Brigitte Zieger, née en 1959, est une artiste allemande vivant et travaillant à Paris. Ses œuvres ont été présentées à l’international dans de nombreuses expositions telles que Abracadabra à la Tate Gallery de Londres, Prop Fiction à White Columns New York, Bang! Bang! au CCA Kunsthalle Andratx de Majorque, Facing the Wall au MUDAC Lausanne, Fabulations et Vagabondages au Centre d’art contemporain Villa du Parcin Annemasse, The Digital Hand au Musée national des beaux-arts de Taipei et Tirs Reloaded / Pacific Standard Time au Here Elsewhere Gallery à Los Angeles. Les expositions solo de l’artiste incluent Women are Different from Men à la galerie Odile Ouizeman à Paris, Counter-Memories à la galerie Weigand à Berlin et avec Kara Walker, Shadow’s Dream the Man à l’Aître St-Maclou à Rouen.
Brigitte Zieger développe une œuvre qui, d’une manière subtile, sape les formes esthétiques et les motifs décoratifs. Elle utilise une gamme de médias, tels que les dessins, les découpes, la vidéo et la sculpture. Bien que ses œuvres semblent initialement idéales et harmonieuses, cette perception s’effondre lentement après un examen plus approfondi – des charges explosives se cachent partout. L’artiste fonde ses œuvres sur les événements mondiaux et la manière dont ils sont perçus et véhiculés par les médias. Elle collectionne des motifs en ligne, utilise des photographies de presse de journaux et d’actualités télévisées et les incorpore dans ses diverses présentations.
Source : D6 Culture
L’artiste est représentée par la Galerie Odile Ouizeman, Paris, France
ainsi que la Galerie Heinz-Martin Weigand, Berlin, Allemagne.
[embedyt] https://www.youtube.com/embed?listType=playlist&list=PLe7MCn1rg_MMc2G_PQYK1oI8_3yOwnFYc&layout=gallery[/embedyt]
« Mon travail est basé sur des images et des objets familiers du quotidien choisis principalement sur Internet. Cependant, cela a moins à voir avec les produits qu’ils représentent qu’avec les réseaux culturels qui les rassemblent et les articulent dans de plus grands ensembles, conditionnant leur fabrication, leur utilisation.
J’utilise des icônes ou des symboles sociaux, comme une Mercedes Benz pleine grandeur, des armes à feu, une coiffure ou des bombes. Perturbant les genres, changeant les règles, transcendant les catégories tout en les imbriquant, bouleversant les repères, jonglant d’un terrain à l’autre. Un sens du jeu et de la critique existe dans la plupart de mes œuvres, à travers une pratique qui inclut la vidéo, la sculpture et les dessins.
La guerre, la lutte et les conflits sont encore plus présents dans les œuvres récentes, où les paysages se transforment en ruines ou des papiers peints paisibles nous tirent dessus. Les conflits pénètrent dans nos maisons confortables et font partie de la vie privée. Cela répond aux guerres à travers le monde, mais il aborde également la façon dont l’iconographie de la guerre est ancrée dans la vie quotidienne et notre conscience sociale au sens large. »
– Brigitte Zieger
Tiré du portfolio de l’artiste à The Drawing Center
[embedyt] https://www.youtube.com/embed?listType=playlist&list=PLe7MCn1rg_MNvniuPsrAwxBVk8zT5pmeT&layout=gallery[/embedyt]
Une caractéristique générale des œuvres de Brigitte Zieger est qu’il s’agit d’images piégées, de petites machineries à mettre en question l’attrait et le rôle de l’art, tout en nous rendant celui-ci toujours et encore nécessaire, dans un de ces féconds et insolubles paradoxes de la post-modernité.
Systématiquement semble-t-il, le regardeur est attiré, séduit, puis pris au piège de son goût pour de si belles images : une lecture poussée jusqu’au bout révèle en effet une autre face du monde, et derrière les apparences et les apparats de la beauté et de la sérénité, apparaissent les signes de toutes sortes de violences. L’intrication des deux niveaux de lecture n’est pas toujours effectué de la même manière : il peut s’agir de formes qui en habitent d’autres comme des virus (dans les découpages par exemples), il peut s’agir de points de vues contradictoires (pour certaines sculptures), il peut s’agir de renversements opérés dans le temps d’une vision (pour les vidéos), ou dans la duplicité des signes mis en œuvres (par exemple les scintillements de la série Eye-Dust, dus aux paillettes intégrées à l’ombre à paupière utilisée, mais qui figurent aussi des débris de métal incandescents et mortels). Jamais assurément Brigitte Zieger ne nous laisse regarder tranquilles, sans doute ne l’est-elle guère elle-même, et de ces deux intranquilités nous lui savons gré.
Pas question donc pour l’artiste d’embellir l’espace sans contrepartie. Son jeu semble consister à produire des œuvres d’art parfaitement désirables (élégance des formes, qualité du dessin, prestance de la présentation, complexité sémantique, humour, et même érotisme parfois), mais qui pour autant ne cesseront de rappeler que le monde est une aire d’infinies destructions, aliénations, et oppressions… Une aire où pouvoir et violence s’exercent partout aveuglement. Des œuvres, donc, qui disent et interrogent notre capacité à ne pas les voir, à garder « les yeux largement fermés ».
Philippe Fernandez, « Attention œuvres piégées (version Presse) », in Brigitte Zieger, Catalogue monographique, avec des textes de Philippe Fernandez, Estelle Pagès et Dominique Païni, Les éditions Burozoïque, 2009.
Il ne s’agit pas de dessin au sens classique, cela serait trop simple, mais bien plutôt d’un geste, puisque ces dessins sont réalisés avec de l’ombre à paupière. La poudre scintillante est d’ailleurs déposée par un geste doux et féminin de « maquillage » sur la feuille de papier.
Ces dessins pourraient même être qualifiés d’anti-dessins. D’abord parce qu’ils érigent en sujet, en motif, la disparition même. Ensuite parce que leur technique précise et minutieuse ne correspond en rien à ce qui leur reste de sujet, nouant avec celui-ci, qui ne dure qu’un temps infinitésimal (celui d’une explosion), une relation paradoxale. Une explosion ne peut être dessinée sur le vif. Ces dessins recèlent donc en eux-même le filtre qui a permis de les produire : les médias. De fait, plus ou moins reconnaissables, ces explosions ne sont pas « sans histoire ».
Mais chaque explosion est isolée de son contexte, ainsi le phénomène d’abord physique devient objet et forme. Les thèmes de la mort et de la destruction sont masqués par le plaisir formel, et, disons-le, par leur très réjouissante esthétique. C’est beau, très beau même. Du beau travail et de très belles formes. Obtenues par une technique qui n’est pourtant que précise et ne concède en rien à quelque effet esthétisant. Parfaitement décoratives néanmoins. Dangereusement décoratives. A la fois scintillement joyeux, attirant, et débris littéraux de métaux désintégrés, les paillettes indexent cet autre paradoxe constitutif de la série.
C’est que la représentation du monde à partir de la presse ou d’internet rend compte d’un société qui s’est habituée à un décor visuel fait de tragique, de guerre et de catastrophe, et de fait l’a accepté comme son psycho-environnement naturel. Ce que Brigitte Zieger met en crise dans son travail, est bien cette société du spectacle de la mort. Loin d’être anodins sous des dehors attrayants (mais on se doute au premier coup d’oeil que l’on ne s’en sortira pas indemne), ces « arrêts sur image » interpellent ainsi en nous une certaine cécité.
Mais la sémantique de cette série est plus riche encore. Une connaissance des autres prestations de Brigitte Zieger nous laisse supposer qu’une lecture plus intime, relative à la carrière et au rôle de l’artiste, et de l’artiste femme évidemment, au vu de la technique utilisée, est aussi en jeu. C’est du maquillage qui est utilisé. Un truc de fille, donc, pour dessiner un monde fabriqué par les garçons, dans lequel violence et destruction règnent à satiété.
Ces oeuvres interrogent ainsi, à un niveau plus intimement politique, ce qu’une oeuvre, ce qu’un dessin accroché sur un mur (leur mode d’accrochage reste parfaitement et fort pertinemment visible), peut encore. À quoi, et qui, il sert…
Car l’artiste lui-même, le premier, est fasciné par les formes. Brigitte Zieger qui manifestement les maîtrise parfaitement nous en dit le danger. C’est beau, alors attention.
Philippe Fernandez, « Eye Dust », in Brigitte Zieger, Catalogue monographique, avec des textes de Philippe Fernandez, Estelle Pagès et Dominique Païni, Les éditions Burozoïque, 2009.
Fille ou garçon ! Les deux à la fois ! Ni l’un, ni l’autre ! Être des deux ! Être entre les deux ! Perturber les genres, en changer les règles, transcender les catégories en les enchevêtrant, déranger les repères, jongler d’un territoire à l’autre, l’œuvre de Brigitte Zieger s’annonce, depuis les années 90, comme perturbateur du cliché entendu d’une acception féminine ou masculine de l’art.
Issue de la génération des années soixante-dix dont les revendications des mouvements féministes ont largement contribué à l’assertion de la femme artiste au sein d’un monde dominé massivement par le mythe de l’artiste visionnaire et machiste, Brigitte Zieger s’inscrit, en partie, au sein de cette historicité. C’est en effet au travers d’une critique morale, sociale, et politique que la figure de la femme artiste s’est constituée en alimentant d’autres discours et modes de représentation ; l’invention par les artistes femmes d’autres gestes, rituels, et postures, reposant notamment sur l’affirmation de la subjectivité, sur la redéfinition d’une esthétique, sur la dénonciation tant du corps/objet marchandise que du refus d’un génie créateur masculin, a bousculé l’ensemble des conventions artistiques modernistes.
Brigitte Zieger œuvre effectivement aux frontières des stéréotypes de représentation du féminin et du masculin, tissant ainsi un univers où ces archétypes sont mis à l’épreuve par des procédures de déplacements, de transferts, de métamorphoses, accordées à l’utilisation précise de matériaux et de médiums ; vidéo et installation, dessin et animation, espace et sculpture ou encore performance, ces pratiques sont généralement combinées, croisées, ce qui a manifestement densifié, enrichi et ramifié l’ensemble des propositions de l’artiste depuis quinze ans. Cette imbrication subtile des genres conduit le spectateur à éprouver une attente, un délai, car la forme et le récit se trouvent peu à peu mis en péril et sujets à une impérieuse interprétation. Si en effet les distinctions de genre sont toujours tangibles dans l’inconscient collectif et dans la réalité sociale, puisque les filles continuent bien à jouer à la poupée et les garçons à la voiture, ces clivages contribuent largement à l’élaboration d’un imaginaire stéréotypé auquel l’artiste a décidé de se confronter en nous plaçant dans l’attente de la chute, du retournement, du renversement, sans que nous le sachions.
Extrait de Estelle Pagès, « La qualité n’a pas de sexe », in Brigitte Zieger, Catalogue monographique, avec des textes de Philippe Fernandez, Estelle Pagès et Dominique Païni, Les éditions Burozoïque, 2009.
COMMISSAIRE
CLAUDE GOSSELIN, C.M. (c.v.)
Directeur général et artistique
Centre international d’art contemporain de Montréal
claude.gosselin@ciac.ca