œuvre 4


Home Like No Place,
de Jillian MCDONALD (Canada), 2002

par Anne-Marie Boisvert




«No place like home», dit le proverbe anglais (équivalent français : «on est mieux chez soi que partout ailleurs»). «Home like no place», nous dit à la place Jillian Macdonald. En intervertissant ainsi les termes, Mcdonald avertit en quelque sorte le visiteur que le lieu (le non-lieu - «like no place», nous prévient-elle) où elle l'invite à entrer lui fera éprouver sans doute beaucoup moins un sentiment de confort et de familiarité typique d'un chez soi qu'un sentiment bien plus diffus, mêlé, à la fois d'enchantement et d'étrangeté. Un (non)-lieu où le monde naturel (trop naturel, hyper-naturel), le monde urbain et le monde des contes de fées (Le Magicien d'Oz, mais aussi Rapunzel (cf. la scène du «donjon») et Alice au pays des merveilles (avec l'apparition d'un lapin blanc)), s'assemblent et se chevauchent pour créer véritablement un espace sans pareil, coloré, ludique, mais aussi vaguement menaçant et intriguant - et c'est justement cette menace et ce vague qui le rend séduisant.

Ainsi, dès son entrée, le visiteur est accueilli par un troupeau de bisons, réels, trop réels, à l'apparence naturalisés mais néanmoins vivants, bougeants, dans un paysage aussi plus vibrant que nature, au ciel trop bleu, à l'herbe - que l'on aide à pousser en cliquant - trop verte, une véritable scène combinant l'hyper-réel d'un National Geographic sous acide et l'esthétique totalement artificielle des cartoons. Mais tout à coup une branche tombe, un bison la suit des yeux et baisse la tête, un arc-en-ciel apparaît. Un oiseau se perche sur le dos d'un des bisons; il grandit quand la souris le touche, et diminue à nouveau quand elle s'éloigne : puis, sur un clic, il nous délivre un message, dans un cadre superposé au paysage :
«des oiseaux bleus
heureux
arc-en-ciel».
En cliquant sur l'un des mots, ou l'un des vers, l'on passe à un autre tableau, différent selon le choix que l'on peut faire. Il serait fastidieux de tous les décrire : le plaisir que l'on prend à cette œuvre réside d'ailleurs dans la découverte, dans l'inattendu et le charme des assemblages, et aussi dans celui de voir se produire des événements si menus - l'arc-en-ciel qui se montre, la pluie qui tombe, l'herbe et les fleurs qui poussent, un insecte qui grimpe, un éclair qui se déchaîne, une maison qui vole, un lapin qui passe - des événements qui sont parfois déclenchés par un clic de notre souris, mais aussi parfois indépendants de notre volonté, se jouant comme de manière inéluctable, comme un rite, comme un mythe dont le secret serait perdu - ou non encore interprété. Dans ces différents petits mondes, ou petites scènes (au sens où Freud parle de la scène du rêve), apprêtées, artificielles, mais aussi plus que réelles en ce qu'elle peuvent constituer une révélation, non seulement pour quiconque sait les lire - mais aussi parce que le rêve, qu'il demeure ou non énigmatique, correspond de toute façon toujours en fin de compte à un exutoire, nous nous sentons tour à tour, et aussi simultanément, participants et étrangers. Devrions-nous après tout nous croire «chez nous» dans cette œuvre, nous parle-t-elle, après tout, nous parle-t-elle de nous, malgré nous?

Car de temps en temps, «on» nous annonce que des messages ou des questions nous sont adressées, à nous visiteurs. C'est alors que nous prenons, oh un tout petit peu, peur : dans quel monde sommes-nous tombé? ( «on» nous demande ainsi de répondre entre autres, en inscrivant et en cliquant ensuite pour acheminer notre réponse, aux questions suivantes : «quel est votre poison favori?» - «Enceinte? Pas enceinte?» - «Oui - Jamais» (Ces deux dernières questions accompagnées d'une image de pilule) - «Qu'avez-vous éprouvé à la fin du voyage»?) Des panneaux signalisateurs se dressent («arrêt», «no trespassing»), et nous annoncent que des messages nous sont adressés. Parfois, il s'agira de vers, plus ou moins énigmatiques, parfois aussi d'un montage d'images d'enseignes au néon, typiquement urbaines, trop urbaines (bar, sexe, hôtels miteux)… Jamais personne dans ces scènes : sauf des pieds (chaussés des chaussures rouges magiques de Dorothée) et des mains (celles, nous dit-on, d'un magicien).

Dorothée, dans le Magicien d'Oz, n 'avait pas plutôt souhaité d'être ailleurs, et ne s'était-elle pas plutôt retrouvée, à la suite de ce souhait, dans le monde magique du pays d'Oz, qu'elle aspirait de toutes ses forces à en sortir afin de retourner à la maison. Sommes-nous tous aussi velléitaires? Passant du monde en noir et blanc de la vie quotidienne à celui en couleurs du monde du rêve et du conte, n'avons-nous comme elle qu'un seul désir, celui de retourner chez soi? C'est que trop de couleur peut se révéler insoutenable, et certes la possibilité des mondes parallèles toujours à la fois attirera et fera peur. C'est d'ailleurs leur raison d'être.

N.B. Home Like No Place est une œuvre bilingue (offerte en anglais et en français).




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