Auky Gonzales Gysin, 26 août 2020
En 1968, le militaire Juan Velasco orchestre un coup d’État pour instaurer un gouvernement dit « révolutionnaire » au Pérou. C’est dans pareil contexte politique et social de restriction des libertés civiles dans les années 1970 que Cecilia Paredes débute ses études. Elle s’engage rapidement dans un intense activisme politique qui la forcera à s’exiler. Dans un premier temps installée au Mexique, c’est au Costa Rica que Cecilia Paredes élit domicile pendant 25 ans. Actuellement, l’artiste vit et travaille à Philadelphie aux États-Unis. Forcée à une vie d’exil, Cecilia Paredes raconte, dans son oeuvre, une histoire marquée par ses déplacements et ses relocalisations.
Son projet Paisajes (Paysages), initié en 2004 est ce que Cecilia Paredes appelle une photo-performance, c’est-à-dire une performance nécessitant l’utilisation de différents modes d’expression et dont l’acte est « enregistré » par la photographie. La photo fait partie intégrale de la performance dans le sens où elle est pensée et intégrée en amont du projet. L’artiste se peint le corps pour se mettre en scène devant des papiers peints aux motifs inspirés des mondes végétal, animal et mythologique. Par ce fait, elle cherche à créer des images anthropomorphiques et à fusionner avec la nature.
« J’enveloppe, recouvre ou peins mon corps avec le même motif que la matière et me représente comme faisant partie de ce paysage. À travers cet acte, je travaille sur le thème de la construction de ma propre identification avec l’environnement ou une partie du monde où j’ai l’impression de me sentir chez moi [1]. »
Le choix du papier peint dans cette performance n’est pas anodin ; il est une source d’inspiration pour Cecilia Paredes. Cet élément de nature intimiste cache une certaine tristesse ou nostalgie. Les papiers peints utilisés par Cecilia Paredes lui permettent de franchir la frontière entre rêve, souvenir ou réalité pour les rattacher à un « ready-made » d’intérieur. Cette idée d’intérieur renvoie à une maison, à un chez-soi, et crée un parallèle avec sa personne, son intimité. Cette recherche d’un lieu à s’approprier, illustre la réalité façonnée par la localisation et la re-localisation de l’artiste. La migration, comme thématique centrale de la série Paisajes, est exprimée par Cecilia Paredes à travers une démarche anthropologique (le culturel) et un aspect anthropomorphique (le naturel).
« Et quand je suis venue vivre à Philadelphie, j’ai commencé la série Paisajes dans laquelle je raconte les relocalisations, ce qui me manque, ce qui est nouveau et comment je m’insère dans mon nouvel environnement. En ce sens, c’est le résultat de mon nomadisme constant que j’espère fini [2]. »
Dans les oeuvres de Cecilia Paredes, l’esthétique est intimement liée à l’anthropologie, c’est-à-dire à l’étude des groupes humains, notamment leurs systèmes de croyances, leurs structures sociales et leurs rapports avec la personnalité. Cecilia Paredes observe les sociétés et les cultures humaines pour tenter de s’approprier un lieu, un passé. Ce processus lui permet d’enregistrer des fragments de mémoire personnelle et sociale. Son oeuvre Both Worlds illustre parfaitement cette idée de re-localisation et d’appropriation de l’espace.
« Le tissu est divisé en deux parties, et l’image de la protagoniste est également divisée, comme si elle voulait appartenir aux deux mondes. Quand je me réfère aux deux mondes, je parle de l’orient et de l’occident et aussi du monde d’en-haut et du monde d’en-bas, de la Terre et des enfers, dépréciant l’ensemble de la traversée, du nomadisme et de la délocalisation [3]. »
Les représentations anthropomorphiques, c’est-à-dire l’attribution de réactions humaines aux animaux et aux choses, ont une place prépondérante dans le travail de Cecilia Paredes. Elle s’inspire de plusieurs mythologies où l’on note un rapport étroit entre l’humain et son environnement. Une symbiose illustrée par la représentation de créatures hybrides, mi-humaines, mi-animales. Ainsi, la relation entre l’humain et la nature demeure fortement ancrée dans l’imaginaire de l’artiste.
« C’est au Costa Rica, où j’ai vécu 24 ans, que j’ai vraiment pu me rapprocher des animaux. […] J’ai commencé à les étudier puis à les imiter. Pas tous, mais surtout les animaux marginaux qui sont ceux auxquels je m’identifie le plus […] [4]. »
L’oeuvre Calabria, réalisée durant son séjour en Italie, illustre bien l’idée d’emprunter un récit historique étranger pour scénariser une nouvelle narration plus personnelle représentant sa relation avec ce monde étranger. Cecilia Paredes utilise ici une iconographie ancienne, d’inspiration gréco-romaine. Aussi, elle met de l’avant la dimension symbolique du poisson :
« Pour réaliser Calabria, j’ai choisi d’interpréter une mosaïque sur des poissons puisque ces mosaïques proviennent de la période hellénistique et annoncent l’abondance de la mer. C’est aussi un clin d’oeil à la présence juive dans la région pour laquelle le poisson est un auspice de bonheur [5]. »
Ainsi, le travail de Cecilia Paredes s’inscrit dans une démarche anthropologique et anthropomorphique. Les oeuvres Both Worlds et Calabria nous ont permis d’illustrer de quelle manière, par le camouflage ou la transformation et par l’utilisation de symboles naturels ou culturels, l’artiste se construit des identités multiples. Le décor, véritable personnage du récit, semble l’absorber, effacer son identité. Cette démarche évoque le processus d’assimilation volontaire des migrants pour mieux s’intégrer à leur société d’accueil. Une sorte de bouclier pour se protéger.
Cette recherche identitaire s’inscrit dans un processus artistique d’appropriation d’un lieu par une interprétation de son environnement et de ses symboles. Une façon de se chercher comme individu déplacé, en perte de repères spatiaux et culturels. Cecilia Paredes se nourrit de ses voyages, de ses contacts avec des cultures étrangères, dans l’espoir de mettre un terme à une vie d’éternelle nomade.
« À travers cet acte, je travaille sur le thème de la construction de ma propre identification avec l’entourage ou la partie du monde où je vis ou que je sens pouvoir appeler mon chez-moi. Ma bio a été qualifiée de nomade, alors il s’agit peut-être également de la nécessité de prendre en compte le processus de relocalisation constante [6]. »
L’espoir de mettre fin au nomadisme et à la relocalisation constante d’une vie migratoire est le moteur de création de l’artiste Cecilia Paredes. Pourtant, cette quête identitaire paraît inatteignable. La maison du migrant est partout, mais il est étranger dans son pays. Sa survie dépend de son métissage culturel. Il s’accommode et se nourrit des particularités nationales. Par son existence, le migrant est tout ce qu’il y a de plus cosmopolite.
NOTES
1. Cecilia Paredes, citée par Schneider Gallery, [page consultée en juillet 2020]
https://www.schneidergallerychicago.com/new-page-64
2. Cecilia Paredes, entrevue réalisée par Auky Gonzales, juillet 2020.
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Cecilia Paredes, citée par Chambre 237, [page consultée en juillet 2020]
https://www.chambre237.com/autoportraits-floraux-camoufles-de-cecilia-paredes/
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COMMISSAIRE
CLAUDE GOSSELIN, C.M. (c.v.)
Directeur général et artistique
Centre international d’art contemporain de Montréal
claude.gosselin@ciac.ca