introduction
LA VILLE VIRTUELLE
"Hell is a city much like London"
Shelley1
La ville est depuis longtemps un sujet littéraire et artistique : elle se retrouve au fil du temps dans bien des œuvres de nature et d'origine diverses, tant comme lieu de l'action et prétexte à fiction, que, plus profondément, comme personnage et protagoniste de l'œuvre à part entière. Car la ville - en tant qu'elle désigne cet espace humain par excellence, complexe et ambigu, à la fois familier et étranger, lieu des échanges quotidiens en même temps que labyrinthe inquétant - a souvent servi à figurer rhétoriquement la création ou même la condition humaine dans la littérature, la poésie, l'art visuel, le cinéma - et maintenant, dans l'art Web. Ainsi, le livre, le rêve, la mémoire, le cerveau, le monde, l'utopie, le paradis ou l'enfer ont pu être tour à tour représentés par la métaphore, la métonymie, l'allégorie de la ville.
Mais encore, toutes les villes sont toujours déjà des représentations, des images d'elles-mêmes, du pays, des habitants, des cultures qui l'habitent : l' « invention » de la ville a été un acte autant symbolique et utopique, qu'économique et politique. Toutes les villes ont des fondements mythiques, qui deviennent prétexte à récit, à fabulation, à anticipation. Ainsi toutes les villes sont bien davantage qu'un ensemble de bâtiments, ou qu'un « simple » lieu d'échanges sociaux et économiques.
En ce sens, toutes les villes sont virtuelles.
Par ailleurs, aujourd'hui, la métaphore de la ville - et plus particulièrement, celle de la ville virtuelle - s'est imposée d'emblée pour désigner le Web.
Qu'est-ce que la ville virtuelle ?
Elle est nommée « Métacité post-industrielle » ou « Cité Médiate » par l'urbaniste et théoricien français bien connu, Paul Virilio.
Il y voit notre passage dans « une nouvelle période de la Cité », celui qui verrait le phénomène urbain s'étendre au point de devenir un seul système planétaire, une « Ville-Monde ». Le sociologue Blaise Galland en donne quant à lui cette définition :
« Lorsqu'on expérimente les réseaux informatiques, on est immanquablement appelé à se représenter ce monde étrange sous la forme d'une ville. Cette ressemblance est ressentie par de nombreux chercheurs qui voient dans les développements des technologies de l'information l'émergence de quelque chose qui ressemble bien plus à une « ville » - une ville gigantesque - qu'au simple « village planétaire » dont nous entretenait, pendant les années soixante, MacLuhan. C'est cette « ville », qui prend peu à peu forme, et de ses diverses implications, que nous souhaitons explorer dans l'ensemble de ce livre. »2
Ainsi le Web comme ville virtuelle est-elle en voie de devenir la ville de toutes les villes, la supra-ville.
Dans ce contexte, quels rapports entretiennent les artistes et les œuvres du Web avec cette ville virtuelle?
Comment l'art Web peut-il nous aider à penser et à imaginer la ville virtuelle - et en elle, à travers elle, grâce à elle, toutes les villes réelles ou possibles, visibles ou invisibles, passées ou à venir - que ce soit de manière utopique ou métaphorique, ludique ou critique?
Notes
1 : Percy Bysshe Shelley, Peter Bell the Third
(cité par Stanza, The Central City)
2 : Blaise Galland, Raisons et déraisons de la ville. Approche du champ urbain. Lausanne, PPUR 1996.
N.B. Lire l'entrevue avec Blaise Galland dans ce magazine.
Voir aussi Judith Stefania Donath, Inhabiting the virtual city: The design of social environments for electronic communities, Massachusetts Institute of Technology, 1996. (cf. en particulier, Part I: The virtual society - 2. The city and the body - 2.1 The metaphorical city)
Anne-Marie Boisvert, Commissaire - art Web Biennale de Montréal 2004
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