est l’architecture. Si l’expérience culturelle canadienne est lourdement imprégnée par le paysage et la géographie, d’où l’importance du site dans un imposant corpus de travaux créés au cours des dix dernières années, l’architecture demeure une des manifestations culturelles les plus visibles des civilisations.
Les travaux de Melvin Charney, Pierre Granche et Krzysztof Wodiczko s’appuient directement sur une analyse de l’architecture. Charney l’interroge comme pratique sociale et culturelle. S’appropriant les éléments du vocabulaire architectonique d’un site donné, il les réarticule dans l’espace en leur donnant des valeurs abstraites. La réactivation qui en découle confère à cet espace des connotations narratives que l’on peut lire aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur de l’édifice. Pierre Granche s’approprie lui aussi le vocabulaire architectonique d’un site donné pour fournir une nouvelle lecture de l’environnement bâti. En faisant pivoter un espace autour d’un axe médian, il fait se réfléchir un paysage architectural réel (celui fourni par l’architecture même de l’édifice) dans le miroir de ses formes. Krzysztof Wodiczko traite de l’architecture comme manifestation du pouvoir sans en modifier le parcours physique. En apposant des images projetées sur des édifices publics, il met subrepticement en évidence les mécanismes du pouvoir et de l’idéologie qui se cachent derrière le mur. Ces trois types d’intervention attirent notre attention sur des aspects de l’architecture qui autrement risqueraient de demeurer anonymes. Pour Charney, Granche et Wodiczko, l’analyse formelle du monument et de la pratique architecturale est au coeur de la démarche. Pour d’autres, un rapport particulièrement significatif à l’architecture engage la réflexion.
Renée Van Halm s’inspire de la représentation de l’architecture dans l’espace pictural pour construire des parcours architectoniques dans l’espace physique. Ses tableaux sont à la jonction du désir intime de l’architecture perçue comme geste public et comme symbole du pouvoir. Robin Collyer s’intéresse cette fois-ci à la notion d’abri et d’architecture portative fréquente dans le paysage, qu’il soit urbain, champêtre ou industriel. Sa réflexion inclut un regard sur l’esthétique industrielle. Pierre Dorion appose la surface peinte sur l’architecture comme une peau surchargée d’informations.
Les éléments trouvés sur le site de l’exposition ont stimulé un grand nombre d’artistes. Même leur pouvoir évocateur aura présidé au choix d’un espace spécifique par l’artiste. Chez Betty Goodwin, les charges narratives fournies par les tuyaux de ventilation accidentant la salle déclenchent un processus de réclamation et de mise en abîme. Irene F. Whittome a favorisé dans sa décision la tuyauterie au fond de sa salle et le son qui en émane. Si chez Melvin Charney et Pierre Granche ces éléments trouvés enclenchent formellement toute l’oeuvre, Claude Mongrain et John McEwen comme Betty Goodwin réagissent aux valeurs formelles des murs de béton et les utilisent pour accentuer le caractère narratif des éléments de leur installation. Chez d’autres, notamment Vera Frenkel et Allan McWilliams, ces éléments deviennent outils de cadrage. Si la valeur symbolique du site architectural permet à General ldea d’ironiser l’art des places publiques, dans d’autres cas le caractère architectural du lieu d’exposition permet d’éclairer sous un nouveau jour les oeuvres elles-mêmes. A Directed View (The Two First Rooms) (1979) de John Massey est renforcée par la proximité d’un escalier qui prolonge l’image d’une cage d’escalier projetée dans la première salle de l’oeuvre. Production (1980-1985) de Liz Magor est ainsi vue dans un nouvel environnement qui modifie sa configuration. Movie Audience (1979) de Jeff Wall s’accommode pour la première fois d’un espace brisé par un système symétrique de colonnes. Pour contourner le rythme ponctuel de ces colonnes, Wall accroche ses quatre éléments au point de tangente d’une courbe et réactive ainsi tout l’espace ambiant. Dans tous ces cas, le site physique, son architecture, le pouvoir évocateur de ses éléments assument des rôles importants dans l’analyse de l’oeuvre et dans sa présentation.
Dans notre culture médiatique de fin de siècle, l’image occupe un pouvoir considérable. L’image photographique en particulier reçoit, de par son omniprésence dans la publicité, la presse et les médias électroniques, en fait dans tout le paysage culturel, un énorme degré de pouvoir. Ce n’est certes pas par hasard qu’un territoire important de l’art des années quatre-vingt est consacré à l’analyse de ses mécanismes. Dans Ravissement (1985), Geneviève Cadieux se penche sur les mécanismes de la représentation photographique et leur autorité. Comme elle, mais à partir de stratégies diamétralement opposées, Vera Frenkel pose le problème du voyeurisme et du pouvoir. Alors que la première s’appuie sur une certaine austérité dans la mise en scène, la seconde compte sur un riche éventail de pistes et de trames pour soulever le problème de la censure. Jeff Wall, avec ses panneaux cibachromes éclairés en contre-jour, interroge la fonction du spectateur en le renvoyant à ses propres codes culturels. Si la propagande et la manipulation hantent les coulisses de l’image photographique comme le pointent ces travaux, on ne peut s’empêcher de penser qu’avant elle, le maniérisme pictural – comme le souligne Pierre Dorian dans Mes confessions (1985) – avait été un formidable agent de manipulation. David Tomas explore lui aussi les rituels du processus photographique. Dans The Photographer (1985), l’image est insérée comme outil dans un système complexe de citations. Et l’entrelacs des sources de ces citations propulse la valeur aléatoire de l’image et de la citation. Dans A Directed View (The Two First Rooms) de John Massey, l’exploration de la nature des apparences s’amorce à partir d’une image photographique projetée. Confrontée à un élément architectural réel, la citation photographique qui sert de point d’amorce à ce travail est subtilement rehaussée. Enfin, c’est aussi par la méthode de la citation que Michael Fernandes articule Do They Bite? (1985). Reprises de cartes postales, les images projetées, juxtaposées à divers types de signes dont des citations sonores, soulèvent le problème de la perception de la réalité à travers des clichés.
Sans toucher directement au problème des mécanismes et des rituels de la photographie, d’autres travaux abordent la question du regard et de la perception. Ainsi Michael Snow nous présente un regroupement de travaux tous basés sur les propriétés de la vision. C’est à partir de divers matériaux et diverses stratégies qu’il repose constamment la question du regard. Toutes les pièces rassemblées dans la salle ont été réalisées à des moments différents et existent de façon autonome. Cependant leur mise en proximité leur permet de s’éclairer mutuellement et c’est dans cette proximité qu’elles prennent leur force véritable. L’indice de lecture de cette salle, qui constitue une installation par le positionnement de ces pièces, est fourni par Wait (1985), cet aveuglant carré de lumière. Cette stratégie fondée sur la proximité est aussi privilégiée par Andrew Dutkewych. Dans Remembering Icarus and the Walker (1985), il vérifie les fondements narratifs de la sculpture et la notion de classification par juxtaposition d’échelles.
Le travail de Dutkewych n’est pas sans rapport avec celui de Tom Dean et de Jocelyne Alloucherie. Bien que leurs commentaires poétiques s’orientent vers d’autres pôles et que leurs méthodes d’investissement diffèrent, Dean et Alloucherie adoptent tous deux des stratégies de mise en scène faisant appel à des séries de tables offrant, comme des autels, des inventaires d’objets lourdement investis d’un caractère narratif. Excerpts From a Description of the Universe (1985) et Une montagne encore… (1985) se présentent au spectateur comme un journal intime de la connaissance de l’univers dont la lecture se déroule au sein de mystérieux systèmes de circulation poétique hautement connotés. Et le processus d’investissement de ces collections d’objets modelés à la main, usinés ou trouvés, d’un ensemble de panneaux dessinés chez Alloucherie ou de l’usinage de table chez Dean, sont autant de signes porteurs de connotations. Le caractère obsessionnel qui marque le processus d’investissement sur lequel s’appuient ces deux travaux nous amène à lui seul à prendre en considération le phénomène de sédimentation connotative également présent dans d’autres oeuvres de l’exposition.
C’est en effet sur la notion de culture comme sédiment et comme dépôt de conditions qu’interviennent Liz Magor, Rober Racine, Raymond Gervais et Irene F. Whittome. Liz Magor, dans Production, s’engage dans une intense activité répétitive de production d’objets à l’aide de matériaux recyclés. Au-delà du geste répétitif jusqu’à l’obsession du moulage des briques, le matériau utilisé, le papier journal, un matériau imbibé d’une surdose d’information médiatisée, et son recyclage comportent un commentaire sur l’inondation de l’espace culturel par l’information. La superposition de ces briques où est concentrée une grande densité d’information implique aussi une réflexion sur la sédimentation de la connaissance. Et en ce sens, ce travail de Magor entretient avec l’oeuvre de Rober Racine une parenté intéressante. Racine travaille depuis plusieurs années au déchiffrage de la production culturelle. Le dictionnaire de la langue française, l’oeuvre de Flaubert ou encore celle de Satie ont constitué pour lui des terrains de prédilection. Les pages-miroirs présentées dans Créer à rebours vers le récit (1985) s’inscrivent dans un travail considérablement plus vaste de prélèvement, d’annotation et de mise en situation dans l’espace. Son travail sur le dictionnaire et l’encyclopédie des formes de Tom Dean se font mutuellement écho. Chez Irene F. Whittome, la stratification et l’Histoire constituent des points d’amorce. Individuelle Mythologien, Kassel 1972-Montréal 1985 (1985) propose un assemblage de dessins et d’imprimés qui constituent en fait un musée d’une tranche de l’histoire. Un musée dont les éléments sont unifiés par la couleur et où l’on retrouve investies dans plusieurs dessins des pages du catalogue de Dokumenta 5. L’événement avait effectivement marqué l’histoire de l’art en mettant, pour la première fois depuis la fin de la guerre, l’art européen sur le même pied que l’art américain, mais de toute évidence, par l’insistance de la référence, il avait aussi eu un impact significatif sur l’artiste. Dans le paysage de l’art, les mythologies personnelles ont souvent servi de filtre à la connaissance véhiculée dans l’oeuvre. La collection d’ossements qui domine My Dog’s Bones (1985) de Gathie Falk s’inscrit dans cette catégorie d’objets et de signes qui prennent leur sens dans l’enracinement de l’histoire privée. Enfin, dans Cap T ( Le tombeau de Charles Ives d’après « The Unanswered Question ») (1985), Raymond Gervais nous ramène lui aussi à l’Histoire. Ponctuation importante de l’histoire de la musique contemporaine, l’oeuvre de Ives est ici insérée dans une topographie poétique annotée d’objets personnels et présentée comme un tombeau musical. Si le geste poétique donne la clé de travaux comme Une montagne encore… (1985) de Jocelyne Alloucherie, Blue Peter Steps Out to Remember (1984) de Noel Harding s’appuie aussi sur une vision poétique d’un combat entre la nature, la culture et la technologie. La technologie du XXème siècle a radicalement modifié notre rapport à la nature et à la culture. Le pouvoir des nouvelles valeurs esthétiques qu’elle a imposé fondent les assises de la réflexion proposée par Noel Harding comme elle le faisait chez Robin Collyer. Tandis que dans son oeuvre sans titre de 1985, Allan McWilliams joue sur le pouvoir symbolique des matériaux, Robert Adrian dans 76 Airplanes (1985) soulève, entre autres choses, la question de l’esthétique dans l’armement. Elle y assume effectivement de puissantes fonctions symboliques et lan Carr-Harris, dans Untitled (1984), souligne le rôle et la valeur aléatoire des symboles dans nos systèmes de croyance.
Enfin dans toute cette réflexion sur la culture, certains artistes maintiennent des liens directs avec des modes d’expression marquants de l’histoire de l’art. C’est le cas notamment de Claude Mongrain qui maintient une filiation directe avec la sculpture formaliste. Il met en scène matériaux et éléments constitutifs dans le but de rendre visible leur interdépendance. Les tensions entre les charges narratives des éléments et le pouvoir évocateur du site autour desquels il élabore son Esquisse pour un paysage inachevé (1985) font aussi partie des préoccupations de Palestine I (The hart) (1983-1985) de John McEwen. Et pour sa part, Henry Saxe réinterroge lui aussi les fondements de la sculpture dans des rapports de volumes, de poids et d’équilibre. Le médium, dans ce cas, la sculpture, sert d’élément de transposition d’un espace imaginaire dans un espace réel.
Qu’elles aient été conçues spécifiquement en fonction du site, qu’elles aient eu à s’adapter à un nouvel environnement ou qu’elles jouent plus librement dans l’espace, toutes les oeuvres rassemblées ici partagent une existence ponctuelle. Comme l’oeuvre vidéo n’existe que lorsque la bande est jouée ou la performance qu’au moment de son déroulement dans le temps, l’installation ne vit qu’au cours de sa période d’exposition. Les rapports entre ses éléments constitutifs ne sont donc cristallisés que dans la durée où l’installation prend forme dans un espace réel. Mais la connaissance résultant de l’expérience qu’en fait le spectateur s’imprègne sur l’écran de la mémoire. Cette temporalité interrompue est un des symptômes de la culture de notre société où la valeur et le sens des signes sont constamment reformulés.
Les travaux rassemblés ici abordent la culture par le biais de ses diverses manifestations. Les réverbérations et les polarités qu’ils entretiennent sont sujettes à plus d’une lecture. Cependant toutes ces lectures auront pour même objet ce sédiment complexe que constitue la culture contemporaine. La complexité de chacune des oeuvres, celle du rapport de leurs relations entre elles et du riche territoire qu’elles partagent, fournit un vaste éventail d’angles pour ces lectures. Depuis une trentaine d’années l’installation a permis l’expérimentation de toute une gamme de nouveaux outils devenus essentiels pour continuer d’affiner notre compréhension du monde et notre connaissance de l’univers. AURORA BOREALIS offre trente propositions, trente manières différentes d’aborder le monde. Et peu importe les matériaux, les styles et les modes, les oeuvres importantes seront celles qui résisteront au temps pour influencer cette connaissance et cette compréhension du monde, pour venir s’incruster dans la mémoire individuelle et collective.
INTRODUCTION À LA VISITE AURORA BOREALIS
Normand Thériault
Co-commissaire, juin 1985
À l’automne de 1958, Paul-Émile Borduas écrivait ce qui suit: “À New-York (dans un milieu canadien—d’expression anglaise—où je fus reçu une fois) j’ai eu la surprise de reconnaître une certaine unité psychique canadienne en découvrant “mes chers ennemis héréditaires” aussi semblables à moi-même que possible. J’en fus littéralement bouleversé. Surprise désagréable tranchant dans le vif de mon sentiment de “ Canadien ” comme nous disons, réservant injustement ce qualificatif à notre “ supériorité française ”. Coûte que coûte il fallait encaisser le fait de ce jugement ou le jugement de ce fait: comme vous voudrez.” Borduas aurait été alors à Paris avec, disons, des Indochinois parlant français, que les qualificatifs eurent été les mêmes, appliqués toutefois à d’autres personnes. Je suppose ici, candidement peut-être, qu’il y a une universalité de l’art comme il y a une universalité de l’homme. AURORA BOREALIS existe par le fait d’une telle idéologie, étant d’un lieu ( Place du Parc, Montréal), d’un temps (100 jours, 1985) d’un propos (30 artistes, Canada), tous donnés simultanément par le travail de mise en place d’un exposition. AURORA BOREALIS présente une lecture de l’art actuel en se donnant une grille aux composantes géographiques et physiques. Tout commentaire sur la manifestation supposerait qu’une autre exposition aura lieu. L’art canadien, l’art canadien et québécois par la suite, se comprend par une lecture qui passe d’abord par l’Europe pour rejoindre le Monde, puis par une Amérique qui culturellement n’a pas 100 ans d’âge. Nous sommes de cet entre-deux d’avant l’aurore de ce qui est à venir. Il ne faut pas visiter cette exposition dans le but de retrouver toutes les tendances ou possibilités visuelles d’un lieu donné, de n’importe quel lieu donné. Il faut oublier tous les tableaux, sculptures, dessins déjà connus, quitte après la visite de l’exposition à s’en souvenir pour pouvoir redonner une vue d’ensemble. Les objets montrés à la Place du Parc ont été construits par 32 artistes pour 30 présentations à partir d’une lecture d’origine montréalaise faite de l’art canadien par trois personnes (René Blouin, Claude Gosselin et Normand Thériault) qui ne totalisent pas cinquante ans d’expérience et de travail dans le monde de l’art. L’aire de présentation, avec ses 40000 pieds carrés, suffit pour contenir la plus grande exposition d’art contemporain à avoir été faite au Canada. AURORA BOREALIS: une entreprise limitée dans le temps et dans l’espace, de l’art de notre temps. La choix des exposant(e)s a été fait par l’utilisation des critères habituels (qualité du travail, corpus, excellence, etc.), dans le but de retracer ceux et celles qui, dans l’art canadien, ont ajouté à l’imaginaire collectif par une démarche justifiée dans la croyance d’une capacité chez l’individu à se dépasser lui-même pour se rendre accessible aux autres. Le résultat de la démarche a donné trente noms. Les trente noms ont donné trente oeuvres et une foule d’objets les composant. C’est là que commence l’exposition. C’est là qu’AURORA BOREALIS arrive.
Si je cherche le début de cette exposition, elle n’est pas à l’entrée d’une salle donnée ou de toute porte qui mène au lieu même d’exposition, elle est là où se trouve le magnifique projet qu’a été la DOCUMENTA 5 de Kassel de 1972; là où, encore étudiant, je me tiens au pied du grand escalier d’entrée du Musée des beaux-arts de Montréal et j’entrevois plus haut “L’Étoile noire” de Borduas. Une exposition est, pour moi, un moment et un lieu donnés d’une vie, une occasion de voir, sentir, percevoir la création et les création d’autres êtres humains, une façon de vivre le monde.
Si une exposition n’est pas cela, elle n’est pas une exposition, qu’une collection, qu’un assemblage hétéroclite de choses. Visiter une exposition comme celle intitulée Ramsès II, c’est se donner la chance de se souvenir qu’il y a 4,000 ans, déjà, des gens savaient—avec des signes, des formes, des symboles, de la couleur et de la matière—découvrir leur univers fait d’abord de rêves du Nil. Jouer aujourd’hui le jeu de la collection Picasso, c’est s’initier au travail ancien et plus récent d’un peintre qui, il y a 70 ans, débutait une carrière de peintre moderne. Pénétrer au coeur d’AURORA BOREALIS,c’est s’avancer vers 30 questionnement contemporains sur ce que je suis moi, moi et mon environnement, moi et les objet du monde. Si je cherche d’abord ce qui est beau et ce qui est laid, ce qui est droit et ce qui est courbe, je cherche moi, je cherche alors ma façon à moi d’identifier le monde, mon langage. Si j’écoute avant de perler, je donne alors à l’autre l’occasion de me donner mon monde. L’artiste me montre ce que j’ai pensée depuis toujours avoir été. Nos sociétés occidentales ont toujours este des maîtres tyranniques dans leurs vérités et dans les libertés qu’elles nous obligent à vivre. Elles nous assomment de culture dans leur peur de l’art. Nous en arrivons ainsi à nous accrocher à des modes, à des solutions toutes faites que nous pensons avoir nous-mêmes inventées, dans notre peur de regarder honnêtement ce qui est offert à notre vue, à notre plaisir. Je dois m’obliger à être autre chose qu’un visiteur, qu’un amateur passif, pour être celui qui lit un menu parce qu’il a faim.
Théoriquement, toute exposition peut amener une telle interrogation. On ne peut pas la supposer. Je saurai par la suite; au moment de la voir. La personne qui conçoit une exposition d’oeuvres contemporaines, qui présentera un travail récent d’un(e) artiste de son temps, n’a souvent pas plus d’un ou trois mois d’avance sur le visiteur. Tout ce qu’elle sait, c’est le passé de l’artiste, d’autre moments de son oeuvre. Elle sait miser sur ce qui est à venir. Attendre, comme tout le monde, de visiter l’exposition. Présenter l’art qui se fait, c’est faire l’art qui sera présenté.
AURORA BOREALIS est une exposition particulière à art canadien et occidental. Les soixante-dix dernières années de notre vingtième siècle, couplées à l’introduction accélérée en trente ans, d’un monde planétaire dans notre univers douillet nord-américain, ont fait éclater les barrières sécurisantes qui avaient pour nom l’art, le style, la forme, le monde moderne, ainsi que tous leurs qualificatifs protecteurs. Pour sûr, quand nous parlons de cette exposition, nous avons aussi notre mot: installation. AURORA BOREALIS: trente installations, reliées entre elles par l’exposition, mais limitées chacune à son espace spécifique, à un morceau d’atelier grand comme une galerie d’art. Trente fois le point de rencontre entre la démarche d’un ou de plusieurs individus pour raconter par des références culturelles, sociologiques, sémantiques ou structurelles leur perception et conception d’eux, des autres, du terrain de ces échanges. Comme disait Borduas: le fait et le jugement. L’installation est maintenant un mot d’art après avoir été d’abord un terme bien solennel pour définir le pourvoir temporel. Le mot suppose encore une prise de possession d’un territoire, une relation concrète avec l’environnement immédiat. Ce sont donc les objets autant que le propos qui disent la qualité du discours que l’artistes veut établir par son oeuvre. Le jugement a porté sur l’entreprise, sur chacune des trente entreprises mises en vedette par l’exposition. Viendra après la visite des lieux, le regard sur l’espace, la lecture de ce qui est montré. Les trente installations montrées et montrées veulent toutefois dire que l’assemblage est une mise en place pour situer l’art canadien actuel. Cela ne peut être oublié et cela aussi pourra être évalué. Mais l’exposition, par le fait qu’elle a eu lieu, demeurera. C’est inévitable.
Mais si nous tournions la page pour regarder les oeuvres…
*Borduas, Paul-Émile, Écrits/Writings 1942-1958, The Press of Nova Scotia colleague of Art and Design, Halifax, 1978, p. 153-154
INSTALLATION: L’INSTALLATION DU CONTEXTE
Lesley Johnstone
En 1964, l’artiste Dan Flavin désignait une de ses oeuvres en néon du nom d’ »installation » et faisait en cela figure de pionnier. En effet, d’un point de vue historique, il s’agirait là d’une des premières applications de ce terme à une oeuvre d’art. Cependant, un certain nombre d’oeuvres antérieures à cette date, bien qu’elles n’aient jamais été désignées ainsi, étaient en fait des installations. Nous pensons notamment à MERZBEAU de Kurt Schwitters, à Proun Poom d’El Lisstisky, à Plafond chargé de 1200 sacs de charbon et Sixteen Miles of String de Marcel Duchamp. Malgré l’existence de ces oeuvres, peu de spécialistes de l’histoire de l’art contemporain ou de critiques se sont penchés sur l’histoire de l’art de l’installation ou ont tenté d’en définir les bases conceptuelles. Et lorsqu’on constate la grande quantité de textes consacrés aux termes « sculpture », « post-minimalisme » et « post-modernisme », le manque de réflexion critique sur l’installation surprend.
Le sens du mot « installation », lorsqu’employé pour décrire ou qualifier une oeuvre d’art, est plutôt vague. Les termes “peinture”, “sculpture » et « photographie » ont l’avantage de regrouper certains types d’oeuvres ayant en commun des caractéristiques formelles et des moyens de production semblables. L’installation n’a pas de signification aussi précise et les oeuvres définies par ce terme présentent très peu d’éléments purement formels communs. Plusieurs médias différents peuvent être employés dans les installations, voilà pourquoi on a cru bon de créer ces mots com posés: “installation—vidéo », “installation-sculpture », “installation-performance ». Pourtant, plutôt que d’aider à situer les oeuvres en question, ces termes nouveaux ne font que déplacer le problème et ne réussissent qu‘à évacuer le sens du mot-matrice. Ce flou sémantique reflète l’indéfinissable du concept. Certains artistes ont tendance à contester l’application du terme « installation” à leurs oeuvres même lorsque celles-ci en sont bel et bien. De leur côté, les critiques ont souvent aggravé ce problème de dénomination en appliquant le terme plutôt négligemment à toute oeuvre de facture vaguement spatiale, architecturale ou théâtrale.
Pour élucider la complexité de ce terme, il nous faut examiner les éléments communs à l’art de l’installation dans son ensemble. Ceux-ci ayant toutefois tendance à ressortir des caractéristiques non formelles, les critères de classification à l’intérieur de la “catégorie” devront être repérés surtout sur le plan de leurs ressemblances conceptuelles.
L’installation est un art non-objectal. Exposée dans un espace déterminé et créée en fonction de ce lieu, l’oeuvre n‘existe que pour une période de temps limitée et consiste d’au moins deux éléments mis en corrélation. Les caractéristiques architecturales et spatiales, de même que celles jouant sur la perception de l’espace, sont intégrées à la structure de la pièce. Il en résulte une reformulation de l’espace inhérente au concept. Les conditions politiques et socio-économiques de l’oeuvre, de l’espace d‘exposition ou de l’artiste, tant sur le plan spécifique que sur le plan général, sont fondamentales à la structure et au sens d’une installation. Enfin, le public est physiquement ou métaphoriquement intégré à l’oeuvre et le temps qu’il passe auprès d’elle équivaut à celui qu’il faut mettre pour la parcourir. Les notions du temps, de l’espace, du contexte et du contenu, le rôle du regardant, le rapport de l’oeuvre à son environnement, le rôle de l’artiste, l’influence du système de l’art sur l’oeuvre et la pertinence de l’art d’objet sont toutes essentielles à l’art de l’installation. Ce texte marque le début d’une recherche approfondie sur le concept de l’installation, tant du point de vue historique que des points de vue théorique et critique. Il situe l’évolution de l’art de l’installation à l’intérieur des conditions socio-économiques du système de l’art contemporain et tente de dégager les paramètres de ces oeuvres dans une perspective conceptuelle et physique ainsi qu’en fonction de la perception.
Pendant les années soixante, des artistes travaillant dans les domaines de l’art minimaliste, de l’art conceptuel et du land-art ont amorcé une réflexion radicale sur les structures et les fondements du système de l’art. Bien que les innovations formelles et esthétiques de chacun de ces mouvements soient extrêmement importantes, ce sont peut-être leurs constats politiques et sociaux quant aux carences du système et de l’inconvenance de l’hermétisme en art qui ont eu le plus d‘impact sur leurs développement ultérieurs. En contestant le commerce de l’art, ils ébranlaient le système des galeries commerciales; l’art “dématérialisé” amorçait une restructuration du système absolument vitale. La stratégie des artistes minimalistes consistait à produire des oeuvres dont la forme et les matériaux étaient si simples et ordinaires (rangées de briques, cubes blancs) qu’il devenait ridicule de penser à les acheter ou à les vendre. Les artistes conceptuels allèrent encore plus loin en créant des objets d’art qui étaient d’abord et avant tout des idées, rendant le processus de l’achat et de la vente très difficile. Ils créèrent ensuite des oeuvres en forme de livres ou intégrèrent leurs projets a des revues. Ces innovations portaient atteinte au mode de fonctionnement même des galeries en orientant les acheteurs vers un médium moins dispendieux et donc plus accessible. La première sortie des artistes hors des murs des galeries vers des sites naturels et souvent inaccessibles, contestait l‘existence même de L’ESPACE de la galerie et du musée. La récupération de chacun de ces mouvements par les galeries et l’introduction des oeuvres dans les musées ou dans les collections privées sont maintenant des faits connus. L’intégration de ces mouvements au système de l’art démontre bien l’habilité de celui-ci à s’adapter aux objets et aux idées dont il a essentiellement besoin pour survivre. Toutefois, cette assimilation témoigne aussi d’un certain déplacement imposé au système par les oeuvres de l’art minimaliste, de l’art conceptuel et du land-art. D’une certaine manière, elles ont amorcé l’effet de déséquilibre qu’amplifieront ensuite l’installation et la performance.
Vu les exigences physiques particulières, et parfois destructrices, de l’art de l’installation et son caractère éphémère (il en est de même pour l’art de la performance), les espaces traditionnels des galeries et des musées se prêtaient mal à la présentation de cette forme artistique. C’est ainsi qu’au début des années soixante-dix, à New York d’abord, puis rapidement un peu partout aux États-Unis et au Canada, sont apparus des espaces d’exposition parallèles. Les artistes s’approprièrent les entrepôts, les toîts, les sous-sols, les édifices publics désaffectés pour créer et exposer leurs oeuvres.
Le délabrement et l’aspect fruste de ces espaces permettaient plus de liberté pour l’expérimentation et pour des interventions qui auraient été impossibles dans les galeries et les musées de l’époque. De plus, l’organisation souple de ces nouveaux lieux offrait aux artistes des conditions de travail plus spontanées, moins contraignantes. Contrôlé par des artistes, le processus de sélection était relativement sans cérémonie, du moins au début de l’existence de ces espaces. Dès 1976, il existait déjà un réseau de lieux parallèles. Le plus grand de ceux-ci, P.S. 1, une initiative de The Institute for Art and Urban Resources, était situé à Queen’s City, New York. II débuta ses activités en 1976 par une exposition intitulée Rooms composée presque exclusivement d’installations conçues pour un site particulier.
Après avoir choisi leur espace, la plupart des soixante-dix-huit artistes créèrent des oeuvres temporaires en utilisant l’édifice comme contexte, intégrant les aspects physiques de l’espace dans leur structure ou faisant allusion à la fonction originale de l’édifice, une ancienne école publique. Dans son introduction pour le catalogue de l’exposition, la directrice Alanna Heiss écrit:
“Rooms (P.S.1) représente une tentative de traiter d’un problème. La majorité des musées et galeries sont conçus pour exposer des chefs-d’oeuvre, des objets faits et prévus ailleurs pour être exposés dans des espaces relativement neutres. Mais aujourd’hui beaucoup d’artistes ne fabriquent pas de chefs-d’oeuvre complets par eux-mêmes, ne veulent pas le faire et n’essaient pas de le faire. La plupart de ces artistes ne s’intéressent pas non plus aux espaces neutres. Leur oeuvre comprend plutôt l’espace dans lequel elle se trouve, l’embrasse, l’utilise. L’espace de la rencontre visuelle devient non pas un cadre, mais un matériau. Ce qui rend le fait d’exposer difficile.”
D’une part, les espaces parallèles furent donc ouverts en réaction a un problème posé par l’art des années soixante-dix. D’autre part, pour comprendre l’évolution de l’art de l’installation, il faut aussi savoir que si les oeuvres créaient le besoin de ces espaces, les espaces avaient en retour une influence vitale sur celles-ci. La nature concrète et conceptuelle des sites offrait aux artistes l’occasion d’explorer librement le rapport inhérent entre l’oeuvre et l’espace de son exposition. Moins connotés sur le plan conceptuel et porteurs d’une charge physique plus forte que les galeries et les musées traditionnels, les espaces parallèles furent essentiels à l’exploration de la relation entre le contexte et le contenu d’une oeuvre, cette relation étant d’une grande importance dans l’art de l’installation
Dans la troisième partie de la série “Inside the White Cube”, publiée dans la revue Artforum de novembre 1976, Brian O’Doherty analyse le concept du “contexte comme contenu”. II affirme que Plafond chargé de 1200 sacs de charbon (1983) et Sixteen Miles of String (1942) de Marcel Duchamp ont été les premiers exemple de l’artiste subsumant une galerie entière d’un seul geste.
En exposant l’effet du contexte sur l’art, du contenant sur le contenu, Duchamp discernait un aspect de l’art qui n‘avait pas encore été inventé. Cette invention du contexte donna lieu du ne série de gestes qui “développent” l’idée de l’espace de la galerie comme unité simple, propice à la manipulation comme contre-proposition esthétique.
Duchamp est dons encore une fois responsable de l’invention ou de la découverte d’un nouveau territoire pour l’art. Toutefois, il fallut attendre les années soixante-dix et la venue du post-modernisme pour en vérifier toute la fécondité. Brian O’Doherty ne se sert jamais du mot installation, lui préférant “projet” et “geste”. Il écrit: “Les “projets”, art de courte durée fait pour des sites et des occasions spécifiques, posent la question de la survie de l’éphémère, si survie il y a” (p.40), démontrant ainsi qu’un “projet” est bel et bien une installation. Comme nous l’avons signalé plus haut, l‘exploitation du rapport fondamental entre le contexte et le contenu est l’une des caractéristiques essentielles de l’installation et c’est à l’intérieur des paramètres du système parallèle que cette qualité s’est affirmée. Ces espaces d’exposition donnaient aux artistes une occasion de développer une forme et un langage leur permettant d’explorer pleinement la relation perceptive et physique entre l’oeuvre et l’espace. Une fois ces artistes entrés ou retournés dans les musées et les galeries, le rapport conceptuel entre l’art et le système qui le sous-tend pouvait être analysé plus efficacement.
C’est surtout à l’intérieur de la structure du musée que les installations acquièrent une fonction critique. Leur atout principal est de réussir à examiner, avec pertinence et efficacité, l’espace où elles se trouvent, d’en critiquer le système tout en conservant leur intégrité et leur intérêt comme oeuvres. En existant à l’intérieur des cadres de ce qu’elles critiquent, les installations provoquent une interrogation des plus profondes sur le système de l’art.
« L’art des années soixante-dix dissimule ses notions radicales moins dans l’art lui-même que dans ses attitudes face à la structure du monde de l’art telle que reçue en héritage, et dont l’espace de galerie est une des icônes principales. La structure est interrogée non pas par la voie classique du ressentiment mais par le projet et le geste, par un didactisme modeste et une introduction graduelle de solutions de rechange. » (O’Doherty, p. 42)
Je voudrais maintenant me permettre une importance digression pour discuter de certaines expositions qui soulèvent des questions intéressantes quant à l’avenir de l’installation. La première est la rétrospective accordée à Rée Morton au New Museum, à New York, en 1980. Au moment de la mise sur pied de cette exposition, l’artiste était décédée depuis trois ans. Comme la plupart des artistes d’installation, Morton avait construit bon nombre de ses oeuvres dans des espaces particuliers, galeries ou musées, et y avait souvent intégré les matériaux ou les éléments architecturaux disponibles sur place. De plus, ses oeuvres étaient plutôt grandes et comprenaient plusieurs petits objets mis en corrélation, dont certains n’avaient pas été préservés. Lors du montage de la rétrospective, les conservateurs durent prendre des décisions extrêmement délicates et très importantes sur le plan conceptuel. Ils devaient ré-installer des oeuvres préservées uniquement au moyen d’une description ou d’une photographie et reconstruire des oeuvres qui n’existaient plus. Plusieurs furent exposées dans un état incomplet alors que d’autres oeuvres importantes furent exclues parce qu’il s’avérait trop compliqué de les reconstruire. D’après un critique de l’exposition, certaines installations étaient « tout simplement ratées ». Aussi consciencieuse et méthodique qu’ait été l’approche des conservateurs, leur tâche de reconstruction des installations de Morton était extrêmement ardue; I’information détaillée concernant la disposition des objets n’étant tout simplement pas disponible. Le cas de Morton est particulièrement complexe. N’ayant pas joui d‘une grande renommée de son vivant, la documentation photographique des oeuvres de cette artiste est assez rare. Ceci dit, les problèmes inhérents à la reconstruction d’installations détruites risquent néanmoins de poser des défis de plus en plus grands.
Le deuxième exemple est celui de la retrospective Vito Acconci au Art Institute of Chicago, en 1980, où l’on exposa de la documentation sur ses premières performances, une reconstruction partielle des installations, des bandes vidéo et une oeuvre créée pour l’occasion. Dans ce cas-ci, comme on avait retiré les oeuvres de leur contexte original, elles perdaient beaucoup de leur urgence et de leur sens, car Acconci les avait souvent conçues en fonction des conditions sociales, politiques et économiques particulières au temps et au lieu de leur exposition, ou en réaction contre celles-ci. Plusieurs de ses oeuvres comprenaient également des performances ou une certaine forme d’action de la part de l’artiste. La documentation ou les reconstructions ne pouvaient rendre compte ni des conditions particulières ni des éléments temporels ou éphémères, et, pour cette raison, les oeuvres perdaient de leur impact. Toutefois, ce problème est jusqu’à un certain point celui de la majorité des oeuvres d’art. Les réflexions qu‘elles suscitent sur la société dans laquelle elles sont créées sont souvent perdues pour les générations futures. Mais le rapport inhérent entre le contexte et le contenu, capital dans l’art de l’installation, soulève un plus grand nombre de problèmes qu’auparavant. Enfin, I’installation permanente de deux oeuvres de Walter de Maria, Earth Room et Broken Kilometres, dans les espaces quasi-sacrés des galeries à Soho, apporte une certaine solution au problème de l’exposition des installations. Toutefois, les coûts astronomiques de cette situation apparemment idéale la rendent peu souhaitable à long terme. En outre, la stature presque mythique ainsi conférée à l’artiste et à l’oeuvre est difficile à concilier avec la nature de l’art de l’installation. II n’en demeure pas moins que l’existence permanente de ces deux oeuvres, rendue possible par Dia Art Foundation, demeure un phénomène intéressant.
Ces exemples posent des questions fondamentales quant au rôle du musée et des conservateurs face à d’exposition et à la préservation d’installations. Chacun à leur manière, ils mettent en question le rapport de l’installation à l’histoire de l‘art, à son avenir en quelque sorte. La mise sur pied même d’une installation est une partie intégrante et souvent cruciale de sa création; les artistes prennent des décisions esthétiques au moment de l’installation finale ou procèdent à des changements importants lors de la ré-installation d’une oeuvre dans un autre espace. Donc, quand l’artiste est sur les lieux, le rôle du conservateur est restreint. Mais quand l’artiste n’y est pas, le rôle du conservateur est tout à fait différent, beaucoup plus actif. En assumant la responsabilité de l’étape finale de la création, les conservateurs remplacent l’artiste et doivent assurer I’installation ou la reconstruction adéquate d’une oeuvre qu’ils n’ont peut-être jamais vue, ni abordée personnellement. L’avenir de cette situation où les conservateurs usurpent le rôle de l’artiste est pour le moins problématique.
L’inévitable destruction des installations, que ce soit lors du démontage ou plus tard, laisse supposer que nous devrons accepter une reconstruction approximative de l’original. Notre seule connaissance de celui-ci se fera par des photos, des descriptions écrites, des témoignages et des schémas d’artistes, ce qui ne nous apparaît pas suffisant.
Enfin, le rôle de conservation dévolu aux directeurs de musées, c’est-à-dire la collection d’objets autonomes à l’intention des générations à venir, se trouve dévalorisé par l’art de l’installation. C’est une contradiction inhérente que de préserver des oeuvres d‘art qui, au départ, ont été créées pour des sites spécifiques et des existences temporaires. La conservation d’installations fera que les oeuvres subsisteront uniquement comme vestiges de la carrière d’un artiste ou comme artefacts issus d’une conjoncture sociale, économique, politique ou esthétique particulière. La forme, l’impact et le sens, voire le propos même de la plupart des installations, s’adaptent mal à la vocation historique d’un musée.
Il semble donc y avoir une contradiction fondamentale au coeur même de l’installation. D’une part ces oeuvres existent, et puissamment, pendant une durée l’imitée. La coïncidence espace-temps entre la création, l‘exposition et la prise de connaissance visuelle de l’oeuvre difficile à collectionner, difficile à exposer après la destruction de l’original ou la mort de l’artiste, difficile à reproduire, parfois même difficile à décrire, aura du mal à se faire une place dans les annales de l’histoire de l’art. Paradoxalement, alors que l’aura se dégageant d’une installation est envahissante, sa forme et son concept intrinsèques mettront en péril sa pérennité. Cette contradiction évidente entre son présent et son avenir problématique fonde toute compréhension du concept de l’art de l’installation, de son histoire et de son avenir.
La plupart des éléments dont il a été question ici se rapportent au concept d’installation tel que compris pendant les années soixante-dix et le début des années quatre-vingt. Un aperçu historique de l’évolution des oeuvres est important pour en comprendre la situation actuelle. En 1985, les installations semblent très différentes de ce qu’elles étaient il y a cinq ans. Elles sont plus hybrides par leur emploi de matériaux, s’alliant la peinture, la sculpture, la vidéo… On y distingue une approche plus esthétique de la forme, une exploitation moins évidente de la relation au contexte d’exposition. Les oeuvres ont encore tendance à être surtout faites d’objets placés en corrélation et dont les rapports peuvent s’établir sur le plan de la forme, de la symbolique ou de la perception. Par contre, chaque objet tendant maintenant à être conçu indépendamment, il peut assez facilement être retiré de l’ensemble et vendu séparément. Ceci détruit bien sûr le concept de l’oeuvre originale mais pourra peut-être parer à son éventuelle destruction complète. On remarque aussi une diminution du rôle critique tenu dans le passé par les installations. Ces « compromis » sont probablement d’ordre économique, pour la plupart. Le coût excessif de production et d’exposition des installations, les mois de travail nécessaires à la création d’une oeuvre qui ne durera qu’une période de temps assez courte déterminée d’avance, et la difficulté à accepter sa destruction inévitable, ont entraîné les artistes à chercher des solutions de rechange. Les formes adoptées par celles-ci ne reflètent en rien l’importance ou la pertinence des oeuvres antérieures, et elles ne diminuent pas nécessairement la qualité de ce qui se fait aujourd’hui. Elles sont simplement des réactions de deuxième ou troisième génération aux aspects positifs et négatifs du développement de l’installation.
UNE CHRONOLOGIE
Cette liste d’oeuvres réalisées entre 1915 et 1979 constitue une tentative de retracer les origines et révolutions de l’installation dans l’art du vingtième siècle. Elle constitue un premier défrichage et devient un outil de travail pour la recherche.
1915
Vladimir Tatlin
Corner Counter-Relief
Moscou
1917
Marcel Duchamp
Fountain
Grand Central Gallery, New York
1918-1929
Kurt Scwhitters
Merzbau
Hannover
1920
Man Ray
L’Enigme d’Isidore Duncan
1920
Alexander Rodchenko
Hanging Construction
1920
Vladimir Tatlin
Monument to the Third International
Moscou
1923
El Lissitzky
Proud Room
Grisse Berliner Kunstausstellung, Berlin
1926
El Lissitzky
Abstrakte Kabinett
International Kunstausstellung, Dresden
1926
Piet Mondrian
Salon de Madame B à Dresden
(réalisé en 1970 à la Pace Gallery, New York)
1930
László Moholy-Nagy
Light-Display Machine (light-space Modulator)
Busch-Reisigner Museum, Boston
1930’s
Clarence Schmidt
Environment
O’Hayo Mountain, Woodstock,
New York
1938
Salvador Dali
Rainy Taxi
Galerie Beaux-Arts, Paris
1938
Marcel Duchamp
Plafond chargé de 1200 sacs à charbon
Galerie Beaux-Arts, Paris
1955-1959
Robert Rauschenberg
Monogram
Moderna Museet, Stockholm
1958
Allan Kaprow
Environment with Sound and Light
Hansa Gallery, New York
1958
Yves Klein
Le vide
Galerie Iris Clert, Paris
1960
Jim Dine
The house
Judson Gallery, Judson Memorial Church,
New York
1960
Sam Goodman
The Crops
Gallery Gertrude Stein, New York
1960
Claes Oldenburg
The street
Judson Gallery,Judson Memorial Church,
New York
1960
Jean Tinguely
Homage to New York
Museum of Modern Art, New York
1961
Herbert Ferber
Environment Space
Whitney Museum of American Art, New York
1962
Christo
Barrage
Rue Visconti,Paris
1962
Tom Wesselmann
Interior
Galerie IIeana Sonnabend, Paris
1963
Nam June Pack
Exposition of Music- Electronic Television
Galerie Parnass,Wuppertal
1964-1966
Öyvind Fahlström
Dr.Schweitzer’s Last Mission
Moderna Museet, Stockholm
1964
Dan Flavin
Installation
Green Gallery, New York
1964
George Segal
The Diner
Walker Art Centre, Minneapolis
1964
Emilio Vedova
Plurimi
1965
Joseph Beuys
Fat Corner
Galerie Schmela, Düsseldorf
1965
Edward Kienholz
The Beanery
Dwan Gallery, New York
1965
Robert Morris
Untitled(L-Shapes)
1965
Michelangelo Pistoletto
Minus Objects
1965
James Rosenquist
F-111
Leo Castelli Gallery, New York
1965
Nicolas Schaffer
Lux II
Denise Rene Galerie, Paris
1965
Daniel Spoerri
Setting of the Work in the Hotel Room
of the Artist
Chelsea Hotel, New York
1966
Carl Andre
Lever
The Jewish Museum, New York
1966
Joseph Beuys
Eurasia
Galerie Rene Block, Berlin
1966
Bill Bollinger
Installation
Bianchini Gallery, New York
1966
Niki de Saint-Phalle
Hon
Moderna Museet, Stockholm
1966
Marisol Escobar
Party
Sidney Janis Gallery, New York
1966
Luciano Fabro
Roue
Galleria Notizie, Torino
1966
Robert Grosvenor, Wedge, Park Place Gallery, New York
1966
Donald Judd, Untitled, Leo Castelli Gallery, New York
1966
Marisa Merz, Sans titre, Galleria Sperone, Torino
1966
N.E. Thing Co. Bagged Place, Fine Arts Gallery of the University of British Columbia
1966
Pino Pascali, I Canoni, Galleria Sperone, Torino
1966
Lucas Samaras, Room No. 2, Albright-Knox Art Gallery, Buffalo
1966
Henry Saxe, Thisaway, Galerie du Siècle, Montreal
1966
Robert Smithson, Installation, Dwan Gallery, New York
1966
Jesus Rafael Soto, Gran muro panoramico vibrante, Galleria Nazionale di Arte Moderna, Roma
1966
Michael Steiner, Installation, Dwan Gallery, New York
1966
Andy Warhol, Cow Wallpaper, Leo Castelli Gallery, New York
1967
Giovani Anselmo, Direzione, Sonnabend Gallery, New York
1967
Mel Bochner, Measurement Series: Group B, München
1967
Roland Brener, Installation, Stockwell Depot, London
1967
Pier Paolo Calzolari, Exposition, Studio Bentivoglio, Bologna
1967
Enrico Castellani, Espace blanc, Palais Trinci, Foligno
1967
Gene Davis, Micro-paintings, Jefferson Place Gallery, Washington D.C.
1967
Barry Flanagan, Four cash 2, ring Li, rope gr 2sp 606, The Tate Gallery, London
1967
Lucio Fontana, Two Installations, Stedelijk Museum, Amsterdam
1967-1969
Hans Haacke, Grass Grows, Andrew Dickson White Museum, Cornell University, Ithaca
1967
Alison Knowles, The Big Book
1967
Barry Le Va, No. 10, Lytton Center of Visual Art, Los Angeles
1967
Sol Lewitt, Sculpture Series A, Dwan Gallery, Los Angeles
1967
Bruce McLean, Installation for Street and Fence, London
1967
Dennis Oppenheim, Viewing Station for a Gallery Space
1967
Panamarenko, Flugzeug, Antwerpen
1967
Michael Snow, Expo Walking Woman, Pavillon de l’Ontario,Expo 67, Montréal
1967
Paul Thek, Death of a Hippie, Stable Gallery, New York
1967
James Turrell, Afrum, Stedelijk Museum, Amsterdam
1967
Gilberto Zorio, Sans titre, Galleria Sperone, Torino
1968
Vito Acconci, Installment (Installation): Move, Remove, in Vito Acconci, Out of London Press, 1975
1968
Robert Barry, Installation, New York
1968
Marcel Broodthaers,Salle Blanche
1968
Daniel Buren, Installation, Salon de mai, Musee d’art moderne de la ville de Paris, Paris
1968
Walter De Maria, 50m3 (1600 cubic feet) Level Dirt/The Land Show; Pure Dirt/Pure Land, Heiner Friedrich Galerie, Munchen
1968
Jan Dibbets, Sticks with Neon Branches…?, Konrad Fischer Galerie, DOsseldorf
1968
Gathie Falk, Suite, Douglas Gallery, Vancouver
1968
Eva Hesse, Repetition 19 (III), Museum of Modern Art, New York
1968
Sol Lewitt, Wall Drawing, Paula Cooper Gallery, New York
1968
Richard Serra, Splashing, Atelier de l’artiste, New York
1968
Keith Sonnier, Mustee, Leo Castelli’s Warehouse, New York
1968
Lawrence Weiner, Two Minutes of Paint Sprayed Directly,Upon the Floor from Standard Aerosol, Spray Can, New York
1969
Magdalena Abakanowicz, Installation, Stedelijk Museum, Amsterdam
1969
Michael Asher, Installation (the whole gallery (41’2″x29’8.5″x 36′),San Francisco Art Institute, San Francisco
1969
Christian Boltanski, Installation, Biennale de Paris, Palais Galliera, Paris
1969
Victor Burgin, Photopath, Kunsthalle, Bern
1969
Rosemary Castoro, Room Cracking No. 7, Paula Cooper Gallery, New York
1969
Christo, Wrapped Gallery, Wide White Space, Antwerpen
1969
Jan Dibbets, Shadow Piece, Museum Haus Lange, Krefeld
1969
Rafael Ferrer, Hay Grease, Steel, Whitney Museum of American Art, New York
1969
Gilbert + George, The Singing Sculptures « Underneath, the Arches », St. Martin’s School of Art, London
1969
Frank Gillette & Ira Schneider, Wipe Circle, Wise Gallery, New York
1969
Michael Hayden, Atmosphere, Galaxy Installation, Canadian National Exhibition, Toronto
1969-1970
Michael Heizer, Double Negative, Virgin River Mesa, Nevada
1969
Jannis Kounellis, I Cavali, Galleria l’Attico, Roma
1969
Les Levine, Levine’s Restaurant, New York
1969
Bruce Nauman, Performance Corridor
1969
Giulio Paolini, Quattro immagini uguali, Galleria Notizie, Torino
1969
Klaus Rinke, Wasserraum, Museum Schloss Morsbroich, Leverkusen
1969
Fred Sandback, Exposition, Dwan Gallery, New York
1970
Hanne Darboven, Ein Jahrhundert in einem Jahr, Konrad Fischer Galerie, Dusseldorf
1970
Nancy Graves, Shaman, Wallraf-Richartz Museum, Köln
1970
Robert Irwin, Site Specific Installations, The Tate Gallery, London
1970
Ree Morton, Untitled, Whitney Museum of American Art, New York
1970
Giuseppe Penone, To Develop One’s Own Skin/Window, Kassel, 1972
1970
Robert Smithson, Spiral Jetty, Great Salt Lake, Utah
1970
George Trakas, 112 Greene Street, 112 Greene Street, New York
1970
Jackie Winso, Fence Piece
1971
Mowry Baden, Adelbert’s Bet, California State College, Los Angeles
1971
Lynda Benglis, For Darkness (Situation and Circumstance), Milwaukee Art Center, Milwaukee
1971
Robin Collyer, Jet Galaxy
1971
Richard Long, Pine Needle Sculpture, Whitechapel Art Gallery, London
1971
Ulrich Ruckriem, Installations
1971
Henry Saxe, Wedge, Musee des beaux-arts du Canada, Ottawa
1971
Keith Sonnier, Installation (Project), Museum of Modern Art, New York
1971
Bill Vazan, Worldline, Worldwide
1972
Vito Acconci
Seedbed
Sonnabend Gallery, New York
1972
Alice Aycock
Maze
Gibney Farm, New Kingston, Pennsylvania
1972
Pierre Boogaerts
Plantation de bananiers
Palais des Beaux-Arts, Bruxelles
1972
Marc Camille Chaimowicz
Celebration? Realife
Ikon Gallery, Birmingham
1972
Colette
Homage to Delacroix
1972
Joel Fisher
Assumption
Sonnabend Gallery, New York
1972
Jochen Gerz
Exit/Materiaux pour le Musee de
Dachau-Project
Premiere biennale de Berlin, Berlin
1972
Gilbert + George
The Bar I
Anthony D’Offay Gallery, London
1972
John McEwen
Boundaries, Bare Wire and Other Markings
Hart House, Toronto
1972
Christine Oatman
Child’s Garden of Verses
Connecticut College, New London
1972
Paul Thek
Ark Pyramid
Kassel
1972
Bill Viola
Instant Replay
Syracuse University, Syracuse
1973
Jocelyne Alloucherie
Sphynx
Musee du Qu6bec, Quebec
1973
Michael Buthe
Le Dieu de BabyIone
Kunstverein, KOIn
1973
Gordon Matta-Clark
Splitting
Englewood, New Jersey
1973
Eric Metcalfe
Pacific Vibrations
Vancouver Art Gallery, Vancouver
1973
Blinky Palermo
Objekte
Stadtisches Museum, Manchengladbach
1974
Peter Campus
Mem, Dor
Bykert Gallery, New York
1974
Ian Carr-Harris
A Thing of Beauty
Musee des beaux-arts de (‘Ontario,
Toronto
1974
Dan Graham
Present continuous past(s)
Kunsthalle, Köln
1974
Noel Harding
Untitled
The Kitchen, New York
1974
Taka limura
Project Yourself
1974
Beryl Korot
Dachau
The Kitchen, New York
1974
Glenn Lewis
Great Wall of 1984
National Science Library, Ottawa
1974
Mary Miss
Sunkenpool
Greenwich, Connecticut
1974
Garry Neill Kennedy
Drawing of a Gallery
California Institute of the Arts, Los Angeles
1974
Dennis Oppenheim
In Recall
1974
Alan Saret
Water Arrangement Bi-Column Temple
Atelier de l’artiste, New York
1974
Ira Schneider
Manhattan is an Island
1974
Charles Simonds, Excavated and Inhabited Railroad, Tunnel Remains and Ritual Cairns,Levinston Art Park, New York
1975
Marc Bagnoli, Espace x Temps, Studio de R. Salvadori, Milano
1975
Jonathan Borofsky, Installation, Paula Cooper Gallery, New York
1975
James Byrne, Floor, Ceiling, Minnesota Artists Gallery, Minneapolis
1975
Melvin Charney, Le trésor de Trois-Rivières, Musee d’art contemporain, Montreal
1975-1980
Nicola De Maria, The Seven Moons: When « The Seven Moons » Appear The Wall Crumbles, Kunsthalle, Basel
1975
Vera Frenkel, String Games, Espace 5, Montreal
1975
Rebecca Horn, Paradise Widow
1975
Jean-Luc Vilmouth, Sans titre, Royal College of Art, London
1975
Irene F. Whittome, Le musée blanc, Espace 5, Montreal
1976
Cynthia Carlson, Wall Installation, Hundred Acres Gallery, New York
1976
Raymond Gervais, 12 + 1, Galerie Media, Montreal
1976
Nancy Holt, Sun Tunnels, Great Basin Desert, Utah
1976
Shigeko Kubota, Meta-Marcel Window, Long Beach Museum of Art, Long Beach
1976
John Massey, The Fire Room, The Embodiment, The King Square, 720 King St. W, Toronto
1976
Ernesto Tatafiore, Ideology & Praxis, Galleria La Solite, Roma
1977
Laurie Anderson, Jukebox, Holly Solomon Gallery, New York
1977
Tony Cragg, Chairs, Paper, London
1977
General Idea, Reconstructing Futures, Carmen Lamanna Gallery, Toronto
1977
Max Neuhaus, Time Installation-Times Square, Times Square, New York
1977
Judy Pfaff, The World is Flat/Images for the Floor, Theatre Lobby Gallery, Tampa
1977
Jeff Wall, Faking Death, Art Gallery of Greater Victoria, Victoria
1978
Robert Adrian, Four Wall Installations of the ‘ARC », Galleria Fernando Pellegrino, Bologna
1978
Eric Cameron, Keeping Marlene out of the Picture and Lawn, Vancouver Art Gallery, Vancouver
1978
Anish Kapoor, Untitled Installation, Whitworth Art Gallery, Manchester
1978
Liz Magor, A Concise History, Art Gallery of Greater Victoria, Victoria
1978
Krzysztof Wodiczko, Installation, Artist’s Space Gallery, New York
1979
Michael Fernandes,Everything You Have Heard Is Lost, Eye Level Gallery, Halifax
1979
Betty Goodwin, Four Columns to Support a Room, Rue Clark, Montreal
1979
Suzy Lake, Are You Talking to Me?, Mendel Art Gallery, Saskatoon
1979
Mimmo Paladino, Painting on a Wall in Naples, Napoli
1979
Judy Pfaff, Reinventing the Wheel, Neuberger Museum, Purchase, New York
1979
Anne et Patrick Poirier, La Stanza delle statue Rotte, Palazzo dei Diamanti de Gerrara, Ferrara
1979
Bill Woodrow, TV Blind, Kunstverein, Hamburg